Mivy décoiffe, car il est fait par un chauve

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Coupe du monde de Foot ball au Qatar
Revue de Presse

Mondial de football : 10 points pour comprendre la stratégie du Qatar

Par Kévin Veyssière
publié le 17 novembre 2022 dans

1 — Pourquoi la Coupe du monde a-t-elle lieu au Qatar ?

La Coupe du Monde 2022 a été attribuée au Qatar le 2 décembre 2010 à Zurich, à l’issue du vote des 22 membres du Comité exécutif de la FIFA, qui ont privilégié la candidature qatarie à celle des États-Unis (14 voix contre 8). À l’époque, le Président de la FIFA Sepp Blatter, bien qu’il ait soutenu le dossier américain, se félicite de cette décision : « Le monde arabe mérite une Coupe du monde. Ils ont 22 pays et n’ont eu aucune opportunité d’organiser le tournoi ».

La FIFA, forte de 211 fédérations membres, procède à une rotation par continent du pays hôte, notamment depuis les soupçons de corruption autour de l’attribution du Mondial 2006 à l’Allemagne plutôt qu’à l’Afrique du Sud. Mais les attributions pour les éditions de 2018 en Russie et 2022 au Qatar sont elles aussi entachées de forts soupçons de corruption.  Comme a pu le révéler le rapport interne de la FIFA, dit « rapport Garcia », ou encore The Ugly Game. Cela entraîne notamment le scandale du « FIFA Gate » : à la suite d’une enquête du FBI en 2015 plusieurs hauts dirigeants de la FIFA sont arrêtés tandis que Sepp Blatter est contraint de démissionner.

Outre ces controverses, le choix du Qatar surprend car ce n’est pas un pays avec une tradition footballistique ancrée : son équipe ne s’est même jamais qualifiée pour un Mondial. Qu’importe, l’enjeu est bien plus que sportif pour l’émirat du Golfe persique, qui a fait de l’organisation de la Coupe du Monde un objectif prioritaire et vital pour ancrer son territoire et exister aux yeux du monde.

2 — Quelle est la spécificité du pays ?

Le Qatar, ancien protectorat britannique, acquiert son indépendance en 1971. Cette émancipation est perçue comme un affront par ses voisins. L’Arabie Saoudite, qui partage la seule frontière terrestre du Qatar, considère ce pays comme son pré carré. Les Émirats Arabes Unis ont quant à eux peu apprécié que l’émirat qatari ne rejoigne par leur fédération elle aussi créée en 1971. En plus de ce contexte régional tendu, le Qatar doit faire face à une situation géographique complexe puisqu’il est pris en tenaille entre deux puissances régionales : l’Arabie Saoudite, donc, et l’Iran.

Ce petit pays (il compte une superficie de 11 000 km2, ce qui est à peine plus grand que la Corse), doté d’un sous-sol riche en hydrocarbures, doit donc trouver des moyens de s’affirmer et d’exister sur la scène internationale. Les Qataries ont notamment été marqués par l’invasion du Koweït — qui est aussi un petit pays riche en ressources naturelles — en 1991. Considérant le Qatar comme un « État en danger », il recherche des moyens d’influence pour acquérir de l’autonomie vis-à-vis de ses voisins.

3 — Pourquoi le Qatar a-t-il utilisé le sport comme un outil de soft power ?

L’émir Hamad ben Khalifa Al Thani, le père de l’émir actuel Tamin Al Thani, prend le pouvoir en 1995 et engage cette politique d’influence. Selon le journaliste Christian Chesnot, la jeunesse d’Hamad a participé à ce renouveau puisque, alors étudiant à l’Académie militaire britannique de Sandhurst, il ne supportait pas que les douaniers des aéroports européens lui posent la question : « Mais où est le Qatar ? ».

 Conscient des richesses et de la position fragile de l’émirat, le nouvel émir va donc utiliser plusieurs moyens pour se libérer de la tutelle saoudienne. L’un d’entre eux est la création de la chaîne d’Al Jazeera. L’autre est un investissement conséquent dans le sport. Cela lui permet de se différencier de ses voisins ; d’associer le Qatar aux valeurs dites « positives » du sport ; et de faire rayonner l’émirat grâce à l’organisation de compétitions sportives.

4 — Comment le Qatar a-t-il construit sa stratégie de soft power sportif ?

Le sport associé à des valeurs universelles et humanistes est un excellent levier pour un pays qui cherche à se faire connaître. Mais le Qatar a un problème : dans les années 1990, il n’est pas exactement une nation sportive. À l’époque, l’émirat ne compte par exemple qu’une médaille olympique : une médaille de bronze en athlétisme remportée aux Jeux de Barcelone en 1992 par Mohamed Suleiman, un spécialiste du demi-fond d’origine somalienne.

L’émirat investit donc massivement dans le sport, bien aidé par les revenus croissants tirés de l’exploitation de son riche sous-sol gazier. La première pierre de cette « citadelle sportive » est le tournoi de tennis ATP de Doha, créé en 1993. D’autres initiatives suivront : des sports mécaniques (Grand Prix moto du Qatar en 2004) en passant par les compétitions hippiques ou la voile. Ce sont autant d’événements qui permettent au Qatar de gagner en visibilité, en expertise et en renommée grâce à l’organisation de compétitions sportives internationales. Le premier grand aboutissement de cette stratégie est la tenue des Jeux asiatiques de 2006 sur son sol.

