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jeudi 3 novembre 2005            Source : http://nantes.indymedia.org/article.php3?id_article=6784

Témoignage de clichy
Clichy-sous-Bois : zone de non-droits ou zone d'injustices ?

Un professeur d'histoire-géo de Clichy-sous-Bois témoigne de ce qui se passe réellement sur le terrain.

Original Message ----- From : Noelle GUILBON
To : rdb-france at reseaudesbahuts.lautre.net
Cc : rdb-93 at reseaudesbahuts.lautre.net
Sent : Wednesday, November 02, 2005 1:15 PM
Subject : [Rdb-france] Tr : Fw : Témoignage sur Clichy-sous-Bois ( par un prof)

> > 1er novembre 2005 Clichy-sous-Bois : zone de non-droits ou zone d'injustices ? , par Antoine Germa Témoignage et retour sur une série de mensonges

> > Je suis à Clichy par intermittence depuis samedi matin pour préparer avec une journaliste de France-Inter une série d'émissions sur la situation à Clichy-sous-Bois. La ville s'est "embrasée" du jeudi 27 octobre au soir au lundi 30 au soir. Je livre ici ce que j'ai vu, entendu, compris, et ce qui m'a été rapporté.

1. deux jeunes morts (Zyad et Bounna, 17 et 15 ans, du collège n°3) semblent bien avoir été poursuivis pas la police, contrairement à ce qu'affirmait la version officielle qui niait toute course-poursuite (version Sarkozy et Parquet). Pourquoi aller dans cette ruelle et escalader une palissade pour se cacher dans un transformateur EDF alors même que leur cité se trouvait non loin du lieu du drame ?

2. Les jeunes, une dizaine, alors qu'ils jouaient au foot, ont fui un contrôle de police car certains n'avaient pas de papiers (entre autres, le troisième électrocuté, Metin, en cours de régularisation). Jamais ils n'ont commis de vol sur un chantier comme le prétendait la version officielle, reprise pourtant par de Villepin jeudi, et qui n'est plus défendue aujourd'hui par personne puisque samedi, le procureur de Bobigny a reconnu à son tour qu'il s'agissait d'un simple contrôle d'identité. D'ailleurs les jeunes garçons interpellés ont été relâchés une heure après leur arrestation, preuve qu'ils n'avaient rien à se reprocher. Metin, gravement brûlé, "ne se souvient de rien" selon la version officielle... Ce silence a-t-il un lien avec son statut juridique ?

3. Des rumeurs de toute sorte se sont ainsi développées dans la ville : pourquoi ces mensonges policiers ? que cachent-ils ? Des émeutes ont éclaté : spontanées jeudi, elles ont été encadrées vendredi par des "anciens". Les premières cibles sont : la poste (voitures brûlées), les pompiers (un camion caillassé), les abris bus, une école (début d'incendie). Les émeutes de vendredi ont été particulièrement violentes (tirs de coup de feux sur les cars de gendarmes et de CRS, jets de projectiles...). Elles ont eu lieu dans les grandes avenues qui bordent la cité du Chêne pointu (près de la Pama). De très nombreuses voitures ont été brûlées : leurs carcasses calcinées jonchaient les rues encore samedi matin.

Samedi matin, une marche silencieuse a été organisée par les associations religieuses et la mosquée. L'heure était aux appels au calme. Les regards se tournaient vers la justice et Sarkozy était souvent conspué. Les institutions musulmanes, la mairie et les militant associatifs, visiblement unis, semblaient reprendre le contrôle de la situation. On a compté un peu plus d'un millier de participants. Pour éclaircir les circonstances du drame de jeudi, le maire PS de Clichy, Claude Dilain, épuisé et ému, qui semble bénéficier d'une réelle écoute auprès de la population clichoise, jeunes compris, a demandé officiellement à Nicolas Sarkozy l'ouverture d'une enquête sur la mort des deux jeunes. L'avocat des familles des victimes, de son côté, à la sortie d'une réunion qui a lieu à la mairie après la marche silencieuse, affirmait vouloir déposer une plainte pour non-assistance en personne en danger pour faire toute la lumière sur les circonstances du drame. Tout paraissait calme dans la journée et les forces de l'ordre demeuraient invisibles.

