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Les réfugiés palsetiniens de 1947-48 étaient souvent urbains, chrétiens et arméniens, et beaucoup avaient des origines libanaises. Avant 1948, les relations entre le Liban et la Palestine étaient très denses, il y avait beaucoup de mariages libanos-palestiniens. D ' abord dispersés ce n'est que progressivement que les palestiniens se sont regroupés. Les 15 000 familles palestiniennes ont été exclues deux fois, un fois par la fermeture de la frontière, et une autre fois par les libanais qui les ont rejeté.

Jihane SFEIR, L’exil palestinien au Liban. Le temps des origines (1947-1952)


Paris, Karthala/IFPO, 2008, 281 p.

Dans la bibliographie pléthorique consacrée aux réfugiés palestiniens, le beau livre de Jihane Sfeir nous offre un précieux tableau du temps méconnu des origines de la présence palestinienne au Liban (1947-1952). Un premier volet, intitulé Dispersions, ouvre sur des récits de l’exode et situe la population palestinienne réfugiée au sein de la formation sociale libanaise. Un second, Recompositions, s’attache à rendre compte des multiples restructurations, démographiques, sociales et territoriales qui ont affecté cette population, loin de l’image stéréotypée du réfugié des camps.

Ce travail est d’abord une contribution majeure à l’histoire démographique des Palestiniens du Liban et c’est sans doute là son principal apport. Bel exemple d’invention d’archives de surcroît puisque ce profil socio-démographique des premiers Palestiniens du Liban s’appuie sur des sources inédites pour tout ou partie : le recensement effectué en 1949-1950 par la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge et les quelques 15.000 fiches familiales inédites issues d’un dénombrement mené en 1951 par le Comité central pour les affaires des réfugiés palestiniens. L’analyse dessine l’image d’une population à la fois très spécifique et très diversifiée de l’intérieur. Spécifique parce qu’elle se caractérise par un taux important de chrétiens, par une présence minoritaire mais significative de Palestiniens de plus ou moins lointaine origine libanaise ou arménienne et par une proportion élevée d’urbains. La complexification interne qui s’en dégage vient remettre en cause l’image traditionnelle quelque peu réductrice d’une population dans laquelle une mince frange supérieure constituée par la grande bourgeoisie d’affaires repliée sur Beyrouth se détacherait sur une masse plus ou moins indifférenciée de paysans de Galilée arrachés à leurs terres et regroupés dans des camps où ils font l’expérience de la prolétarisation. Or les données présentées ici laissent apparaître un monde socialement très diversifié avec ses figures nombreuses d’artisans ou d’employés et ses couches moyennes.

L’approche démographique ne se limite pas à une photographie d’une population à un moment donné. Elle prend également en compte une dimension dynamique et diachronique dans laquelle l’objet, la population palestinienne du Liban, est situé par rapport à la population arabe de Palestine avant 1948, c’est à dire à la fois par rapport à une antériorité et à une extériorité, car il s’agit aussi de faire apparaître l’impact de l’exode sur cette fraction de la population palestinienne. De fait, quelques traits se dégagent nettement : la baisse de la natalité qui s’exprime clairement dans la structure de la pyramide des âges, l’importance du nombre des orphelins et quelques éléments intéressants touchant à la recomposition de la structure des ménages, en particulier le taux significatif de femmes chefs de famille (plus de 17 %).

Mais l’analyse socio-démographique n’en reste pas aux données globales et aux classifications abstraites, puisqu’elle s’incarne dans des récits de vie. Choix judicieux de quelques figures singulières qui viennent à la fois donner chair à cette population et complexifier l’image réductrice généralement attachée à la mémoire du réfugié des camps, par trop « formatée » par le récit national palestinien et par le mythe construit qu’est la nakba. La parole est ainsi donnée à des femmes issues de couches moyennes ou aisées et parmi elles à des Palestiniennes d’origine libanaise ou arménienne. Ce choix justifie un nouveau retour sur la période mandataire en Palestine, tout à fait pertinent en ce qu’il fait entrevoir l’importance des échanges économiques et humains – matrimoniaux en particulier – qui liaient le Liban et la Palestine avant 1948. Parti pris novateur aussi de témoignages centrés sur le temps même de l’exode, la hijra, trop souvent occulté au profit d’un avant mythifié, ainsi que sur les conditions d’arrivée et d’installation des exilés au Liban. On y découvre ainsi cette représentation libanaise d’une Palestine « où l’on ramassait l’argent par terre » ; on y mesure aussi, dans un autre registre, à quel point le véritable moment de la catastrophe est peut-être celui de la fermeture des frontières qui scelle l’impossibilité du retour.