En 2008, le Qatar va encore plus loin lorsque les autorités qataries dévoilent Qatar Vision 2030. Un plan pour moderniser la société qatarie, notamment via le développement d’infrastructures sportives pour faire briller le pays. Le plan est aussi présenté comme un enjeu de santé publique pour mettre les environ 300 000 Qataris (à peu près 10 % de la population actuelle) au sport.

Cette stratégie lui donne aussi l’opportunité d’avancer ses pions et d’avoir une politique diplomatique plus offensive dans les instances sportives plus grand public, notamment dans le domaine du football. Le Qatar y entre par la grande porte en obtenant l’organisation de la Coupe du Monde 2022. Preuve que ce dossier était d’une importance cruciale pour le Qatar, c’est Tamim Al Thani, le fils d’Hamad devenu émir en 2013, qui pilote le dossier de candidature.

5 — Le Qatar n’a-t-il ciblé que la Coupe du Monde pour exister au niveau international ?

L’émirat suit d’autres pistes que la Coupe du monde. Il réussit le coup de force de devenir sponsor de l’un des clubs les plus populaires au monde, le FC Barcelone, et ainsi d’afficher sur leur maillot le logo Qatar Foundation. Le 31 mai 2011, les investissements sportifs qataris prennent une nouvelle dimension, lorsque le fonds d’investissement souverain Qatar Sport Investment (QSI) rachète pour 70 millions d’euros le club du Paris-Saint-Germain. C’est un choix stratégique qui redore le blason d’un club historique, tout en associant l’image du Qatar à la ville la plus visitée du globe : Paris.

Pour renforcer cette image, le club additionne des investissements sportifs onéreux. Cette stratégie culmine en 2017 avec les signatures des joueurs Neymar et Kylian Mbappé pour un coût total de 422 millions d’euros. Cela permet au pays de s’appuyer sur la notoriété de sportifs qui, avec leurs millions d’abonnés, ont le statut d’influenceurs globaux. Ils deviennent de véritables ambassadeurs de la « marque » Qatar. En 2021, le club — et son propriétaire — réalise un nouveau coup de force à l’été 2021 quand la superstar Leo Messi rejoint le club de la capitale.

6 — Quels pourraient être les prochaines étapes pour l’émirat ?

Le Qatar est désormais identifié comme un acteur important du sport mondial. Son influence en renforcé par l’importante surface médiatique que lui confère BeIn Media Group, créé en 2011, qui est présent dans plus de quarante pays sur cinq continents. Il est considéré comme le plus grand acheteur de droits sportifs dans le monde. Avec tous ces investissements, le Qatar cherche à mettre sur pied un écosystème autour de l’économie du sport : pour vendre la marque du pays (nation branding), diversifier son économie et devenir un leader mondial de l’excellence sportive.

C’est pourquoi le Qatar cherche aussi à s’imposer comme un pays hôte capable d’accueillir différents grands événements sportifs internationaux : les championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, ou d’athlétisme en 2019. Le Comité olympique du Qatar s’est d’ailleurs donné l’objectif ambitieux d’organiser cinquante compétitions internationales d’ici 2030, et pourquoi pas un jour les Jeux Olympiques.

Cette stratégie s’accompagne d’investissements sur son territoire pour accompagner les performances des sportifs du monde entier et former les champions (qataris) de demain. Elle se concrétise avec la création de l’Aspire Academy, en 2004. Cette stratégie apparaît d’autant plus nécessaire que, depuis la médaille de 1992, le Qatar n’a réussi à remporter que six médailles supplémentaires. Son équipe nationale n’est jamais parvenue à se qualifier pour une Coupe du monde avant 2022. Des progrès sont néanmoins à noter puisque le Qatar a remporté des succès importants grâce aux talents de l’Aspire Academy : une médaille d’or en saut hauteur lors des JO de Tokyo 2021 grâce à Mutaz Essa Barshim et le titre de Coupe d’Asie des nations de football en 2019 pour l’équipe nationale, composé en grande parties de joueurs qataris à l’image d’Almoez Ali et Akram Afif.

7 — Pourquoi la consécration de l’attribution de la Coupe du Monde 2022 au Qatar a-t-elle aussi constitué une victoire sur le plan politique ?

Sur le volet géopolitique, la consécration qatarie en 2010 irrite les riches monarchies voisines du Golfe Persique, en particulier l’Arabie Saoudite. Les relations entre les deux pays commencent à se tendre sérieusement au début des années 2010, avec l’émergence des Printemps arabes. Alors que l’Arabie saoudite soutient les pouvoirs en place, le Qatar soutient une partie des mouvements insurrectionnels, notamment les Frères musulmans, que Riyad a classé comme organisation terroriste.

Le Qatar s’émancipe de l’Arabie Saoudite également en changeant sa stratégie d’influence. Alors que la diplomatie de l’État qatari se limitait autrefois à son soft power, dans les grandes médiations régionales, et à la portée de sa chaîne de télévision Al Jazeera, elle s’engagea au début des années 2010 dans une véritable politique de puissance qui la pousse à rivaliser avec son voisin.

Ainsi les deux États financent, arment et forment des mouvements politiques différents et parfois antagonistes. C’est ce point-là, ainsi que le rapprochement entre la Qatar et l’Iran, que mettra notamment en avant l’Arabie Saoudite pour justifier la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Le 5 juin 2017, l’Arabie Saoudite, suivie des Émirats Arabes Unis, du Bahreïn et de l’Égypte, ferment leurs frontières terrestres, maritimes et aériennes, imposant un blocus à l’État qatari.