Samedi soir, au moment de la rupture du jeûne (vers 18h30), les 400 CRS et gendarmes, dont une partie vient de Chalon s/Saône, sont sortis un peu partout dans la cité du Chêne pointu. Comme à l'accoutumée, il s'agissait d'encercler - "de boucler" - le quartier. Don quichottisme policier : en cohorte, à la façon des légions romaines, au pas de course, visière baissée, bouclier au bras, et flashball à la main, ils parcourent les rues une à une contre des ennemis invisibles. A cette heure, tout le monde mange et personne ne reste dehors. Pourquoi cette démonstration de force alors même que les rues étaient particulièrement calmes ? "Provocations policières" répondent à l'unisson les habitants interrogés. C'est un leitmotiv depuis vendredi soir.

Au bout d'une heure, quelques jeunes sortent et se tiennent face aux policiers : tous attendent le début des affrontements. Quel sens donner à cette stratégie policière à part celui qui consiste à vouloir "marquer son territoire", c'est-à-dire appliquer une version animale et musclée du retour à "l'ordre républicain" ? Plusieurs témoignages et enregistrements sur portable manifestent aussi, de façon indiscutable, la volonté de la police d'en découdre avec les jeunes (insultes racistes, appels au combat, bravades...).

Je suis monté aux Bosquets - à la mosquée Bilal- vers 21 heures : elle était pleine à craquer (1200-1300 personnes environ) pour cette nuit du Destin que les fidèles passent traditionnellement à la mosquée. De nombreuses voitures et poubelles ont déjà brûlé et les jeunes venaient se réfugier aux abords de cette enclave en plein milieu de la cité. L'ambiance néanmoins était au recueillement, et les imams, depuis le début, ont joué un rôle important dans la pacification.

Samedi soir, en dépit des provocations policières, les affrontements semblaient moins violents. Est-ce l'effet des appels au calme répétés depuis le matin ? Est-ce dû à l'importance rituelle de la nuit du destin en cette période de Ramadan ?

4. Dimanche soir, en guise de témoignage, un coup de fil désespéré et indigné d'Ibrahim, le fils d'un imam, à 20h55 : la police vient, en pleine prière, de gazer la mosquée des Bosquets. Des femmes - dans la salle de prière qui leur est spécialement réservée- se sont presque évanouies, me dit-il. A leur sortie, elles sont insultées par des membres des forces de l'ordre, me rapporte-on : "pute, salope...". Toutes les médiations avec la police s'avèrent impossibles, et ceux qui s'y risquent ont pour toute réponse un "dégage" cinglant et risquent d'être blessés par un flashball. Ibrahim me demande de témoigner mais je ne suis pas à Clichy à ce moment-là.

Cette nouvelle paraît hallucinante. Comment peut-on attaquer un lieu de culte ? Pourquoi gazer la mosquée alors que les autorités religieuses étaient les seules avec la mairie à pouvoir calmer la situation ? Dès lors l'embrasement total menace, les affrontements reprennent et de nouvelles voitures sont brûlées : les positions se radicalisent d'autant plus que dans la nuit les forces de l'ordre nient avoir utilisé des grenades lacrymogènes contre la mosquée. Le modèle de grenade utilisé contre les fidèles de la mosquée ne correspondrait pas à celui qu'utiliserait la police. Dorénavant, il y a deux affaires : la mort des deux adolescents et l'attaque de la mosquée.

Au même moment, Sarkozy à la télévision justifie et défend le déploiement policier à Clichy et prône une nouvelle fois la « tolérance zéro » : le poing fermé dans une main, et dans l'autre...rien, à part la main invisible du marché.