Si quelques-unes des logiques de l’installation initiale des réfugiés étaient déjà pressenties, que ce soit l’intense mobilité spatiale qui fut la leur au cours des premières années ou la mise en place très progressive des camps, l’ouvrage de Jihan Sfeir vient les confirmer et les étayer tout en apportant un certain nombre d’éléments nouveaux. L’image globale du processus d’installation fait apparaître la complexité des stratégies familiales, villageoises, communautaires ou professionnelles qui sont intervenues dans le regroupement territorial des réfugiés. Elle souligne également la pluralité des acteurs, notabilitaires, communautaires ou autres, impliqués dans ce processus, des acteurs parmi lesquels le moins impliqué à cette période est sans aucun doute l’État libanais.

La question de l’interface libano-palestinien constitue le deuxième axe fort de cet ouvrage. Il ne s’agit pas seulement ici d’analyser la gestion de la population réfugiée par le jeune État libanais mais d’évaluer la place du facteur palestinien dans les logiques de construction de la communauté nationale libanaise.

L’auteur met notamment l’accent sur la double clôture, territoriale et légale, qui entre dans cette construction :

  • - clôture territoriale avec la fermeture de la frontière méridionale du Liban,
  • -clôture légale et politique avec l’exclusion d’une majorité de réfugiés palestiniens des bénéfices de la citoyenneté libanaise.

Les problématiques de la clôture territoriale pourraient sans doute être approfondies en y incluant le registre des mémoires libano-palestiniennes, qui furent des mémoires partagées avant d’être des mémoires affrontées. Mais la question de la clôture légale est à l’évidence centrale et le travail la restitue parfaitement en procédant à l’analyse circonstanciée du droit libanais de la nationalité : loi de 1925 fixant les conditions d’acquisition de la nationalité, lois sur la naturalisation de 1934 et 1939, loi sur la perte de la nationalité de 1946, loi de 1949 enfin sur la restitution de la nationalité, qui a notamment bénéficié à un certain nombre de Palestiniens d’origine libanaise. Bel exemple du rôle joué par les non-nationaux dans la construction d’une communauté nationale.

Le travail restitue bien le contexte d’extrême jeunesse de l’État libanais, les incertitudes du temps, la crise économique, le défi constitué par la guerre de Palestine de 1948 mais aussi les instrumentalisations dont elle a pu faire l’objet sur la scène politique intérieure libanaise.

L’analyse de l’interface libano-palestinien souffre peut-être parfois d’une tendance à projeter sur la période traitée (1947-1952) des enjeux qui lui sont postérieurs. On ne peut ainsi étayer la problématique de l’altérité palestinienne au Liban, a fortiori celle du Palestinien « ennemi de l’intérieur », qu’en prenant en compte une histoire nettement postérieure à l’installation à Beyrouth de la direction du mouvement national palestinien, postérieure aux affrontements libano-palestiniens, postérieure enfin à la récente guerre civile. Il reste que l’ouvrage de Jihane Sfeir constitue désormais une référence indispensable dans le champ des études palestiniennes comme dans celui des modes de construction historique des communautés nationales au Proche-Orient.

Nadine Picaudou (Professeur, Université Paris1 – Panthéon-Sorbonne)

Dernière mise à jour : 6 novembre 2008



Jihane Sfeir est docteur d’histoire et chercheure invitée à la chaire d’histoire Contemporaine du Monde Arabe où elle a occupé un poste d’ATER de novembre 2005 à août 2007. Depuis septembre 2007 elle est chargée de cours à l’Université Américaine de Paris. Elle est également chercheure post-doctorante à l’Institut de l’étude de l’Islam et des Sociétés des Mondes Musulmans à l’EHESS.

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Israël a toujours craint le caractère multiconfessionnel du Liban et misé sur sa désintégration. Mais, contrairement aux précédents, ce conflit ne semble pas avoir réussi à y rallumer la guerre civile.

Pourquoi Israël s’acharne sur le Liban

Par Georges Corm

Israël dès sa naissance, en tant qu’« Etat des juifs », pour reprendre le titre du livre de Theodor Herzl, fondateur du mouvement sioniste en 1897, s’est heurté à la survivance plus que millénaire du pluralisme religieux au Proche-Orient, notamment entre chrétiens orientaux et musulmans sunnites, chiites, druzes ou alaouites. En Palestine, en Syrie, au Liban, en Irak, en Egypte, des communautés religieuses diverses, y compris juives, vivent entrelacées (1). Créer dans ce milieu pluriel un Etat exclusivement pour les juifs n’allait donc pas manquer de se heurter à une vive résistance.

