Mivy décoiffe, car il est fait par un chauve

Journal 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2020, 2021, 2022, 2023

Derière mise à jour 25-Fév-2024
Pour m'écrire, ou pour s'abonner à la liste de diffusion

Le scandale des Ehpad
Revue de presse


"Les Fossoyeurs" : un livre-enquête révèle les graves dérives dans les Ehpad du groupe Orpea

France Inter    par Victor Vasseur publié le 25 janvier 2022 à 17h44

Un livre-enquête du journaliste Victor Castanet, "Les Fossoyeurs", s'immisce dans les secrets du groupe Orpea, leader mondial des Ehpad et des cliniques privées. Il révèle la maltraitance que peuvent vivre certains résidents et le fonctionnement interne du groupe.

  Dans une maison de retraite le 9 septembre 2021, à Port-Vendres, dans les Pyrénées-Orientales (Image d'illustration). © AFP / Aline Morcillo

Un constat sidérant. Après trois ans d’enquête, le journaliste d’investigation Victor Castanet publie mercredi "Les Fossoyeurs" (Fayard), une enquête au cœur d'Orpea, leader mondial des Ehpad et des cliniques privés, qui gère près de 1.200 établissements en Europe et en Amérique latine dont 200 Ehpad en France. Le journaliste y dénonce de graves défaillances dans les établissements du groupe : des couches et des produits alimentaires rationnés, maltraitance des résidents et une gestion "contestable" de l'argent public. Le groupe réfute ces accusations.

Des dysfonctionnements signalés par des soignants

L'enquête de Victor Castanet évoque notamment l'établissement "Les Bords de Seine" à Neuilly, près de Paris. Vitrine du groupe Orpea, "l’un des plus luxueux et les plus chers de France" précise le journaliste, invité du 13/14 de France Inter. "C'est entre 7.000 euros et jusqu'à 15.000 euros par mois", environ 10.000 euros par mois en moyenne. Le point de départ, raconte-t-il, ce sont des témoignages du personnel soignant et des cadres de santé, qui "m’alertent sur des cas de dysfonctionnement dans cet établissement". Victor Castenet s’interroge : "Comment est-ce possible, dans un établissement si luxueux et si cher, que nous ayons face à de telles dérives ?"

Le journaliste cite le témoignage d'une auxiliaire de vie, Saïda : "Elle me raconte qu'elle se croyait en temps de guerre, elle rationnait le nombre de protections qu'elle pouvait donner à ses résidents, au maximum trois par jour. Mais ça pouvait être moins. Elle rationnait aussi les produits alimentaires, les biscottes. Elle me raconte que souvent, il manquait de pain et manquait de lait. Il lui arrivait parfois de devoir piquer dans les stocks des placards pour pouvoir nourrir les résidents."

Un ou deux soignants pour 14 résidents

Victor Castanet décrit une patiente couverte de bleus, un autre enfermé dans sa chambre, certains pas assez alimentés. A Neuilly, au quatrième étage des "Bords de Seine", il n'y a qu'un ou deux soignants pour 14 résidents. La nuit, ils sont trois pour 125 lits. Son enquête l’a mené à visiter des Ehpad à Marseille, à Aix-en-Provence, en Bretagne, en Normandie. "On m’a rapporté exactement les mêmes dysfonctionnements, c'est-à-dire des carences en personnel et des rationnements au niveau des produits de santé et d'alimentation." Il constate également un "turn-over très inquiétant au niveau du personnel soignant". "On faisait appel à des vacataires sur des postes censés être permanents", ajoute-t-il.

"J’ai quitté une maison de retraite Orpea, parce que je me sentais maltraitant vis-à-vis des résidents."

Sur France Inter, un auditeur, Etienne, raconte avoir vécu et subi en tant que soignant, une expérience similaire à celle décrite par Victor Castanet. "J’ai quitté une maison de retraite Orpea, parce que je me sentais maltraitant vis-à-vis des résidents, avec un manque de personnel et un manque de moyens." 

Une gestion "contestable" de l’argent public

L’enquête de Victor Castanet révèle, selon lui, "une gestion contestable de l'argent public" avec "une partie de l'argent public qui devait être allouée au bénéfice des personnes âgées" au final "pas utilisé à leur profit". Il existe  en effet différentes sources de financement pour les maisons de retraite. D’abord, le tarif hébergement, la prestation hôtelière payée par le résident ou sa famille. Il y a aussi le forfait dépendance, pris en charge en partie par le conseil départemental, puis le forfait soin, financé par l’Assurance maladie. 

"Le grand public ne le fait pas forcément, mais Orpea, qui génère pourtant des milliards d'euros de chiffre d'affaires par an, reçoit des dotations publiques. Pour chacun de ces Ehpad, c'est entre un et deux millions d'euros de dotations publiques annuelles", détaille Victor Castanet.   

Le gouvernement saisit Orpea

Après la publication des "bonnes feuilles" de l'ouvrage dans le journal Le Monde lundi, le cours en bourse du groupe a dégringolé de 16%. La chute se poursuit mardi, de 15%, malgré la suspension de 24 heures de sa cotation. L'entreprise conteste "formellement" les accusations, qu'elle juge "mensongères, outrageantes et préjudiciables". Le gestionnaire de maisons de retraites affirme avoir saisi ses avocats au sujet d'éventuelles suites judiciaires à donner. " Nous sommes choqués [...] Ce qui est démontré de l'entreprise comme un système est absolument faux", réagit à Franceinfo le directeur général des Ehpad Orpea, Jean-Christophe Romersi. "Bien sûr, nous ne sommes pas infaillibles. Il peut y avoir des dysfonctionnements", mais "nous sommes ouverts à la dicussion, à l'échange, à l'explication, nous n'avons rien à cacher"

Suite à ces révélations, le gouvernement a pour sa part saisi le groupe Orpea pour lui demander des réponses sur ces accusations. "Je verrai s'il y a lieu de diligenter une enquête de l'inspection générale sur l'ensemble du groupe, pour vérifier quelles sont les procédures en vigueur et quelles sont les conditions dans lesquelles les résidents sont pris en charge" a indiqué mercredi le ministre de la santé Olivier Véran devant l’Assemblée nationale.