Malgré l’important dispositif et les menaces d’attaques militaires, le Qatar réussit à maintenir son économie à flot et à mobiliser la communauté internationale autour de son cas. Son influence politico-sportive n’y est d’ailleurs pas étrangère. Le blocus fragilise l’équilibre économique de la région, déjà précaire avec les conséquences de la crise du Covid-19. Ce qui pousse finalement l’Arabie Saoudite à mettre un terme à ce blocus en janvier 2021, permettant au Qatar de préserver son statut de pays influent dans le monde arabo-musulman. Les relations entre les deux rivaux se sont depuis considérablement détendues, avec une première coopération économique autour de la création d’un Conseil d’affaires qataro-saoudien et la levée des blocages pour permettre à l’Arabie Saoudite d’acquérir son premier club de football de renom en Premier League : Newcastle.

8 — Les critiques autour du Mondial qatari peuvent-elles détériorer l’image du Qatar ?

La Coupe du Monde est un coup de projecteur pour le Qatar, qui met également en lumière de nombreuses controverses qui entament son image. L’organisation du Mondial a d’abord révélé les conditions de travail dans le pays, autour du système de la kafāla: un système de mise sous tutelle de n’importe quel travailleur étranger (dont les ouvriers qui travaillent sur les chantiers du Mondial) qui s’apparente à de l’esclavage). Pire, en février 2021, le journal The Guardian révèle que depuis 2014 ce sont près de 6 500 d’entre eux qui seraient morts sur les chantiers qataris, notamment ceux des stades de la Coupe du Monde. Cette enquête vient s’ajouter aux nombreux reportages autour des conditions dans lesquelles travaillent les 800 000 ouvriers étrangers sur ce chantier titanesque : ils sont parqués dans une zone industrielle à 20 kilomètres de Doha et travaillent sous des températures suffocantes pour sortir de terre des stades ultra-modernes.

 

Ces stades génèrent d’ailleurs aussi leur lot de critiques, autour de leur coût écologique et économique — près de 200 milliards de dollars investis, soit dix fois plus que la précédente édition russe en 2018. Bien que la FIFA ait décidé de faire jouer la compétition au Qatar en hiver pour éviter les températures estivales intenses, l’hiver dans ce pays peut tout de même atteindre une trentaine de degrés. L’ensemble des huit stades est donc climatisé, avec des systèmes permettant de faire chuter le thermomètre de 15 degrés. Se pose aussi la question de la durabilité de ces infrastructures, à l’heure où les enceintes construites pour le Mondial sud-africain ou brésilien sonnent creux. Les stades qataris pourront accueillir en moyenne 40 000 personnes, alors même que la première division qatarie de football accueille à peine 4 000 spectateurs à chaque match.

Enfin, la Coupe du monde ayant lieu dans un périmètre réduit, le Qatar a mis en place des partenariats avec des compagnies d’autres États du Golfe Persique, pour affréter rapidement une partie du 1,2 million de supporters attendus qui ne pourront pas tous être logés au Qatar. Enfin, la situation des supporters LGBT, dont les comportements seront étroitement surveillés, a également suscité la controverse dans un État où les « actes homosexuels » sont illégaux.

Face à ces critiques, Doha a mis en place une stratégie de contre-communication mettant en avant les évolutions de son régime afin de correspondre aux critères du pays du Nord, d’où proviennent la plupart des critiques. En octobre 2021, se tiennent les premières élections législatives de l’histoire du pays. D’autres mesures ont été annoncés par les autorités qataries, comme la fin de la kafāla et la mise en place d’un salaire minimum. Malgré des avancées notables pour l’émirat, les accusations contre le Qatar perdurent, car les dérives autour de son Mondial dépassent le simple cadre de l’émirat.

9 — Pourquoi n’y aura-t-il pas de boycott ?

Ces critiques entraînent un appel au boycott en 2021. Celui-ci est d’abord porté par la Norvège, suivie par d’autres pays européens. Depuis septembre 2022, la pression a augmenté : des personnalités, notamment certains anciens joueurs comme Eric Cantona ou Philip Lahm, et institutions publiques ont relayé cet appel

Mais, à quelques jours du début de la compétition, plusieurs questions sont soulevées : cet appel au boycott n’intervient-il pas trop tard ? Et surtout si le boycott avait hypothétiquement lieu, à quoi servirait-il ? L’ensemble des infrastructures construites par des milliers de travailleurs exploités existent. Les débats ont souligné l’immobilisme des acteurs de l’industrie sportive — FIFA, fédération, sponsors, diffuseurs, équipes et joueurs — qui n’ont pas réagi aux critiques. En revanche, les reportages et enquêtes des journalistes et ONG qui sont allés sur le terrain et ont dénoncé les conditions d’organisation ont permis des évolutions marginales. Se servir de l’événement en lui-même semble bien être le dernier levier pour faire bouger les lignes et atténuer les dérives de la Coupe du Monde de la FIFA.

Par ailleurs, le Qatar est devenu un acteur respecté et influent des relations internationales, comme en témoigne le rôle central joué par l’émirat lors des négociations entre les États-Unis et le régime taliban, à l’été 2021. La guerre en Ukraine et les conséquences énergétiques subies par l’Europe, notamment en acheminement de gaz, ont encore renforcé le rôle du Qatar sur l’échiquier mondial. Bien que fortement critiquée par les pays occidentaux, la Coupe du Monde au Qatar n’attire pas les mêmes controverses dans d’autres pays où la question des droits humains et de l’écologie sont moins présentes dans le débat public.