Les premiers à s’alarmer du côté arabe, dès le début du XXe siècle, furent les chrétiens de Palestine, du Liban et de Syrie : ils sentirent la menace que faisait planer sur leur propre sort l’avènement d’un tel Etat, fondé sur le monopole d’une communauté alimentée par un apport démographique étranger à la région : les juifs ashkénazes fuyant les persécutions en Russie et en Europe orientale. Aux yeux des communautés chrétiennes orientales, l’entreprise sioniste, appuyée par les puissances coloniales européennes, ne manquerait pas de ressembler aux croisades, et donc mettrait en péril les bonnes relations séculaires entre chrétiens et musulmans du Proche-Orient. Par ailleurs, un tel succès pourrait amener certains, dans les communautés chrétiennes locales, à vouloir jouir du même droit que les juifs venus d’outre-mer à un Etat communautaire chrétien.

Les colons juifs, de leur côté, avant même la création de l’Etat d’Israël, considérèrent parfois les minorités chrétiennes du Proche-Orient comme de possibles alliés. Leur espoir fut cependant déçu : les chrétiens du Grand Liban, établi par la France mandataire en 1919, restèrent dans l’ensemble insensibles. En prêchant un retour aux sources phéniciennes du Liban, le poète libanais d’expression française Charles Corm ne cherchait nullement à copier l’idéologie sioniste, mais à fonder un nationalisme libanais moderne transcendant les clivages entre chrétiens et musulmans. A cette même époque, le nationalisme égyptien invoque aussi des racines pharaoniques, et le nationalisme irakien naissant le glorieux patrimoine babylonien.

Michel Chiha, un autre Libanais francophone et francophile, brillant journaliste à l’influence politique profonde, mit en garde les Libanais contre la déstabilisation qu’Israël allait provoquer dans tout le Proche-Orient. Il les sensibilisa à l’hostilité que le Liban allait polariser, son pluralisme communautaire en faisant l’antithèse de l’exclusivisme communautaire israélien. Sans doute, celui qui sensibilisa le plus les Libanais au destin difficile de leur pays, confronté à l’épreuve de l’émergence de l’Etat d’Israël, fut un prêtre maronite, Youakim Moubarac, qui consacra son œuvre abondante au dialogue islamo-chrétien et à la place centrale du Liban et de la Palestine dans ce dialogue (2).

Il n’est donc pas étonnant de voir l’armée libanaise participer aux combats de la guerre de 1948, aux côtés des autres armées arabes ; en 1949, un accord d’armistice est signé entre le Liban et Israël. Sagement, l’armée libanaise s’abstint de participer à la guerre de juin 1967, durant laquelle Israël occupa le Sinaï égyptien, le Golan syrien ainsi que Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza palestiniennes. Pourtant, le Liban ne réussit pas à échapper aux tensions de plus en plus vives que cette guerre avait créées au Proche-Orient. Ses libertés démocratiques et la multiplicité des sensibilités politiques le transformèrent en caisse de résonance des graves troubles suscités dans tout le monde arabe par la victoire israélienne de 1967.

Par ailleurs, l’ampleur de la défaite des pays arabes et l’occupation de toute la Palestine entraînent de profonds bouleversements dans la société palestinienne, avec l’affirmation de mouvements armés recrutant dans les camps de réfugiés, notamment en Jordanie et au Liban – qui en accueillirent le plus grand nombre par rapport à leur population et à leur taille. Chassés de Jordanie en 1969 par la répression de l’armée jordanienne (« Septembre noir »), les mouvements de résistance palestiniens élargissent leur implantation au Liban, d’où ils mènent parfois des opérations de guérilla contre Israël à partir de la frontière. D’où la politique de représailles massives de l’armée israélienne contre les pays qui les abritent. Au Liban, en décembre 1968, un commando aéroporté israélien détruit toute la flotte civile aérienne libanaise, y provoquant de profonds remous politiques et une paralysie de plus en plus évidente du gouvernement.

En fait, à partir de la guerre israélo-arabe de 1973, le Liban devient le champ de bataille unique de la confrontation avec Israël, les fronts syriens et égyptiens étant totalement neutralisés (3). Ainsi s’ouvre le chemin qui mènera à la conflagration de 1975. Proposé par beaucoup de partis palestiniens comme un modèle pour une future Palestine laïque et démocratique, intégrant juifs, chrétiens et musulmans sur un pied d’égalité, le Liban sombre dans la violence (4).

Une coalition de partis laïques libanais se met en place sous l’étiquette de Mouvement national, solidaire des groupes armés palestiniens. Celui-ci comprend les diverses factions d’obédience nassérienne, largement implantées dans la communauté sunnite, le Parti communiste, le Parti populaire syrien et le Parti socialiste de Kamal Joumblatt, père de M. Walid Joumblatt. En face, le Parti phalangiste, sous l’influence d’un ancien ministre des affaires étrangères, Charles Malik, très proche des Etats-Unis, commence à s’armer et prétend regrouper tous les chrétiens sous l’emblème d’un Front libanais. Ce dernier entend libérer le Liban de l’emprise révolutionnaire palestinienne, soutenue par l’URSS et les pays arabes dits « radicaux ».