Les députés socialistes ont également demandé que les parlementaires puissent disposer d'un droit de visite dans les Ehpad sur le modèle de ce qui se pratique pour les lieux de privation de liberté. "Ces visites peuvent faire bouger les choses. En cas de dysfonctionnements les groupes privés risquent le "name and shame" et cela peut avoir un effet bénéfique sur la prise en charge des résidents" explique la députés Pires Beaune.

 a

COMMUNIQUÉ DE PRESSE Puteaux, le 24 janvier 2022

Un article publié ce jour dans le journal Le Monde dévoile les premiers éléments d’un ouvrageà paraitre visant ORPEA. Ces éléments, polémiques et agressifs montrent une volonté manifeste de nuire. Nous contestons formellement l’ensemble de ces accusations que nous considérons comme mensongères, outrageantes et préjudiciables.

De telles attaques ne sont malheureusement pas nouvelles mais sont extrêmement violentes dans un contexte où nos équipes sont encore plus mobilisées depuis deux ans par la crise sanitaire. Nous ne pouvons pas laisser de telles dérives sensationnalistes et mensongères ternir l’image d’ORPEA et du secteur.

ORPEA, ses dirigeants et ses collaborateurs ont toujours placé, depuis trente ans, le bien-êtredes résidents, l’accompagnement des équipes et l’éthique professionnelle au cœur des critères de leur action et du développement de l’entreprise. Le Groupe procède chaque année à une enquête de satisfaction auprès de ses résidents et familles, réalisée par un organisme externe indépendant, dont les derniers résultats montrent un taux de recommandation moyen de 95%.

Par ailleurs, ORPEA exerce son activité dans un secteur qui fait l’objet de règlementations strictes et de contrôles réguliers par les autorités publiques. Il n’aurait évidemment pas été en mesure d’assurer son développement en France et à l’international s’il ne respectait pas scrupuleusement les obligations qui sont les siennes.

ORPEA, ne disposant pas du livre à ce jour, a d’ores et déjà saisi ses avocats pour y donner toutes les suites, y compris sur le plan judiciaire, afin de rétablir la vérité des faits et défendre son honneur ainsi que celui de ses collaborateurs qui remplissent quotidiennement une mission admirable, avec conscience professionnelle et engagement.

A propos d’ORPEA (www.orpea-corp.com)

Créé en 1989, ORPEA est un des principaux acteurs mondiaux de la prise en charge globale de la Dépendance, avecun réseau de 1 156 établissements pour 116 514 lits (dont 26 359 lits en construction) dans 23 pays, répartis sur 5 zones géographiques :

- France Benelux : 586 établissements / 49 207 lits (dont 5 672 en construction)

- Europe Centrale : 268 établissements / 28 419 lits (dont 5 828 en construction)

- Europe de l’Est : 142 établissements / 15 255 lits (dont 4 101 en construction) - Péninsule Ibérique / Latam : 158 établissements / 23 108 lits (dont 10 373 en construction)

- Autre pays : 2 établissements / 525 lits (dont 385 en construction).

ORPEA est cotée sur Euronext Paris (ISIN : FR0000184798) et membre des indices SBF 120, STOXX 600 Europe, MSCI Small Cap Europe et CAC Mid 60.

Tri des malades, hygiène douteuse, surtaxe : les révélations d'une ex-directrice d'Orpea

Entretien

https://www.marianne.net/       Propos recueillis par 

Publié le 02/02/2022 à 16:25

"Orpea, un système bien rodé pour que l'État ne voie rien"
AFP

Leader français et européen des maisons de retraite, Orpea est en pleine tourmente. Maltraitances, gruge de l’État et des mutuelles… Emma* a dirigé plusieurs établissements, dans la filière Ehpad et dans la branche clinique. Pour « Marianne », elle révèle une incroyable série de dysfonctionnements.

Marianne : Combien de temps avez-vous travaillé pour le groupe Orpea ?

Emma : Je suis restée environ sept ans. J’ai dirigé plusieurs sites du groupe, dans la branche Clinea, qui gère des cliniques, mais aussi dans celle qui s’occupe des Ehpad. J’ai été de plus en plus mal à l’aise avec leur gestion et leurs façons de faire. Ce sont des machines à cash. Au détriment de l’État, des mutuelles, et souvent des patients…

Dans quelles conditions êtes-vous partie ?

J’ai été licenciée sous de faux prétextes parce que j’avais en réalité dénoncé certaines pratiques. Les prud’hommes m’ont donné entièrement raison, et Orpea n’a pas fait appel. Moi, je ne pouvais plus cautionner ce système déshumanisé et mercantile. L’autre chose difficile à vivre, c’était l’emprise de la DRH. En tant que directeur, nous subissions une pression un an avant les élections pour élaborer des stratagèmes afin de « recruter » pour le syndicat « maison » : Arc-en-Ciel. Le but étant d’écarter la CGT, la CFDT et FO…

Le livre les Fossoyeurs révèle le cas de l’Ehpad de Neuilly. Est-ce un cas isolé ?