À l’approche de la Coupe du Monde au Qatar, il reste donc le rôle des lanceurs d’alerte, comme les ONG. À l’image d’Amnesty International qui profite de ce Mondial pour interpeller la FIFA dans la création d’un fonds destiné à la réparation des dommages subis par les ouvriers des chantiers du Mondial. Ces actions risquent de prendre du temps avant d’avoir un véritable impact tant la FIFA représente aujourd’hui une puissante organisation, qui pèse autant politiquement qu’économiquement — environ 6 milliards de dollars.

10 — La Coupe du Monde 2022 au Qatar sera t-elle la dernière organisée dans de telles conditions ?

Une fois ce constat fait, comment faire en sorte que les prochains grands événements sportifs respectent certains standards fondamentaux en matière de respect des droits humains ou d’écologie ? C’est une question complexe car chaque grand événement sportif devient un potentiel enjeu géopolitique, alors que les équilibres internationaux paraissent toujours plus instables. La FIFA est en tout cas loin d’être le garant d’une telle évolution pour le sport de demain.

Son président Gianni Infantino vient de s’installer à Doha pour superviser l’évolution du Mondial, une première dans l’histoire de la Coupe du monde, qui relance le débat autour de l’intégrité même de l’organisation. Sa position apparaît d’autant plus ambigüe qu’il a mené plusieurs actions de communication en mai 2022 autour de la Green Card, pour sensibiliser à la protection de l’environnement, alors même que le coût écologique de la Coupe du monde au Qatar s’annonce déjà désastreux, et que la prochaine Coupe du monde 2026 connaîtra des distances folles puisqu’elle s’étalera sur trois immenses pays (Canada, États-Unis, Mexique).

Serait-ce donc aux joueurs eux-mêmes de se mobiliser pour s’opposer à l’évolution du football professionnel ? Le poids des footballeurs et leur parole ont parfois plus d’impact que n’importe quelle organisation, mais ils font eux aussi partie d’un système qui s’empressera de les remettre à leur place s’ils prennent telle ou telle position, étant donné que leurs carrières sont brèves et fragiles.
Alors que cette nouvelle édition de la Coupe du monde va se dérouler fin 2022, le Mondial qatari symbolise à lui seul les limites auxquelles peut se confronter le soft power sportif. Le pays hôte, le Qatar, sera bien sous le feu des projecteurs, mais cette exposition ne va-t-elle pas brûler les ailes de l’ambitieux petit émirat ?
Et avec elles les contradictions de l’industrie sportive.
La planète vibrera peut-être pour le sport — mais à quel prix ?

SOURCES

  1. Christian Chesnot, « Qatar : les secrets d’une influence planétaire en 100 question », Editions Tallandier, 2022

Qatar : Le nombre de nationaux, sujet délicat

par Angélique Mounier-Kuhn  octobre 2018

Lorsque l’émir du Qatar, M. Tamim Ben Hamad Al-Thani, prend la parole devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York, en septembre 2017, son pays subit depuis trois mois l’embargo de ses voisins. Son discours frappe les esprits à Doha, non en raison du souffle de l’orateur — son ton est plutôt monocorde —, mais à cause d’une petite phrase. « Permettez-moi, en cette occasion (…), d’exprimer ma fierté à l’égard de mon peuple qatari, ainsi que des résidents multinationaux et multiculturels au Qatar », dit-il, se félicitant de la résilience collective face au blocus. Sans doute fallait-il des circonstances aussi particulières pour que Qataris et étrangers se côtoient dans un discours officiel. Mais, si elle est remarquée, cette esquisse d’union nationale reste toute rhétorique, tant les disparités de niveau de vie et de considération sociale sont abyssales entre ces deux catégories de population.

Le Qatar et les Émirats arabes unis comptent la plus forte proportion de travailleurs et de résidents étrangers du Golfe. Sur les 2 561 643 habitants décomptés en août 2018 , les Qataris seraient ultraminoritaires, de l’ordre de 10 %. Il faut se contenter de cette approximation : l’État actualise sa population totale à l’habitant près chaque mois, mais le nombre précis de ses propres ressortissants est introuvable, comme s’il avait la confidentialité d’un secret absolu. « Ces données ne sont pas disponibles », nous répond le ministère de la planification et des statistiques en faisant part de ses regrets.

De 369 000 habitants en 1986, la population a augmenté exponentiellement, à mesure que des forces vives étaient importées pour accompagner le développement : 744 000 habitants en 2004, 1 699 000 en 2010. Depuis, elle a encore crû de 50 %, et le déséquilibre entre nationaux et étrangers est patent : d’après le recensement de 2015, les Qataris n’occupaient que 1,75 % de l’ensemble des emplois (21 592 sur 1 233 110). À cela s’ajoute un déséquilibre entre hommes et femmes (3,12 hommes pour 1 femme), peu de travailleurs immigrés étant suivis par leur famille.

« Ce n’est pas tenable à long terme, d’autant que la baisse de la natalité au sein des foyers qataris pose problème : la proportion de nationaux va continuer de reculer. Cette population ne peut assumer les ambitions d’un pays comme le Qatar », souligne Majed Mohammed Al-Ansari, professeur de sociologie politique à l’université du Qatar. Pour l’État, la hausse de la population est un objectif stratégique. Mais les Qataris restent farouchement opposés à l’idée d’assouplir le système d’attribution de la citoyenneté, Doha ne la concédant que dans des cas exceptionnels. Ils ne pourront faire encore longtemps l’économie d’une réflexion de fond sur leur avenir démographique, estime l’universitaire : « Certains groupes pourraient être naturalisés, des ressortissants du Conseil de coopération du Golfe ou d’autres pays arabes présents depuis les années 1960 et très insérés dans le tissu social, comme les Palestiniens [dont des sources informelles évaluent le total à 20 000]. »