Pour Israël, cette conjoncture libanaise, alimentée par sa politique de représailles massives, remet à l’ordre du jour un dessein stratégique datant du début des années 1950 : faire émerger, au Liban, un Etat chrétien allié de l’Etat juif et justifiant la légitimité de ce dernier au Proche-Orient (5). En envahissant le sud du Liban jusqu’au fleuve Litani en 1978, son armée, conformément au vieux plan de David Ben Gourion, met en place une milice de supplétifs débauchés de l’armée libanaise, avec à sa tête un officier chrétien dissident ; cette milice proclame en avril 1979 un Etat du « Liban libre » sur les 800 km2 que l’armée israélienne occupera jusqu’en 2000, en infraction à la résolution 425 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Dans le même temps, bien que l’armée syrienne entre au Liban au printemps 1976 pour arrêter une avance des troupes de la coalition des mouvements palestiniens (6) et du Mouvement national contre les places fortes du Front libanais, les partis composant ce dernier entrent en relation avec Israël avec la bénédiction de Washington. Se met progressivement en place une stratégie commune visant à imposer un changement politique total au Liban : le Parti phalangiste, profitant d’une nouvelle invasion israélienne, prendrait le pouvoir et conclurait un accord de paix avec Israël sous patronage américain ; les mouvements armés palestiniens seraient éradiqués. Cette stratégie se concrétise lors de l’invasion de 1982, au cours de laquelle le général Ariel Sharon assiège Beyrouth de juin à fin août, puis installe un pouvoir phalangiste au Liban, avec la caution des Occidentaux, de l’Arabie saoudite et de l’Egypte.

En pleine agression, le Parlement libanais élit un président de la république phalangiste (Bechir Gemayel), puis, à la suite de l’assassinat de celui-ci, son frère Amine. Sous pression américaine, le nouveau pouvoir signe un traité de paix inégal avec Israël en 1983. Dans le même temps, deux cent mille chrétiens de la zone du Chouf – région montagneuse au sud-est de Beyrouth – sont déplacés par la force : l’armée israélienne avait encouragé les milices chrétienne et druze à s’entretuer, avant de se retirer de cette zone. Quant aux organisations armées des partis laïques libanais, piliers de la résistance à l’occupation depuis 1978, le pouvoir phalangiste les désarme et les pourchasse, avec l’appui de la Force multinationale d’interposition expédiée au Liban en août 1982 pour aider à l’évacuation des combattants palestiniens et protéger les populations civiles – avec le succès que l’on sait à Sabra et Chatila... Voilà qui crée les conditions de la constitution du Parti de Dieu, le Hezbollah, qui recrute dans la communauté chiite, galvanisée par la révolution religieuse iranienne, et de sa mobilisation tenace pour en finir avec l’occupation israélienne du Sud.

Faute d’avoir pu être satellisé aux Etats-Unis et à Israël, le Liban s’enfonce dans une spirale de désintégration communautaire. En 1990-1991, en récompense de son ralliement à la coalition anti-irakienne, les Occidentaux en accordent le contrôle à la Syrie. Le pays se transforme en condominium saoudo-syrien, lorsque Rafic Hariri, l’homme de confiance du roi d’Arabie saoudite, accède au poste de premier ministre : il l’occupera sans interruption de 1992 à 1998, puis de 2000 à 2004, entraînant le pays dans une vague sans précédent de spéculations foncières et financières. Le Liban hérite ainsi d’une dette de 40 milliards de dollars, mais une kyrielle de proches, de courtisans, de princes arabes, d’officiers syriens, de banques locales et de fonds d’investissement s’enrichissent au-delà de toute imagination.

Adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en septembre 2004, la résolution 1559 vient remettre en cause le statut fragile du Liban. A la suite de l’invasion de l’Irak et conformément à leur projet de « Nouveau Moyen-Orient », les Etats-Unis refusent de laisser le pays du Cèdre dans l’orbite de l’axe syro-iranien, dont le Hezbollah, selon eux, représente une simple émanation : ils entendent donc l’éradiquer. La résolution condamne toute reconduction du mandat du président libanais Emile Lahoud (considéré comme le principal appui de cette organisation déclarée « terroriste » par les Etats-Unis) ; elle exige le retrait des troupes syriennes, le déploiement de l’armée libanaise au sud du Liban et le désarmement de toutes les milices – entendez le Hezbollah, pourtant qualifié de « résistance » au Liban et dans tout le monde arabe, mais aussi les organisations palestiniennes encore présentes.