Pas du tout, c’est comme cela à grande échelle. Quand je suis arrivée à la tête d’un Ehpad, faute de personnel, les résidents déjeunaient souvent dans leur chambre. Il n’y avait qu’un salarié pour 15 personnes âgées. Les plateaux étaient déposés en chambre… et personne ne les faisait manger, sauf quand les familles étaient présentes. Il suffit de contrôler les pertes de poids et l’albuminémie pour prouver ce triste constat.

Mais comment ces personnes âgées mangeaient-elles ?

Certains midis, elles ne mangeaient pas. J’ai proposé qu’on s’y mette tous et qu’on les descende en salle à manger. Mais, faute de personnel, il fallait que tout le monde aide, y compris les administratifs. Tous ont accepté ! Dans cet Ehpad, l’habitude avait été prise de superposer deux couches l’une sur l’autre par personne âgée chaque soir pour gagner du temps lors des changes de fin de nuit…

À LIRE AUSSI : "Un actif comme les autres" : comment des Ehpad sont devenus des machines à cash

Le personnel, à trois la nuit pour une centaine de résidents, fait ce qu’il peut. Les personnes âgées gardaient leur pyjama vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand on les habillait en civil, on le leur laissait toujours dessous, là encore pour gagner du temps le soir. Le personnel faisait aussi le minimum de toilette, les toilettes intimes et les dessous-de-bras… On appelle cela « tête, main, cul ». La réalité, c’est que, partout, les soignants ne sont pas assez nombreux et sont débordés. La direction générale n’a qu’un seul but, limiter les coûts !

Comment par exemple ?

Les repas ! Dans les branches Ehpad et clinique, c’est la même chose, chaque établissement à un budget de repas qu’on appelle CRJ (coût repas journalier). En général, cela tourne autour de 5 € par patient. Cela peut aller jusqu’à 6 ou bien descendre à 4. Le chef cuistot dispose de cette somme pour faire manger le matin, le midi, le goûter et le dîner.

À LIRE AUSSI : Maltraitance en Ehpad : le gouvernement lance deux enquêtes contre Orpea

Dans certaines cliniques, faute de budget, on supprimait carrément les goûters. Ou bien la viande bon marché était si dure que les personnes âgées ne pouvaient pas la mâcher. C’est d’autant plus mission impossible de nourrir les gens correctement avec ce budget qu’en plus Orpea exige qu’on s’approvisionne exclusivement auprès des « fournisseurs maison ». Or ces derniers, sélectionnés par le groupe, sont parfois plus chers que les commerçants du coin ! En fin de mois, il faut régulièrement faire des arbitrages dramatiques entre les produits d’entretien, la qualité des repas ou l’achat de matériel médical !

Mais il n’y a pas de contrôles ?

On est toujours mis au courant en amont d’un contrôle de l’agence régionale de santé (ARS) ! Ils ne viennent jamais à l’improviste. On reçoit un courrier pour nous signifier le pourquoi de cette visite avec la date fixée et les documents demandés. Et, de toute façon, le groupe a suffisamment de contacts pour le savoir à l’avance. À chaque contrôle, on a le temps de se préparer. On décore, il nous arrive de refaire les plannings, on prépare les salariés… C’est un système bien rodé pour que l’État n’y voie rien. Le grand dindon de la farce, c’est lui… Dans les cliniques, c’est encore pire.

Comment cela fonctionne-t-il ?

La branche Clinea d’Orpea gère des cliniques de soins de suite et de réadaptation ainsi que des cliniques psychiatriques. Le système est extrêmement rentable sur le dos de l’État et des mutuelles, sans oublier le reste à charge pour les patients. La première triche qu’on vous apprend quand vous arrivez dans une clinique, c’est que, au lieu des lits autorisés par la Sécu, vous en avez en réalité 5 à 10 % de plus. Résultat, grâce à des transformations de locaux ni vu ni connu, vous êtes toujours à 100 % d’occupation en fin d’année.

À LIRE AUSSI : Management par la terreur, détournement d'argent public : enquête sur les Ehpad

L’autre priorité est de ne prendre que des malades avec de bonnes mutuelles. Bien sûr qu’on sélectionne ! C’est facile avec le logiciel Trajectoire, mis en place par l’ARS : on appelle les familles, sous prétexte d’une demande de l’hôpital, et on connaît facilement la mutuelle. On sait ensuite combien on peut facturer le prix de la chambre particulière. On prend en priorité les bonnes mutuelles, et on facture toujours au prix fort en fonction de la prise en charge, quel que soit évidemment notre tarif réel journalier ! Si on tombe sur un sans-papier/SDF, pas de famille ou un sans mutuelle, on l’évite sous mille et un prétextes.

La seule façon de « ruser » pour un chef d’établissement s’il veut installer un « sans mutuelle » dans une chambre seule, c’est de le déclarer « SHO » (chambre particulière pour personne infectée). La Sécurité sociale paye alors un supplément pouvant aller de 7 à 40 euros par jour de frais d’isolement… Voilà comment tout le système fonctionne. L’hôpital public récupère ensuite les « mauvais malades », ceux qui n’ont pas les moyens de payer.

Mais l’ARS là aussi ne contrôle-t-elle pas ne serait-ce que le nombre de lits ?

Non, les contrôles sont complètement largués et rares… Quand ils arrivaient, on préparait tous les papiers demandés en amont. L’ARS n’y voit que du feu. En psychiatrie, dans certains secteurs, les patients sont censés voir un psychiatre plusieurs fois dans la semaine et on facture des visites tous les jours ! C’est le royaume de la gratte. À tous les étages…

C’est-à-dire ?