Il y a cependant un écueil. Naturaliser les mieux intégrés, à la rigueur ; mais qu’ils bénéficient de la prodigalité de l’État, c’est impensable. Un Qatari en âge de se marier se voit allouer neuf cents mètres carrés de terrain et un prêt sans intérêt de 1,2 million de riyals (280 000 euros) pour construire sa maison. Il bénéficie d’un emploi garanti dans la fonction publique et gagne, au minimum, deux tiers de plus que ses collègues non nationaux depuis que les employés de l’État ont obtenu 60 % de hausse de salaire (120 % pour les officiers dans l’armée) en 2011, dans le sillage des révoltes arabes. S’y ajoutent un chapelet d’allocations (logement, nourriture, transport, téléphone…) et la gratuité des soins médicaux, auxquels les résidents étrangers ont pour leur part accès moyennant une participation marginale.

Amoindrir ces privilèges pour qu’un plus grand nombre en bénéficie ne semble envisagé par personne. « Il reste deux possibilités, conclut le sociologue : soit il n’y a pas de naturalisations, soit les naturalisés sont exclus de certains droits, ce qui est injuste. » C’est pourtant le cas des quelques milliers de Bédouins naturalisés depuis le début des années 2000, parfois par tribus entières : ils ne posséderont jamais un morceau de terre qatarie.

Angélique Mounier-Kuhn

 

Un drôle d’automne à Doha

Choisi en dépit des controverses, des suspicions de pots-de-vin et des inquiétudes sur les droits humains, pour organiser le Mondial, le Qatar a relevé le défi, à coups de milliards de dollars. Sportivement, le tournoi est réussi, mais beaucoup de questions resteront sans réponse.

par Jean-François GOMEZ, à Doha Publié sur de nombreux journaux régionaux dont Le Bien Public, et les dernières nouvelles d'Alsace.

Le Qatar a réussi le pari d’organiser la Coupe du monde, douze ans après son attribution, sans échapper aux nombreuses critiques autour d’une XXII e édition de toutes les démesures. Photo Sipa /Xu ZIJIAN

Que faut-il retenir de cette XXIIe Coupe du monde, disputée pour la première fois dans un pays arabe, en pleine période automnale, où habituellement les compétitions de clubs mobilisent l’attention des supporters ? À écouter Gianni Infantino, le président de la Fifa, qui pouvait difficilement émettre un autre avis après son plaidoyer enflammé pour l’Émirat, c’est la Coupe du monde la plus belle de l’histoire. Elle est surtout celle de la démesure et de l’argent, puisque le coût de l’organisation est estimé à 220 milliards de dollars (environ 212 milliards d’euros), un chiffre astronomique, quatorze fois supérieur à celui de la Coupe du monde 2014 au Brésil.

Les sept stades magnifiques, construits pour cette occasion unique de transformer l’état gazier en vitrine du monde, et les diverses infrastructures sorties de terre ou du sable, ont pesé lourd. Quant au coût humain, il reste soumis aux estimations controversées sur le décompte macabre des chantiers du Mondial, et l’exploitation des ouvriers migrants. L’impact écologique est l’autre versant négatif de cette organisation, qui a tant soulevé de questions.

Mais cette Coupe du monde, au Moyen Orient sous 30 degrés, a aussi eu ses vertus. Elle a rendu fier le monde arabe, qui s’est rallié derrière les sélections d’Arabie Saoudite, de Tunisie, du Maroc, plus que du Qatar, avec ses dizaines de milliers de sympathisants, expatriés, venus du Maghreb, d’Europe ou d’Amérique. La diaspora s’est mobilisée, et l’ambiance de fête ne s’est jamais démentie dans les stades, les fan zones ou au souq Waqif, lieu de rassemblement pour prolonger les soirées sans alcool, ou avec en cherchant bien.

Le tournoi a suscité la ferveur des supporters argentins aussi, venus en nombre et renforcés par les locaux, immigrés du sous-continent indien, adorateurs de l’idole Messi. Le fait que le tournoi se déroule pour la première fois à près de 80 % dans une seule ville, Doha, a aussi facilité la vie des supporters. Lors de la phase de groupes, jusqu’à quatre matches par jour pouvaient être joués, et ceux qui avaient un peu de moyens en ont profité.

Le vaste réseau du métro, très fonctionnel, et les nombreux volontaires ont permis de régler le flux de la foule, sauf dimanche, jour de finale et de fête nationale. Une cohue indescriptible s’est constituée dans les stations et les rames débordantes de supporters et de familles comme pris au piège. On comprend mieux, à se retrouver au milieu de ce magma vociférant et suant, coincé, bousculé, comment des drames peuvent arriver.

Il n’en a rien été heureusement, et le Qatar, malgré toutes les critiques subies, peut se targuer d’avoir relevé le défi. Pour ce pays neuf où tout s’est construit très (trop) vite en cinquante ans à peine, il fallait montrer une image vertueuse. Mais le scepticisme perdurera après la Coupe du monde, quand ce pays de près de 3 millions d’habitants, dont moins de 300 000 nantis qataris, pour près de 90 % d’étrangers, en majorité des hommes, se retrouvera face à lui-même, à ses lois, assouplies le temps d’un Mondial, et à son avenir.