5. Lundi matin, l'ambiance est tendue. A 11 heures, Sarkozy réunit à la préfecture de Bobigny les forces de l'ordre : félicitations et soutien sont les mots d'ordre de la matinée. La version officielle du gazage de la mosquée a subi quelques inflexions durant la nuit. Le modèle de grenade utilisé correspond à celui de la police, mais le doute subsiste : qui peut bien avoir jeté ces grenades dans la mosquée ? Une nouvelle fois, la version officielle ne paraît en rien correspondre à la vérité.

À 13 heures, je me rends au Chêne Pointu regarder le journal TV avec un imam et sa famille : le traitement médiatique est au coeur aussi du ressentiment exprimé par beaucoup depuis le début des "émeutes". L'impression qui domine tous les discours ici est que les médias ne sont que les relais des institutions officielles, fussent-elles à l'origine de mensonges, et surtout qu'ils participent à la stigmatisation dont se sentent victimes les habitants de ces quartiers populaires.

Pourtant, le ton change : la presse et les chaînes de télévision se font plus critiques. La version officielle et de la mort des deux enfants et du gazage de la mosquée est remise en cause, du moins interrogée.

A 14 heures, conférence de presse à la mosquée des Bosquets. Un film, pris grâce à un téléphone portable, fait office de preuve. Il est projeté devant les journalistes nombreux : il donne à voir la panique qui a saisi les fidèles pendant le gazage. Puis les responsables ont pris la parole. Le ton est ferme, l'émotion palpable et les demandes précises : une enquête judiciaire et des excuses officielles. L'égalité de traitement entre les différents cultes est au coeur des revendications. Monsieur Bouhout, président de la mosquée, proche pourtant de l'UMP, se fait même menaçant quant à sa capacité à pacifier les esprits. Le grand frère de Bouna, devant la presse, annonce qu'il refuse de rencontrer Sarkozy, jugé "incompétent" et demande, avec la famille de Zyad, une entrevue avec le premier ministre. Tous demandent que la police évacue le quartier, condition nécessaire pour retrouver un peu de calme et pacifier la situation.

En périphérie de cette conférence de presse, des militant(e)s associatifs reviennent sur les causes socio-économiques des événements trop souvent occultées : Clichy occupe toujours une place de choix dans le palmarès des communes les plus pauvres de France et les associations ont de moins en moins d'argent pour travailler. L'ambiance est tendue à la sortie de la mosquée : des jeunes se renseignent aux abords du lieu du culte. Des femmes racontent ce qu'elles ont vu et subi : au coeur des témoignages, la colère contre la police qui multiplie les interventions "musclées" en dépit du bon sens et, trop souvent, de la loi ; contre les autorités ministérielles qui ne dénoncent pas le gazage de la mosquée dimanche soir. Les autorités religieuses, visiblement abattues et émues par ce qui s'était passé la veille, reprennent peu à peu le contrôle de la situation. Tout le monde attend la soirée avec appréhension.

A 19 heures, un accord est trouvé entre des membres de la mosquée et la préfecture : des jeunes sont désignés comme médiateurs pour "calmer" les plus énervés et prévenir les éventuelles échauffourées avec la police. Cette idée n'est pas neuve : c'était une proposition de certains jeunes samedi, mais les autorités préfectorales ne semblaient pas intéressées. Se sentent-elles impuissantes à trouver une solution au conflit ? La méthode dure, qui a prouvé son inefficacité et son iniquité, trouve-t-elle enfin ses limites ? 23h30 : La police et les jeunes jouent au chat et à la souris, mais la situation semble pour maîtrisée. Sur le terrain, les médiateurs jouent un rôle central me dit-on : ils vont à la rencontre des plus jeunes discuter, pour les dissuader de passer à l'acte. J'apprends dans la nuit que le garage de la police municipale de Montfermeil a été brûlé et que les forces de l'ordre ont procédé à quelques interpellations. Les affrontements ont été évités.