En 2013, le directeur de l’époque avait décidé de faire payer le téléphone. Il a pris une société qui a installé des 08 dans toutes les chambres avec une surtaxe pour chaque appel sortant et entrant, à la charge des familles évidemment, et avec une ristourne pour Clinea. Dans certains établissements, on s’arrangeait pour donner aux familles le numéro normal, sans qu’elles aient à payer les surtaxes. Mais on se faisait sermonner par les directeurs régionaux.

« Sous pression, Clinea est en train de demander un peu partout de convertir des CDD en CDI et d’embaucher des gens. En interne, où je connais encore du monde, ils sont contents de voir que les choses se savent enfin ! »

La semaine dernière, je sais que Clinea a décidé de stopper les 08 ! Sous pression, ils sont en train de demander un peu partout de convertir des CDD en CDI et d’embaucher des gens. En interne, où je connais encore du monde, ils sont contents de voir que les choses se savent enfin ! J’ai aussi appris que la direction d’Orpea est très embêtée par leur système de redevance…

En quoi cela consiste-t-il ?

Dans chaque clinique ou Ehpad, les prestataires extérieurs – kinés, coiffeurs, podologues, esthéticiennes –, sont obligés de verser une « redevance » de 20 % maximum… Soit en chèque, soit en espèces. Cela vient alimenter le chiffre d’affaires d’Orpea. Par ailleurs, la centrale d’achat nous obligeait à passer par tous les fournisseurs au prix fort. Mais, là encore, l’État m’a toujours semblé soit aveugle, soit complice. Avant toute chose, il faut que les services publics ouvrent les yeux.

* Le prénom a été modifié.

 

Par        haut

La direction des Ehpad Korian répond à Élise Lucet avant la sortie d'un "Cash Investigation"

L'émission de la journaliste de France 2 planche depuis plus d'un an sur un sujet portant sur les maisons de retraite. Un timing qui coïncide avec le scandale Orpea et en raison duquel la direction des établissements d'un autre grand groupe a décidé de prendre les devants.

Par Ambre Deharo dans Capital
Publié le 04/02/2022 à 16h35 & mis à jour le 05/02/2022 à 9h58

Korian ne veut pas laisser de temps à Élise Lucet pour fourbir ses armes et se met d'ores et déjà en ordre de bataille. La journaliste de France 2 travaille depuis plus d'un an avec ses équipes de "Cash Investigation" sur une émission consacrée aux maisons de retraite. Elle a même différé une enquête sur le géant McDonalds pour se consacrer pleinement à ce sujet, alors que la question des conditions de vie est revenue pleinement sur le devant de la scène après le scandale Orpea. Comme le précise Le Parisien, jeudi 3 février, l'épisode consacré au géant du fast-food était prévu pour une diffusion le 16 février, mais le calendrier est désormais bousculé, et certains, comme Korian, réagissent déjà aux annonces d'un "Cash Investigation" spécial Ehpad.

Cette émission d'Élise Lucet doit notamment se pencher sur les dérives observées dans les maisons de retraite du groupe Korian, et celles de DomusVi. Elle ne devrait cependant pas être bouclée avant le mois de mars prochain, selon les informations du quotidien, car la journaliste attend encore de pouvoir interroger les dirigeants de ces groupes. Une attente qui semble se faire longue. Élise Lucet considère ce manque d'explications comme "anormal" et promet plusieurs révélations.

Korian veut une interview en direct entre sa direction et Élise Lucet

Dans un communiqué de presse, le 4 février, le groupe indique à Élise Lucet que Sophie Boissard a bien réceptionné ses demandes d'entretien, et que la direction de la communication échange depuis neuf mois avec les équipes de l'émission de France 2 "sans jamais trouver de terrain d’entente sur les modalités pratiques d’un entretien". La direction déplore qu'une des journalistes de "Cash Investigation" ait pu pénétrer dans un des Ehpad Korian "en se faisant passer pour la parente d’un résident décédé, en pleine crise du Covid-19", et dénonce un "mépris des règles de déontologie journalistique".

 

Le groupe privé rappelle à Élise Lucet et à ses équipes que sa directrice est "soucieuse de maintenir le dialogue et la transparence" avec les résidents et leurs familles, mais aussi avec les journalistes. La direction répond même favorablement aux demandes d'interview d'Élise Lucet, mais pose ses conditions : le groupe souhaite que cet entretien prenne la forme "d’une discussion équitable, sans que ses propos ne soient trahis, montés et donc déformés". Korian suggère donc une interview en direct entre la journaliste et Sophie Boissard, après la diffusion du reportage de "Cash Investigation". L'entreprise souhaite également pouvoir "visionner au préalable les éléments du reportage [la] concernant (...) pour pouvoir apporter tous les éclaircissements nécessaires."

L'annonce de l'émission fait chuter Korian et Orpea

La frilosité de Korian face aux annonces d'une telle émission n'est pas une surprise. Les gérants d'Ehpad sont sur les nerfs depuis la parution du livre-enquête de Victor Castanet "Les Fossoyeurs", le 23 janvier dernier. L'ouvrage accuse le groupe Orpea de maltraitance envers ses pensionnaires, avec de nombreux témoignages à l'appui. De quoi impacter les cotations de ces groupes en Bourse.

À LIRE AUSSI
Un directeur d’Ehpad Orpea a-t-il été licencié après avoir parlé à la presse ?

Et l'annonce d'un numéro de "Cash Investigation" sur le sujet a fait encore plus chuter ces cotations, ce qui ne rassure pas les investisseurs. Vendredi 4 février, comme le relaie Boursorama, Orpea et Korian voyaient leurs valeurs baisser. Aux alentours de 13 heures, le premier perdait 12,33 %, pour atteindre 33,75 euros l'action, du jamais vu depuis 2013. Inédit également depuis cette date, le prix de l'action Korian à la mi-journée : 17 euros. Une chute drastique de 19,51 %.