 

Le show au Qatar ne peut pas faire oublier les (terribles) controverses liées au Mondial

La compétition a uni le monde arabe, mais l'exploitation des travailleurs migrants et d’autres problématiques ont terni son bilan

Par ASH OBEL18 décembre 2022, 21:1 dans

Deux ouvriers nettoient une rue devant des gratte-ciel avec des affiches géantes des stars du football Cristiano Ronaldo du Portugal, Andre Ayew du Ghana et Dusan Tadic de Serbie, à Doha, au Qatar, le 29 novembre 2022. (Crédit : AP/Martin Meissner)

DOHA, Qatar – En se promenant dans la capitale du Qatar, il est impossible d’échapper aux affiches portant les mots « Now is All » (Tout se joue maintenant), collées sans relâche sur les transports en commun, dans les supermarchés, sur les panneaux de signalisation et dans les stades.

Slogan officiel de la Coupe du monde, ces quelques mots clairement ambigus semblent néanmoins incarner la mission que les autorités qataries espéraient remplir en accueillant le plus grand des tournois de football : se concentrer sur les stades étincelants, l’athlétisme de classe mondiale et l’expérience festive vécue par les fans – sans que l’on pense trop au chemin accompli pour en arriver là.

Malgré ces efforts, le passif du Qatar concernant son intolérance envers les homosexuels, son mépris des droits des travailleurs migrants et son rejet de longue date d’Israël, comme ailleurs dans le monde arabe, ne se sont pas fait oublier durant la compétition.

Bien que sa réputation ait été entachée d’un scandale de corruption présumée, l’instance internationale dirigeante du football, la FIFA, a présenté l’attribution du tournoi au riche État pétrolier du Golfe comme une tentative de promouvoir le football dans le monde arabe, où la popularité du sport ne cesse de croître depuis des décennies.

Contrairement aux compétitions précédentes, le monde arabe était bien représenté lors de cette toute première Coupe du monde au Moyen-Orient. Dans l’artère centrale de Doha, Souq Waqif, la majorité des fans étaient vêtus du vert et du blanc de l’Arabie saoudite, du rouge de la Tunisie et du Maroc, et même quelques-uns du marron du Qatar.

Sur le terrain également, les équipes arabes ont excellé, le Maroc devenant la première équipe arabe à atteindre les quarts de finale de la compétition, après que l’Arabie saoudite a battu de façon mémorable l’Argentine dans les premiers jours du tournoi.

Après cette victoire choc, les réseaux sociaux ont été inondés de vidéos montrant des citoyens arabes célébrant dans de nombreux lieux divers : dans des camps tribaux au milieu du désert, dans des cafés, ou défilant dans les rues. Ils ne se trouvaient pas seulement dans les rues de Ryad et de Djeddah, mais aussi à Bagdad, à Damas, au Caire, à Amman et à Hébron. Une vraie Coupe du monde arabe, livrée comme promise.

Hélas, tous les habitants de la région n’ont pas été invités à se joindre aux célébrations. L’accueil froid réservé aux Israéliens lors du tournoi – en particulier à ceux qui, comme moi, sont venus pour réaliser des reportages pour des médias israéliens – a été étonnamment dur.

Suite au développement rapide de relations diplomatiques saines établies entre Israël et certains États arabes au cours des dernières années, ainsi que la décision du Qatar d’autoriser les visiteurs israéliens et les vols directs depuis Tel Aviv, moi-même et de nombreux autres journalistes israéliens présents sur le terrain à Doha, sommes arrivés ici en pensant que ces développements positifs s’étendraient à la rue arabe. Cela n’a pas été le cas. Loin de là.

Au lieu de cela, comme indiqué précédemment, les journalistes israéliens ont été régulièrement cibles de remarques négatives, d’harcèlement ou même de menaces. Plusieurs d’entre eux sont devenus les protagonistes involontaires de vidéos diffusées fièrement sur les réseaux sociaux arabes, montrant des fans les réprimandant ou les insultant alors qu’ils essayaient de faire leur travail. Comme l’a dit un fan qatari, les Israéliens « ne sont pas les bienvenus ici ».

Dans mon cas, un incident survenu dans le centre médias de la FIFA, dans le centre-ville de Doha, a cristallisé ce rejet – même s’il n’était pas particulièrement grave. Durant une courte pause, j’ai discuté avec un journaliste yéménite alors que nous assistions tous les deux à un match de football diffusé sur grand écran.

Ensemble, nous avons analysé le match, comparé nos expériences au Qatar et évoqué les moments emblématiques des compétitions passées. Au bout de cinq minutes, il m’a demandé pour qui j’écrivais. En entendant la réponse, son visage est devenu blême et il s’est détourné de moi avec embarras, chuchotant quelque chose en arabe à son collègue à côté de lui, avec le mot « Israélien » clairement audible.

La simple mention du nom de cette publication était évocatrice. En une seconde, le mot « Israël » m’a transformé d’humain et d’ami en ennemi. Cela a peut-être aussi été le cas pour d’autres journalistes, dont les pays sont impliqués dans des conflits les opposant – Russes et Ukrainiens, Coréens du Nord et du Sud, Saoudiens et Iraniens…

Selon un article paru dans Haaretz, les organisateurs de la compétition avaient demandé aux équipes de sécurité des stades de confisquer tous les drapeaux n’appartenant à aucune des deux nations s’affrontant lors du match auquel le public participait. Cependant, le personnel a été informé que le drapeau palestinien était une exception à la règle, et qu’il devait être autorisé à entrer dans tous les stades, bien que l’équipe palestinienne ne participe pas à la Coupe du monde.