Avec un aveuglement peu commun, la diplomatie française prit l’initiative de cette résolution, sans doute afin de se réconcilier avec les Etats-Unis après la brouille sur l’Irak. Mais, du même coup, elle faisait sombrer le Liban dans la pire déstabilisation, le renvoyant à sa situation entre 1975 et 1990 : un espace d’affrontement entre toutes les forces antagonistes au Proche-Orient. Les plans de réoccupation du sud du Liban furent alors mis en route. Parallèlement, les Etats-Unis et la France, après l’assassinat de Rafic Hariri, travaillèrent activement à faire émerger au Liban un pouvoir local favorable aux thèses américaines, dites du 14 mars, cimentées autour de la famille Hariri et de M. Joumblatt.

Le Conseil de sécurité se saisira d’ailleurs de l’assassinat de l’ancien premier ministre, adoptant une série impressionnante de résolutions concernant la constitution d’une commission d’enquête internationale, puis celle d’un tribunal international, ainsi que la réaffirmation de la nécessité de voir le gouvernement libanais appliquer la résolution 1559. Cette agitation de l’instance suprême des Nations unies contraste étrangement avec sa passivité, lorsque, en juillet 2006, Israël prend en otage l’ensemble du peuple libanais, détruit des régions entières, dont il assassine les habitants par centaines et condamne des dizaines de milliers d’autres à l’exode...

Décidément, le Liban continue de gêner considérablement Israël et la « communauté internationale », qui soutient ou laisse lâchement se perpétrer cette agression hors normes, parallèle à celle qui est exercée à l’encontre de ce qui reste de la Palestine. Le couple américano-israélien n’a pas mieux réussi, en 2006, la « chirurgie » pratiquée en 1982 qui a mis le Liban à l’agonie durant de nombreuses années, tout comme la Palestine aujourd’hui.

La « guerre des civilisations », cadre théorique de la doctrine de la guerre contre le « terrorisme » et le « fascisme islamique », prêchée par l’administration américaine depuis 2002 ne risque-t-elle pas de plonger à nouveau les Libanais dans une guerre sanglante entre communautés ? La vocation libanaise de terre symbole du pluralisme religieux, qui contrarie tant les Israéliens, pourra-t-elle survivre à ce nouveau coup de boutoir ? Il est certes réconfortant de voir que la majorité des chrétiens du Liban, à la différence de leur état d’esprit en 1975, retrouvent leur patrimoine intellectuel et politique évoqué ci-dessus.

Ancien général en chef de l’armée libanaise qui tenta vainement, en 1989-1990, de bouter la Syrie hors du Liban, le général Michel Aoun fait désormais figure d’homme le plus populaire dans la communauté chrétienne. Lui-même enfant de la banlieue sud de Beyrouth, il s’est déclaré solidaire du nouveau malheur qui frappe le pays, mais encore plus durement la communauté chiite dont les zones d’habitation ont été ravagées. Ce faisant, il a érigé un barrage contre la nouvelle discorde communautaire que la violence hors normes de l’action israélienne s’efforce de provoquer : celle-ci constituerait le meilleur atout de l’Etat juif et de ses alliés à Washington pour tenter à nouveau, comme en 1982, de briser cette nation « rebelle » et de la satelliser.

Les sirènes du « clash des civilisations » et la lassitude de tout un pays qui, depuis 1975, supporte seul, avec les Palestiniens, le poids de la machine de guerre israélienne n’auront-elles pas raison, à la longue, de l’admirable résistance de la société libanaise à tous les malheurs qu’elle affronte ? Les nombreuses lacunes de la résolution 1701 du Conseil de sécurité ne vont-elles pas être utilisées pour permettre à Israël et aux Etats-Unis de dicter leur volonté au gouvernement libanais et de s’immiscer dans ses affaires intérieures, comme ils n’ont cessé de le faire depuis l’adoption de la résolution 1559 ?

Nombre de Libanais souhaitent voir leur pays neutralisé dans le conflit israélo-palestinien, coupé de son arrière-pays syrien, devenant ainsi un Monte-Carlo pour riches émirs pétroliers du « nouveau Moyen-Orient » promis par M. George W.Bush. Mais ce vieux rêve pusillanime ne saurait permettre au Liban de faire face aux défis historiques qui lui sont lancés. De plus, le spectre de la guerre civile à laquelle, sous couvert de « démocratisation », les Etats-Unis poussent l’Irak et l’affrontement entre sunnites et chiites que les régimes arabes clients soumis des Etats-Unis attisent dans la région hantent désormais tous les esprits.

Cette désintégration participe des plans israéliens et américains. Elle ouvrirait alors la porte à encore plus de chaos et de souffrances. Le Liban saura-t-il s’en protéger et conserver le formidable élan de solidarité de toutes les communautés face à l’agression ? Seul l’avenir le dira.

Georges Corm.