Dans le n° 100 - Janvier 2019 - Radiographie
Par Eliott Cerin   dans Géroscopie    

Les sept plaies de l'EHPAD

https://www.geroscopie.fr/print.asp?679950883F70AD6E

Une nouvelle loi « Grand âge » devrait être votée d'ici fin 2019. En 17 ans, le secteur des EHPAD a connu de grands bouleversements - loi 2002-2, Plan solidarité grand âge, loi HPST en 2009, loi ASV en 2015, sans oublier les différents plans Alzheimer - dans un contexte de fortes contraintes budgétaires. Si les structures ont fait de réels progrès (médicalisation, bientraitance, qualité de l'accompagnement et des soins aux résidents), la révolution reste inachevée pour faire face au choc démographique à l'horizon 2030.

Un taux d'encadrement insuffisant

Le taux d'encadrement médian en EHPAD est de 61 ETP (62.8 si on tient compte du taux d'occupation de 98% fin 2015).
- 10% des EHPAD affichent un taux inférieur à 43,8 ETP
- 10 % des EHPAD ont un taux 76,2 ETP (après avoir écarté les extrêmes).

S'agissant du taux d'encadrement moyen « au chevet du résident » en aide-soignant, aide médico-psychologique et assistant de soins en gérontologie, il est de seulement 24,5 ETP pour 100 places. Pour les infirmiers, il est de 6 ETP pour 100 places. 

Pour rappel, le Plan solidarité grand âge 2007-2012 préconisait 0,65 soignant pour un résident et jusqu'à 1 pour 1 pour les personnes en très grande dépendance.   
En comparaison à ses voisins européens, la France est loin derrière. (6 ! )  Ainsi, pour un EHPAD de 100 lits, l'Espagne a 40 soignants, l'Allemagne 38, la Belgique 35.

La ministre des Solidarités et de la Santé a débloqué au total 360 millions d'euros de 2019 à 2021 destinés au recrutement de personnels soignants dans les EHPAD.

Cette mesure ramenée aux 7 500 EHPAD représente environ 20 000 euros par établissement, soit moins d'un poste de soignant.

Quel taux d'encadrement serait indispensable pour les prochaines années ? Pour le Conseil de l'âge, il serait « réaliste de retenir une hypothèse de 0,8 ETP/résident (+25%) », ce qui correspond à une augmentation de 100 000 ETP en EHPAD. Le Conseil évalue le coût de cet accroissement des moyens de fonctionnement à 4 milliards d'euros à l'horizon 2024.

Un manque d'attractivité des métiers...

Près d'un EHPAD sur deux est confronté à des difficultés de recrutement, selon une étude de la Drees. Précisément, 49% des établissements du secteur privé peinent à attirer des candidats, ainsi que 38% des établissements publics. Les difficultés concernent surtout les aides-soignants - 9% en moyenne des EHPAD ont des postes non pourvus - et les médecins coordonnateurs - 10% des EHPAD sont concernés - tandis que le recrutement d'infirmiers pose moins de problèmes. En 2014, une enquête de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI) notait toutefois une désaffection des jeunes soignants (27% des sondés) pour le secteur des EHPAD.

...et un turn-over important

Les facteurs à l'origine des difficultés de recrutement sont les mêmes que ceux qui causent un turn-over élevé. Des conditions de travail plus difficiles en sous-effectifs conduisent plus souvent le personnel à quitter l'établissement. D'après une étude de l'Insee, intitulée "Turn-over élevé du personnel soignant dans les EHPAD privés en France : impact de l'environnement local et du salaire", le taux de départ moyen des infirmiers est de 61 % et celui des aides-soignants s'élève à 68 % dans les Ehpad privés en 2008.

Ces départs sont plus importants que dans le secteur hospitalier. Quels sont les leviers d'action possibles pour fidéliser le personnel ? L'augmentation des salaires pour les aides-soignants et le renforcement de l'encadrement en personnel semblent réduire la probabilité de départ des salariés, note cette même étude. Autre signe de conditions de travail difficiles : parmi les établissements de soins, les EHPAD ont le taux d'absentéisme record avec 8,9 % soit 32,5 jours moyens d'absence par salarié sur une année, selon les données de l'ANAP.

Une sinistralité record

Selon les chiffres 2017 de l'Assurance Maladie-Risques professionnels sur les accidents du travail et maladies professionnelles, le taux de sinistralité dans les EHPAD est passé de 94,6 pour 1 000 salariés en 2016 à 97,2 en 2017, alors que la fréquence d'accidents avec arrêt s'est établie à 33,4 pour 1 000 en moyenne dans les autres secteurs.

Le taux d'arrêts de travail est 1,3 fois supérieur aux autres branches santé, et 2 fois supérieur à la moyenne nationale, toutes branches professionnelles confondues. Dans le cadre de sa Convention d'objectifs et de gestion (COG), la CNAM financera, sur la période 2018-2022, un programme d'actions sur les troubles musculo-squelettiques professionnels (TMS) en EHPAD, en ciblant les 500 structures qui représentent 40% des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Elle mettra également en place une prestation spécifique au secteur des EHPAD, destinée à lutter contre les risques psycho-sociaux. Déjà budgétée dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018, une enveloppe de 16 millions d'euros sera consacrée à la stratégie qualité de vie au travail (QVT).