Pas seulement les Israéliens

Ces contradictions ont altéré ma perception de cette Coupe du monde. Les supporters du monde arabe, brièvement unifié, célèbrent ensemble leur succès sur et hors du terrain, mais à l’exclusion des autres : les Israéliens ne sont pas les seuls exclus, mais aussi les supporters LGBT et bien sûr les 6 500 ouvriers qui n’ont pu profiter de ce spectacle footballistique éblouissant car morts en construisant les stades colossaux dans lesquels les matchs sont joués.

En m’adressant à une poignée des quelque trois millions de travailleurs migrants du Qatar (bien qu’aucun n’ait travaillé dans l’industrie de la construction), il m’a été difficile d’évaluer les véritables sentiments et réalités de cette main-d’œuvre dont les droits et le traitement sont devenus une source majeure de consternation autour de cette Coupe du monde.


Le Qatar n’est pas réputé pour être un bastion de la liberté d’expression, et les travailleurs migrants se méfient probablement des répercussions qui pourraient survenir s’ils dénonçaient les traitements subis par leurs hôtes – donc les échanges avec eux doivent être pris avec méfiance, mais ceux auxquels j’ai parlé ont semblé exprimer une véritable positivité concernant la vie à Doha.

Alors que certains ont émis des critiques mineures, notamment concernant la chaleur accablante durant l’été, la plupart ont vanté les salaires relativement élevés et ce qu’ils ont qualifié d’absence de criminalité dans le pays.

Sous un soleil brûlant dans la banlieue terne de Doha, Rashid, un travailleur migrant originaire d’une ville près de New Delhi en Inde, a expliqué que son salaire – il gère un café dans un centre commercial de Doha –, lui permettait de vivre confortablement, et qu’il pouvait envoyer suffisamment d’argent à ses parents âgés, en Inde, afin qu’ils n’aient pas à se soucier de quelconques problèmes financiers.

Avec un grand sourire, Rashid a déclaré qu’il avait pu économiser suffisamment d’argent pour fonder une famille dans un avenir proche, ajoutant avec confiance que lui et sa progéniture anticipée considéreraient Doha comme « leur maison pour toujours ».


Au coin d’une rue, Sanaa, originaire de Rabat, au Maroc, m’a généreusement offert un shawarma du restaurant qu’elle gère, servant exclusivement la population migrante vivant dans les tours d’appartements environnantes. Bien qu’elle envisage de retourner dans son pays natal après cinq ans dans le Golfe, Sanaa m’a assuré que « la vie était belle » à Doha. Elle se sent en sécurité en tant que femme dans le pays, où un système pénal autoritaire et impitoyable réduit au minimum toute activité criminelle.

La plupart de ces travailleurs, cependant, sont employés dans le cadre du système de parrainage dit de la « kafala », largement utilisé dans tout le Golfe et dans certaines zones du Moyen-Orient. La « kafala » permet aux employeurs de maintenir des niveaux de contrôle extrêmement élevés sur leurs employés, notamment en confisquant leurs passeports. Les employés sont généralement logés dans des conditions insalubres et dans des appartements surpeuplés, et sont obligés de travailler de longues heures dans des températures élevées. Les critiques de ce système le qualifient d’esclavage moderne.


Un ouvrier devant un mur montrant la mascotte de la Coupe du monde 2022, « La’eeb », à Doha, au Qatar, le 19 novembre 2022. (Crédit : AP Photo/Eugene Hoshiko)

Selon The Guardian, 6 500 ouvriers du bâtiment sont morts jusqu’en 2021 dans la construction des infrastructures de la Coupe du monde. Les autorités qataris avaient précédemment affirmé que ce nombre ne s’élevait qu’à trois – mais, la semaine dernière, elles ont mis à jour leur décompte, l’établissant à « entre 400 et 500 » personnes.

Ces dernières années, le Qatar, en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT), a promulgué des réformes juridiques accordant aux travailleurs un plus grand contrôle sur leurs conditions de travail, mais l’OIT a affirmé que les travailleurs « sont toujours confrontés à diverses problématiques », et que des améliorations supplémentaires sont nécessaires.

Gianni Infantino, président de la FIFA, s’est souvent vanté du fait que, sans le prestigieux tournoi, les droits des travailleurs au Qatar n’auraient pas du tout évolué.

Cependant, il est difficile de croire que les ouvriers et la question des droits de l’homme étaient la priorité des 22 membres du Comité exécutif de la FIFA qui ont voté en 2010 pour attribuer l’organisation de la compétition au Qatar. Depuis, 16 d’entre eux ont été inculpés ou ont fait l’objet d’une enquête pour corruption ou faute professionnelle présumée. Bien qu’aucun fait de corruption n’ait encore été reconnu comme directement lié au Qatar et que l’État du Golfe a été innocenté par le comité d’éthique indépendant de la FIFA après une enquête de deux ans, de nombreuses allégations de corruption et d’achat de voix ont entaché la Coupe du monde 2022 dès ses premiers jours.

Avant chaque match, une réplique géante du trophée emblématique de la Coupe du monde parade au milieu du terrain, élément central du spectacle hypnotique d’avant-match avec des lasers clignotants, des rafales de feu et une musique rythmée. Partout dans le monde, un grand nombre de gens, y compris des Israéliens, attendent chaque match, vibrant devant le spectacle proposé en retenant leur souffle.