Georges Korm possède son site perso :

Georges Corm, est économiste de profession, spécialiste du Moyen-Orient et de la Méditerranée, consultant auprès d’organismes internationaux et d’institutions financières. Il a été ministre des finances du Liban durant les années 1999 – 2000.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


(1) Cf. Histoire du pluralisme religieux dans le bassin méditerranéen, Geuthner, Paris, 1998.

(2) Cf. Youakim Moubarac, un homme d’exception, La Librairie orientale, Beyrouth, 2004.

(3) La signature par Anouar El-Sadate, sous égide américaine, d’un traité de paix avec Israël (1978) a relancé les violences au Liban (cf. Le Liban contemporain, La Découverte, Paris, 2005). En revanche, sur le front syrien – le Golan occupé – règne jusqu’à aujourd’hui un calme qui contraste avec la longue déstabilisation du Liban.

(4) Au cours de son célèbre discours du 12 novembre 1974 devant l’Assemblée générale des Nations unies, Yasser Arafat parlera de son « rêve » de voir émerger « un seul pays démocratique où chrétiens, juifs et musulmans vivront dans un Etat fondé sur une base de justice, d’égalité et de fraternité ».

(5) Lire « La balkanisation du Proche-Orient. Entre le mythe et la réalité », Le Monde diplomatique, janvier 1983.

(6) Un de ses premiers actes sera, au cours de l’été, le massacre du camp palestinien de Tal Al-Zaatar.

« L’aéroport de Beyrouth a une importance stratégique pour le Hezbollah »
Tariq Saleh (BBC Brésil) , August 21, 2008

(Publié le 01 août 2008) Principale porte d’entrée et de sortie des étrangers, au Liban, l’aéroport de Beyrouth a une grande importance stratégique pour l’organisation du Hezbollah, a confié à la BBC Bilal D, un « commandant » du groupe chiite, responsable de la sécurité dans deux quartiers situés tout près de l’aéroport.

Toutefois, il nie que son organisation dispose d’une structure de sécurité parallèle, à l’intérieur de l’aéroport. Mais il confirme que le Hezbollah y a des alliés et utilise son influence auprès du département de sécurité de l’aéroport dont le chef est le général chiite Wafic Choucair.

« Le Hezbollah ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui s’il n’avait pas des yeux là-dedans. L’aéroport est stratégique pour la Résistance, car beaucoup d’étrangers au service de l’ennemi entrent par là », déclare-t-il.

L’influence de l’organisation chiite dans le contrôle de l’aéroport est connue et a été à l’origine des affrontements de mai dernier.

Mais, pour beaucoup de personnes, le groupe chiite contrôle de fait et de manière effective toute personne qui entre et qui sort du Liban, par l’aéroport de la capitale.

Un officier des Forces de la sécurité intérieure (FSI) qui travaille à l’aéroport, a dit à la BBC que le groupe opère en un plan de sécurité parallèle à celui du gouvernement libanais à l’aéroport de Beyrouth, principale porte d’entrée et de sortie des étrangers. Selon lui, le général Wafic Choucair est un fort allié de l’organisation chiite.

« Avec l’influence de Choucair, le Hezbollah a même des militants camouflés en fonctionnaires de sécurité, dans la zone de débarquement des passagers. Tous sont contrôlés, principalement les étrangers », a dit l’officier. « Ce n’est pas un secret que le Hezbollah contrôle l’aéroport. Quand le gouvernement a tenté de changer cette situation, il y a eu les affrontements de mai », a-t-il ajouté.

En mai, le gouvernement a ordonné la mutation de Choucair de son poste, en raison de ses relations avec le Hezbollah. La mesure fut l’une des causes des protestations qui aussitôt tournèrent en violence, faisant 65 morts et 200 blessés.

Le gouvernement a fini par revenir sur sa décision et a réintégré le général  à son poste à  l’aéroport. Un accord de paix eut lieu entre les deux parties, par l’intermédiaire du Qatar.

L’analyste politique Sami Saad dit que le gouvernement libanais essaie depuis longtemps de neutraliser le pouvoir parallèle du Hezbollah sur l’aéroport, mais sans succès. « Le Hezbollah contrôle qui entre et qui sort, dit-il. A ses yeux les forces de sécurité ne sont pas objet de confiance, simplement parce qu’il n’a pas confiance dans ce gouvernement, duquel maintenant lui-même fait partie ».

La semaine dernière, la brésilienne Nariman O.C. et son fils ont été empêchés d’embarquer de retour au Brésil, par ordre d’un tribunal religieux de Baalbek, ville qui est une forteresse du Hezbollah. Elle tentait de fuir de son mari, le Libanais Ahmed Holeihel, qui serait partisan du Hezbollah. Selon Nariman, Holeihel la battait constamment et la menaçait de mort.