Une inflation normative

Les normes et obligations qui s'imposent aux gestionnaires d'EHPAD se multiplient, d'années en années, sans toutefois être accompagnées des moyens financiers nécessaires pour les mettre en place. A l'heure où le Conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) engage une réflexion sur la société inclusive et notamment sur le fait d'inscrire les établissements dans une "logique domiciliaire", la question d'alléger ce carcan normatif se pose.

Un reste à charge élevé

D'après une étude de la Mutualité française publiée en octobre 2018, le coût d'un mois en EHPAD pour les résidents en perte d'autonomie la plus sévère (GIR 1 et 2) est de 2450 euros en moyenne et leur reste à charge mensuel moyen après l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et l'aide sociale à l'hébergement (ASH) est de 2 000 euros. Mais cette somme va du simple au double d'un département à l'autre : 1600 euros par mois dans la Meuse et plus de 3 100 euros par mois à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Les premières analyses menées par la Drees à partir de l'enquête CARE-Institution 2016 notent qu'un tiers des résidents doivent puiser dans leur épargne pour financer les frais en institution. 11 % doivent mobiliser leur entourage pour payer une partie de ces frais. Près d'un résident sur dix envisage, à l'avenir, de vendre du patrimoine pour couvrir ces dépenses.

Un déficit d'image persistant

Les Français ont une assez bonne image (60 %) des personnels de santé qui travaillent dans les EHPAD mais ils sont 56 % à avoir une mauvaise image de ces établissements, 84 % étant convaincus qu'ils manquent de moyens, révelait le "Baromètre santé 360 : Grand âge, dépendance et accompagnement du vieillissement" réalisé par Odoxa et publié en juillet 2017. La défiance des Français vis-à-vis des maisons de retraite s'inscrit dans le temps. Selon le Baromètre d'opinion de la Drees, publié en décembre 2014, seuls 19 % des Français envisageraient de placer dans une institution spécialisée un proche parent devenu dépendant. Si d'aucuns pointent du doigt les effets délétères de l'EHPAD bashing de certains médias, il reste également encore des efforts à fournir pour parvenir à des EHPAD pleinement intégrés dans la Cité, ouverts à et sur leur environnement, qui sachent communiquer et éradiquer des esprits l'image de l'hospice et du mouroir.

haut

Ehpad et maltraitance :
 Comment sortir de la crise ?

The conversation    1/2/2022   par :
Psychiatre du sujet âgé, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire d'étude du politique Hannah Arendt (Université Paris-Est Créteil), co-directeur du département de recherche Éthique biomédicale du Collège des Bernardins, Collège des Bernardins

Une résidente est assise dans sa chambre, dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), à Paris, en juillet 2018. Stéphane de Sakutin / AFP

En publiant un livre au titre on ne peut plus explicite, « Les Fossoyeurs », le journaliste Victor Castanet entend dénoncer le « système » mis en place selon lui par Orpea, l’un des géants de la gestion d’Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) lucrative. Si l’on en croit son enquête, la politique de réduction des coûts menée au sein de ce grand groupe privé entraînerait des situations de maltraitance des résidents et du personnel.

La publication de l’ouvrage a mené au remplacement du directeur général d’Orpéa, et a entraîné l’ouverture d’une inspection par l’Agence régionale de santé d’Île-de-France. Si les faits relatés dans cet ouvrage sont avérés, ils sont effrayants et indignes de notre nation. Mais ce n’est cependant pas la première fois qu’est dénoncée la façon dont nos aînés sont pris en charge dans le monde opaque et feutré des Ehpad.

Comment en est-on arrivé là ? Quelles mesures permettront d’améliorer la situation ? Les réponses existent : les constats ont été faits, les propositions ont été formulées. Elles sont à la fois chiffrées et inventives. Rappel des faits.

Aux origines de la crise

Ce l’on nomme aujourd’hui « le scandale des Ehpad » a éclaté à l’été 2017 : leurs personnels ont lancé deux grèves nationales, afin de dénoncer leurs conditions de travail. Ce travail est non valorisé à la hauteur des missions qui leurs sont confiées est vécu « à la chaîne » : vingt toilettes pour une aide-soignante (7 minutes par personne âgée dépendante et font perdre le sens du soin. Les causes profondes du malaise tiennent aux nouveaux modes d’organisation du travail effectué par les infirmiers, aides-soignants, auxiliaires et agents spécialisés auprès des résidents

La France est en effet engagée dans un vaste mouvement de « modernisation » des soins aux personnes âgées dépendantes, qui s’aligne sur les standards d’un nouveau management public en vigueur dans un nombre croissant de pays, le même qui fait tant souffrir les hôpitaux, car la culture du chiffre, de l’évaluation, des protocoles, de la standardisation des soins les déshumanise. Les besoins des résidents sont désormais évalués selon une grille baptisée « Autonomie gérontologique et groupes iso-ressources » (AGGIR). Cet outil vise à mieux ajuster les ressources des Ehpad aux besoins, mais il ne reflète pas les besoins réels, qui ne sont pas uniquement fonctionnels, mais aussi – et surtout – relationnels. Les soignants ne s’y trompent pas : ils demandent du temps et des moyens humains.

Un constat alarmant

En septembre 2017 une mission « flash » a été lancée par Agnès Buzin, alors ministre de la Santé. Déjà le rapport des députées Monique Iborra et Caroline Fiat sur les conditions de travail dans les Ehpad dressait un constat alarmant.

Loin de se présenter comme des lieux d’accueil de personnes âgées, les quelque 7 000 établissements concernés font face à des personnes à 83 % très dépendantes, dont un tiers est atteint de maladies de type Alzheimer. Le sous-effectif est généralisé, avec trois personnes soignantes pour dix malades, quand le rapport indique qu’il en faudrait au minimum le double.