Antoine Germa
Mardi 1er novembre
Antoine Germa est professeur d'histoire-géographie à Clichy-sous-Bois

Communiqué du mouvement des Indigènes de la République

" Provocations ", " complot ", " manoeuvres ", " récupération ". La rhétorique policière va bon train à propos des évènements de Seine Saint Denis. Il faut expliquer ces évènements, et si possible leur donner une explication simple : des " groupes " seraient à l'oeuvre, qui " manipuleraient " les jeunes, et s'emploieraient à " souffler sur les braise ". Quels " groupes ", pourquoi, comment, à quelles fins, voilà ce que la dialectique des forces de l'ordre ne dira pas. Pas plus qu'elle ne dira ce que sont et d'où viennent ces " braises " sur lesquelles il serait si facile de souffler.

Un grand sociologue disait naguère en substance que la question qui se posait était moins de savoir pourquoi des voitures brûlaient dans les banlieues que de comprendre pourquoi il n'y en avait pas plus. Car c'est à l'évidence la situation objective de ces quartiers populaires laissés à l'abandon sur fond de chômage massif et de précarisation de la vie, sur fond de discriminations, de violences policières, d'ethnicisation des relations sociales, d'humiliations et de désespoir qui les conduit à exploser. Le gazage délibéré de la mosquée de Clichy par des membres des forces de police, leur agressivité, rapportée par tous les témoins, à l'encontre de populations dignes et pacifiques, la brutalité arbitraire avec laquelle est mis obstacle aux tentatives de pacification de la situation par les habitants du quartier eux-mêmes, est à la fois une illustration de cette situation et l'un des facteurs de son aggravation. Les propos irresponsables et méprisants du ministre de l'intérieur en sont d'autres.

La paix civile, nécessaire à toute avancée sociale, ne passe pas par la fuite en avant dans l'écrasement moral et physique des quartiers populaires, massivement peuplés de populations issues de la colonisation et de ses suites. Elle ne passe pas par le laminage de cette minorité visible qui constitue, dans ces quartiers, de larges majorités. Elle ne passe pas par la perpétuation d'une gestion coloniale des banlieues, par une militarisation de leur vie quotidienne, par un pouvoir sans cesse accru des porteurs d'uniformes noirs ou bleus, armés de Flash-Ball et de lacrymogènes, qui aboient, hurlent et frappent.

L'idée que les jeunes gens qui ne savent plus canaliser leur révolte seraient de simples marionnettes manipulées par des groupes aux projets obscurs est en elle-même une insupportable marque de mépris. Elle traduit la logique coloniale avec laquelle la république considère ses indigènes d'aujourd'hui.

À voir dans les " banlieues " des " territoires perdus " que la république devrait reconquérir, les agents (idéologiques et policiers) du pouvoir se donnent certes une bonne contenance. Ils délivrent un discours de nature à plaire à celles et ceux dont on entretient la peur, et qui ne connaissent des " quartiers " dits " difficiles " que ce que l'on raconte à chaque occasion : qu'ils seraient des nids de délinquance et de violence quotidienne, le repère des intégristes et des voyous, le lieu des tournantes dans les caves et de tous les petits trafics. Boucs émissaires faciles d'une société à la dérive, il est facile de les montrer du doigt : et peu importe que ce soit au prix de mensonges ressentis par des populations entières comme autant d'insultes.

C'est ainsi que les évènements récents renforcent le Mouvement des Indigènes de la République dans sa certitude que seuls de profonds bouleversements, tant sur le plan politique et social que sur le plan idéologique et moral, pourront éviter l'enchaînement de la violence et du désespoir.

S'ils appellent au calme, c.est d.abord en appelant à la détermination, en appelant les populations discriminées à s'organiser et à s'exprimer avec force, à prendre en main le combat pour l'égalité, à refuser leur enfermement dans l'indigénat de fait qu'illustre le traitement du drame de Clichy-sous-Bois, à lutter pour la décolonisation de la République.

Fait à Paris le 2 Novembre 2005

Contacts : Mouvement des Indigènes de la République

Tél. : 06-18-92-76-15 ; E-mail : contact@indigenes.org ; site Internet : www.indigenes.org