Le document du tribunal de Baalbek n’était pas considéré officiel par le gouvernement, mais, selon une source des FSI, écoutée par la BBC, le Hezbollah achemina l’ordre au Département de sécurité de l’aéroport, l’insérant dans le système électronique de contrôle, et interdisant à la brésilienne et à son fils de quitter le Liban.

Pendant que le consulat brésilien et un avocat essaient de résoudre la question, Nariman et son fils demeurent introuvables.

Pour Saad, le fait que le nom de la brésilienne figure dans la liste de personnes à qui il est interdit de voyager, ainsi que l’implication du Hezbollah dans l’acheminement d’un ordre d’un tribunal religieux, à la demande du mari, ne constitue aucune surprise. « Ce n’est pas la première fois que cela arrive, dit-il. La force du Hezbollah, par laquelle il dicte les normes et contourne la loi au Liban, est très grande »

Les derniers Juifs du Liban (GIN)

*Par David Bronner pour Guysen Israël News*
Mercredi 10 janvier 2007 à 01:36

L'émigration des Juifs du Liban a suivi un cours assez différent de ce lui des Juifs des autres pays arabes. Dirigé par des Arabes chrétiens, le Liban et ses structures politiques permettaient une tolérance relative à l'égard des Juifs. Malgré cette situation relativement favorable, les Juifs se sentirent en danger après la guerre de Kippour, ils émigrèrent alors vers la France, l'Italie, la Grande-Bretagne ou l'Amérique ; une partie d'entre eux s'était établie en Israël en 1967. *

En 1974, il restait 1 800 Juifs au Liban, en majorité à Beyrouth. En décembre 1976, une source américaine évaluait leur nombre à 500.
Aujourd'hui, une centaine de Juifs seulement vivraient encore au Liban, à Beyrouth principalement. Certains disent même qu'il ne resterait que
quarante juifs à Beyrouth, la ville qui abritait autrefois seize synagogu
es, et dont la dernière est en piteux état.

La synagogue centrale "Maguen Avraham" se trouve au coeur de Beyrouth, tout près des bureaux du Premier ministre Fouad Siniora. La façade de la synagogue présente toujours les colonnes sur lesquelles sont gravées des Maguen David. "Maguen Avraham" reflétait autrefois la vitalité de la communauté juive. Son toit est aujourd'hui arraché. L'état de la synagogue est à l'image de la communauté, vestige.

Comment vivent les Juifs du Liban ? Comment survivent-ils ? Sont-ils organisés en communauté ? Subissent-ils pressions et menaces ? Comment ont-ils vécu la dernière guerre qu'Israël a menée contre le Hezbollah ?

Libanais âgé de 70 ans, "Maurice" ne vit à Paris que depuis trois ans, Né à Damas, que ses parents préfèrent quitter alors qu'il est un jeune enfant, il a passé sa vie à Beyrouth, traversant toutes les périodes, de l'âge d'or au chaos. Il continue d'avoir peur, et demande à ce qu'on ne dévoile pas sa véritable identité.

Homme d'affaires connu au pays du cèdre, il a fréquenté l'élite libanaise. Ou plutôt les élites. Les Chrétiens, les Shiites, la famille Hariri, Walid Jumblatt, et puis les Syriens aussi.

Installé aujourd'hui à Paris, Maurice s'inquiète du sort des derniers Juifs du Liban. "Certains parlent d'une centaine, mais je n'arrive pas à en dénombrer plus de quarante personnes. La vérité doit être dans la moyenne."
Maurice sait de quoi il parle. S'il est resté au Liban, c'était pour
accomplir une mission. Evacuer les mille derniers Juifs du Liban, "moins les quarante qui sont restés", dit-il, les yeux fermés. Quarante Juifs. Les sacrifiés de l'Histoire.

"Beyrouth était une très belle ville. Les Juifs, les Shiites, les Sunnites et les Chrétiens vivaient ensemble, dans la paix et en bon voisinage. Il n'y avait que très peu de problèmes entre nous. Les seize synagogues de Beyrouth étaient pleines."

Au début de la guerre civile, la plupart des Juifs ont quitté Beyrouth. En 1982, quand Israël envahit le Liban, Maurice croyait à la paix de Sharon, "je croyais que je pourrais habiter à Naharya et travailler à Beyrouth !" La situation des Juifs ne pouvait qu'empirer. Ils devinrent les ennemis des milices du Hezbollah. Maurice fut lui-même victime de kidnapping. Les preneurs d'otage n'étaient autres que les milices Shiites commandées par Nabih Beri, le dirigeant des milices armées Amal, qui est aujourd'hui le porte-parole du Parlement libanais.