Résultat : une prise en charge dégradée, un taux d’accident du travail de 9,4 % (plus élevé que dans le bâtiment), un taux d’absentéisme élevé (10 %) et une incapacité à recruter sur ces métiers précaires, mal payés et aux conditions de travail difficiles.

Le rapport propose un « ratio opposable de personnel par résident » que chaque établissement devrait respecter aujourd’hui nous sommes à 0,6 soignants par résidents. La défenseure des droits Claire Hedon, dans son rapport du 4 mai 2021 en réclame 0,8 et nous, soignants, nous en souhaiterions 1/1.

Les rapporteuses proposent également le concept d’Ehpad hors les murs et des nouveaux modèles d’hébergement et d’habitat partagés. Le gouvernement affiche de son côté une volonté d’améliorer la situation dans les Ehpad. Les moyens ont été renforcés de 100 millions d’euros en 2018, et déployés lors d’un plan annoncé par la ministre de la santé pour l’horizon 2019-2021, mais la pandémie de Covid-19, n’a pas permis d’en ressentir les effets sur le terrain. Cette situation de crise vient en écho avec celle vécue à l’hôpital, où les personnels perdent le sens du soin, se sentent « robotisés » et proches de la maltraitance.

Durement impactés par la Covid-19, les Ehpad ont payé le prix fort de cette situation antérieure : manque de moyens humains et de protection, de tests, aboutissant à parfois plus de 30 % de décès , laissant ces structures exsangues, les familles endeuillées et en colère… Ces structures peinent plus que jamais à recruter, à cause des conditions de travail, du manque de reconnaissance, des bas salaires, et de la surcharge de travail. Et la situation ne s’arrangera pas dans les années à venir, aggravée par le vieillissement de la population française.

En 2060, deux fois plus de personnes âgées dépendantes en France

D’après les projections de l’Insee, le nombre des plus de 85 ans passera dans notre pays de 1,4 million à ce jour à 5 millions en 2060. Notre société vieillit, ce qui peut être considéré comme véritable chance si l’on vieillit sans dépendance et en bonne santé.

Mais pour 15 % des plus de 85 ans, les pertes d’autonomie, que l’on mesure à l’aide de la grille AGGIR,ne permettent plus le maintien au domicile. Un accueil en Ehpad s’impose alors, le plus souvent en urgence et sans le consentement de la personne concernée. Depuis le début des années 2000, ces structures ont remplacé les maisons de retraite.

Peu médicalisées, elles ont une double vocation : accueillir des personnes « dépendantes » (GIR 4-3) voire « très dépendantes » (GIR 1-2) et les accompagner dans tous les actes de la vie quotidienne (toilette, prise de médicament, repas, etc.). On en dénombre 41 % dans nos Ehpad, une proportion bien au-dessus de la moyenne européenne (32 %). Or, d’ici à 2060, on s’attend à un doublement du nombre des personnes âgées dépendantes. Il faudra faire appel à des financements particuliers de la dépendance.

En 2019 ce coût était de 30 milliards d’euros, dont 24 milliards pris en charge par la dépense publique (pour rémunérer les personnels, et le forfait soins), mais le reste à charge pour les personnes concernées et les familles est encore très important précise Thierry Beaudet président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). Derrière ces chiffres se cachent des enjeux éthiques, sociétaux et politiques dont il faut encore s’emparer.

Mais avant tout, il est probablement indispensable de se poser une question essentielle : les Ehpad constituent-ils une réponse adéquate à la grande dépendance ?

Exclusion et ghettoïsation

Le CCNE (comité consultatif national d’éthique) avait été sollicité sur la question « Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement ? ». Son avis n°128, publié en février 2018, dénonce la concentration, l’institutionnalisation forcée (qui se passe du consentement des personnes concernées), la ghettoïsation et l’indignité de la condition des personnes âgées en France.

Exclues de la société, reléguées dans ses marges, ces personnes éprouvent un sentiment d’indignité et se sentent « de trop ». D’ailleurs, dans les institutions gériatriques, 40 % des résidents présentent un syndrome dépressif et 11 % ont des idées suicidaires.

Le CCNE invite aussi à revoir l’organisation des Ehpad pour sortir de cet univers « concentrationniste », en favorisant les alternatives (habitat intergénérationnel, autogéré, les résidences autonomie, etc.) et en réfléchissant à « l’Ehpad hors les murs », dans de petites structures intégrées dans le tissu urbain de proximité. Il est nécessaire d’assouplir les normes qui, au nom du principe de précaution, entravent la liberté d’aller et venir et brident les activités du quotidien.

Plus récemment, le 28 mars 2019, Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, a remis son rapport récapitulatif de la concertation « Grand âge et autonomie“, lancée en septembre 2018.

Parmi les 175 propositions pour « passer de la gestion de la dépendance au soutien à l’autonomie », on trouve un plan national pour les métiers du grand âge. Celui-ci propose :

Une hausse de 25 % du taux d’encadrement en EHAPD d’ici 2024 par rapport à 2015 est proposée, soit 80 000 postes supplémentaires auprès de la personne âgée, pour une dépense supplémentaire de 1,2 milliard d’euros.

Ces propositions ont suscité beaucoup d’attentes. Et beaucoup d’espoirs déçus, car la loi « grand âge », annoncée en septembre 2021, a été depuis reportée sine die.

Aujourd’hui pour sortir du constat alarmant de l’existence d’une maltraitance systémique en matière de prise en charge dans certains Ehpad, il faudra beaucoup plus qu’une nième enquête flash proposée hier par l’actuel ministre de la Santé et des Solidarités… Si notre société devait être jugée à l’aune du soin qu’elle porte à ses aînés, la sentence serait certainement peu enviable… Il faut de toute urgence réveiller les consciences en proposant de nouvelles formes de solidarités !

haut

Scandale Orpea :"Il manque toujours 10milliards d'euro d'ici 2030 pour financer la dépendance"

Voir article original sur L'express

Interview de Dominique Libault, président du haut conseil du financement de la protection sociale et auteur d'un rapport sur le grand âge.  Le financement des Ehpad devrait intégrer la qualité de la prise en charge des patients.

Déjeuner dans un Ehpad parisien   Le 4 mars 2021    AFP Martin Bureau

Express : Le scandale Orpea révèle-t-il une faille dans le mode de
L' contrôle des Ehpad ?

Dominique Libault : Il révèle surtout un problème de pilotage et de régulation de ces établissements, qu'ils soient publics ou privés. Aujourd'hui, le financement des Ehpad n'intègre pas la qualité de la prise en charge des résidents. Il se fait exclusivement en fonction de l'évaluation du degré de perte d'autonomie des résidents à travers des grilles.

Il me semblerait souhaitable que demain le financement des établissements intègre des indicateurs de qualité, qui du reste devraient être disponibles aussi pour les familles. Quel est le ratio entre les soignants et les personnes résidentes, quel est le taux d'absentéisme... ? 5% ou 10% des financements publics pourraient dépendre de ces fameux indicateurs de qualité. Mais il faut aussi travailler sur les formations des professionnels et sur la labellisation des établissements.

La Haute autorité de santé travaille dans cette direction, ce qui pourrait servir de base à une certification externe des process.

Mais n'y a-t-il pas un problème dans le modèle économique des Ehpad privés, certains avançant même une nationalisation de ces établissements ?

Je pense qu'il ne faut pas stigmatiser l'ensemble de la gestion des établissements privés. Certains font très bien leur travail. Et des insuffisances ou maltraitances ont pu aussi être observées dans des Ehpad publics.

Le problème c'est lorsque le souci de rentabilité (et donc le versement de dividendes à l'actionnaire) prend le pas sur les autres objectifs et notamment le bien-être des patients.

Plus on mettra de la transparence dans ces indicateurs de qualité et plus ces groupes seront obligés de s'y conformer. On le voit bien avec la crise actuelle et le scandale Orpea, ils sont très sensibles à leur image de marque et n'ont aucun intérêt à la voir durablement écornée... y compris pour leur cours de Bourse.

De façon plus structurelle, il est souhaitable demain de contractualiser au niveau des groupes. Aujourd'hui, la seule relation qui existe est celle qui relie l'Etat et les ARS d'un côté aux Ehpad de l'autre. Or la réalité économique, c'est celle du groupe. C'est lui qui pilote la stratégie. Demain pour qu'un groupe soit autorisé à gérer des établissements accueillant des personnes âgées, il faudra qu'il soit habilité à travers un contrat qualité. Et seuls ceux qui auront signé ce contrat pourront fonctionner.

Une cinquième branche de la sécurité sociale en charge de la dépendance a été créée il y a maintenant plus d'un an. Est- elle suffisamment dotée ? N'est-ce pas une coquille vide ?

Je ne sous-estime absolument pas le travail réalisé sous ce gouvernement. Il y a d'un côté la revalorisation des soignants en Ehpad et à domicile dans le cadre du Ségur mais aussi la création de cette nouvelle branche de la sécurité sociale. Pour autant, le chemin qui reste à faire pour avoir une stratégie adéquate notamment face au vieillissement de la population qui nous attend - je rappelle que les plus de 85 ans vont tripler entre maintenant et 2050 - est très long. Comment mettre en place une offre nouvelle qui réponde mieux aux aspirations de nos concitoyens, qui traite au mieux nos aînés ? La réponse n'est pas que financière, mais celle-ci ne peut être
éludée.

Il va falloir trouver 10 milliards d'euros d'ici à 2030. C'est beaucoup mais en même temps assez peu quand on regarde tout ce que la nation dépense chaque année en matière de dépenses sociales. En fait, ces 10 milliards reviennent à faire passer le grand âge de 3% à 4% de l'ensemble des dépenses de protection sociale.. C'est possible.

Mais où trouver l'argent ? Vous aviez évoqué des pistes dans votre précédent rapport. Sont-elles toujours d'actualité ?

La crise sanitaire a complètement modifié le paysage financier de la sécurité sociale qui s'apprêtait à renouer avec des excédents au moment où est arrivée la crise sanitaire. Mon rapport réalisé avant le Covid-19 reposait sur la réaffectation de ressources venant d'un certain nombre de branches mais aussi de la fin du financement de la dette sociale du fait de l'extinction de la CRDS. Malheureusement, ces schémas sont largement obsolètes aujourd'hui compte tenu des déficits très importants de l'ensemble de la sécurité sociale. Il est évident que le sujet du financement pérenne de la perte d'autonomie devra être traité dans le cadre d'une politique globale du financement de la protection sociale qui appréhende toutes les conséquences du vieillissement de la population, et notamment les retraites.

Vous voulez dire qu'il faudra augmenter des cotisations ou lier le sujet de la dépendance à la réforme des retraites ?

Je dis qu'il va falloir trouver des financements dédiés pour la perte d'autonomie. Plusieurs pistes sont sur la table. Des économies faites sur certaines branches, la retraite par exemple, grâce à une réforme du système. Ou des recettes issues de nouveaux prélèvements obligatoire, dans les deux  cas, il est vital que les chiffres soient posés et que ces choix soient présents dans le débat public.