A cette période, il ne restait pas plus d'un millier de Juifs au Liban. En 1985, avant le retrait de Tsahal de la zone de sécurité, il restait encore 700 Juifs. Maurice décida de rester et subit trois tentatives de kidnapping.
Un de ses proches fut pris en otage en avril 1984 et fut assassiné par le
Hezbollah. Il n'était plus possible de mener une vie juive, de rassembler un Minyan ou de se retrouver dans une maison de prière. Les Kurdes et les Shiites prirent le contrôle des lieux juifs. "Maguen Avraham" fut vandalisé, ainsi que le Talmud Torah.

Les Juifs gardèrent des liens avec des responsables politiques chrétiens, ce qui leur garantissait alors un minimum de protection. Certains purent rencontrer Hariri plusieurs fois. Ils lui parlèrent de la possibilité de restaurer la synagogue "Maguen Avraham", fierté des Juifs libanais, construite dans les années 1920.

Des beyrouthins racontent que le Talmud Torah était un immeuble de plusieurs étages qui empêchait la construction d'un parc immobilier financé par la famille Hariri. En 2002, l'ancien Premier ministre libanais proposa aux derniers Juifs de raser l'immeuble du Talmud Torah en échange de la dotation d'un espace de 1500 m², de la réfection du toit de la synagogue et de la rénovation de sa façade.

Mais la promesse ne fut pas tenue. Le Talmud Torah ne fut jamais reconstruit
parce que la communauté n'était plus en mesure de financer le projet.
"Maguen Avraham" ne fut pas non plus restaurée.
Selon la loi libanaise, la rénovation des propriétés, individuelles ou
collectives, est une obligation. En cas d'impossibilité de subvenir aux
financements, les propriétés sont alors transférées à l'Etat. Il y a
quelques mois à peine, la communauté juive de Beyrouth s'est vue notifier par les autorités municipales l'obligation de procéder aux travaux de rénovation de la synagogue, dans les meilleurs délais.

Près de soixante ans après la création de l'Etat d'Israël, quelques dizaines de Juifs vivent encore à Beyrouth. D'autres seraient aussi installés ailleurs au Liban. La religion juive ne se pratique pas, ou peut-être en secret. Les veilles de Kippour, les familles se rendent sur les tombes de leurs parents disparus. Voilà l'unique "sortie religieuse" de l'année.
Les représentants communautaires n'assistent plus aux cérémonies officielles.
Ils refusent de recevoir les visiteurs étrangers, qu'ils soient journalistes
ou touristes curieux.

En 2007, la communauté juive libanaise fait toujours partie de la société multiculturelle et multi religieuse du pays. Elle est un des dix-sept groupes religieux officiellement reconnus par la nation libanaise.

Maurice a quitté le Liban pour Paris en 2004. Il aura passé vingt à essayer de retrouver les corps juifs assassinés par les milices du Hezbollah, afin de leur offrir une sépulture digne. Il voulait protéger son peuple, et voulait être le dernier juif à quitter le Liban. Et puis, il voulait maintenir une présence juive, même symbolique, pour montrer que la haine contre les Juifs est le résultat de l'ignorance.

L'histoire des derniers Juifs du Liban montre que l'antisémitisme du monde arabe n'est pas seulement l'expression d'une opposition au sionisme. Dans son livre "Juifs et Arabes", qu'il publia il y a plus de trente ans, Albert Memmi, dénonçait le mythe : "Les propagandistes arabes musulmans proclament que ces conflits sont la conséquence du sionisme...

D'un point de vue historique, c'est un pur non-sens, le sionisme ne fut pas à la source de l'antisémitisme arabe. La vérité est tout à fait à l'opposé, comme ce fut le cas en Europe. Israël est la réponse à la répression que les Juifs ont rencontrée dans le monde entier, y compris la répression que nous, les Juifs des pays arabes, eûmes à endurer"(1).

Depuis quelques mois, les Juifs du Liban sont l'objet d'une véritable curiosité pour les journalistes de la presse arabe. Le journal saoudien "Okaz" a notamment publié au mois de mars 2006 une série d'articles sur les derniers juifs du Liban. Interrogé, Zeev G. explique qu'il ne prend pas part aux élections, de peur que les médias viennent lui demander "pour qui les Juifs auraient voté"

Il resterait un dernier restaurant beyrouthin tenu par des Juifs, mais la religion des propriétaires est méticuleusement cachée.
Les uns savent, mais gardent le secret dans l'intimité de leur histoire.
Les autres ne savent pas, et c'est mieux ainsi.

Liza Sarour a également été citée dans "Okaz". Elle ne cache plus son nom.
Liza a cinquante ans, mais elle se dit trop vieille, trop pauvre, et trop
seule pour avoir encore quelque chose à craindre.

(1) In MEMMI Albert, Juifs et Arabes, éditions Gallimard, Paris, 1974,