Mais derrière ces lumières envoûtantes et ces gratte-ciel étincelants, il ne fait aucun doute que ce petit État riche en pétrole a saisi l’occasion pour tenter de blanchir son image. « Tout se joue maintenant. »

Coupe du monde 2022 : la Palestine à l’honneur

Jean-Pierre Filiu professeur des universités à Sciences Po

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L’équipe du Maroc a affiché, jusqu’en demi-finales, son soutien à la cause palestinienne, à l’unisson des supporteurs arabes, au Qatar et dans le reste du monde.

supporteurs marocains accrochent un drapeau de la Palestine sur les gradins du stade Al-Bayt, à Al-Khor (Qatar), mercredi 14 décembre 2022, avant le match de demi-finales de la Coupe du monde de football entre la France et le Maroc. CHRISTOPHE ENA / AP

La Palestine a beau ne pas participer à cette Coupe du monde de football, son drapeau et son keffieh, le foulard traditionnel, ont été très présents tout au long de la compétition. Les supporteurs arabes ont célébré avec la même ferveur la performance exceptionnelle de la sélection marocaine et l’attachement populaire à la cause palestinienne, dans une nouvelle manifestation d’un profond sentiment de solidarité arabe, quels que soient les contentieux bilatéraux et les calculs des dirigeants.

Le Qatar n’a rien fait pour décourager un tel élan, autorisant les emblèmes aux couleurs de la Palestine à l’entrée des stades et diffusant sur Al-Jazira les déclarations propalestiniennes. C’est d’ailleurs au cours du Mondial que la chaîne qatarie a saisi la Cour pénale internationale pour la mort de Shireen Abu Akleh, sa journaliste vedette palestino-américaine, tuée par l’armée israélienne en mai, en Cisjordanie. Mais le pays hôte aurait été bien en peine de susciter un mouvement d’une telle ampleur, qui a largement débordé ses frontières.

La Palestine au cœur demeure

L’engouement pour la cause palestinienne se nourrit d’une sensibilité arabe qui, au moins symboliquement, transcende les cadres étatiques. Cette réalité est mal comprise dans une Europe qui, même unie et intégrée, voit rarement les supporteurs d’une équipe nationale se rallier à une autre par défaut. Or, comme le déclare un supporteur koweïtien, « aujourd’hui, je suis Marocain, il y a quelques jours, lorsqu’ils ont battu l’Argentine, j’étais Saoudien ».

Le public arabe, galvanisé par la victoire surprise de l’Arabie saoudite contre l’équipe de Messi (Argentine), a ensuite vibré aux succès de la Tunisie, éliminée en phase de poule, avant de s’enflammer pour les Lions de l’Atlas (l’équipe marocaine). Lors du match Tunisie-France (1-0) du 30 novembre, un spectateur est parvenu à s’infiltrer sur le stade avec un drapeau palestinien, sous les hourras de la foule qui scandait « Palestine, Palestine ». Quant aux supporteurs marocains, un de leurs chants a une tonalité très militante : « O notre chère Palestine, où sont les Arabes, sont-ils endormis ? Nous ne t’abandonnerons pas Gaza, même si tu es si loin, ô Rafah, ô Ramallah, le monde arabe est malade. »

La solidarité affichée avec la Palestine, loin de valoir blanc-seing pour les régimes en place, s’avère tout sauf anecdotique. C’est particulièrement vrai pour l’équipe du Maroc, transfigurée en championne de l’ensemble du monde arabe à l’occasion de cette Coupe du monde. Israël, où l’importante communauté d’origine marocaine est acquise aux Lions de l’Atlas, a pourtant félicité le Maroc à chaque étape de la compétition. Mais la sélection marocaine a marqué ses exploits contre l’Espagne, vaincue aux tirs au but, le 6 décembre, puis contre le Portugal (1-0), quatre jours plus tard, en posant collectivement avec le drapeau palestinien.

Un an auparavant, c’étaient l’Algérie et ses supporteurs qui brandissaient le drapeau palestinien en Coupe arabe, après la victoire sur le Maroc, signataire d’un des accords d’Abraham de normalisation avec Israël. Le retournement est aujourd’hui complet, avec des supporteurs algériens célébrant le parcours du Maroc au Mondial, au nom, entre autres, d’un attachement partagé à la Palestine.

Les limites des accords d’Abraham

Cette vague populaire de soutien arabe ne trouve cependant aucun écho sérieux au sein des deux directions palestiniennes, paralysées par leurs divisions et leurs luttes de factions. Mahmoud Abbas demeure crispé, à 87 ans, dans sa gestion autocratique de l’Autorité palestinienne, à Ramallah, tandis que le Hamas règne sans partage sur la bande de Gaza, à la faveur du blocus imposé par Israël à ce territoire depuis plus de quinze ans.

Pour mémoire, les forces d’occupation auront, en Cisjordanie, durant les quatre semaines du Mondial, tué au moins dix-neuf Palestiniens (dont deux âgés de 15 ans) et en auront blessé quelque trois cents (dont au moins dix-sept enfants). Ce lourd bilan clôt une année 2022 qui est, selon l’Organisation des Nations unies, la plus sanglante pour la population palestinienne de Jérusalem-Est et de Cisjordanie depuis 2005 et la fin de la deuxième Intifada. (*)

La dimension palestinienne du Mondial 2022 met dès lors en lumière les limites des accords d’Abraham, par lesquels Israël obtenait, de septembre à décembre 2020, la normalisation de ses relations avec quatre Etats arabes sans consentir, en contrepartie, à aucun geste sur la question palestinienne. Les Emirats arabes unis, fer de lance de ce processus de « paix chaude » avec Israël, ont définitivement laissé tomber le dossier palestinien, malgré les cartes sérieuses dont ils disposaient à cet égard. Quant à Bahreïn et au Soudan, ils n’ont ni l’envie ni les moyens de s’investir sur un tel dossier. Mais le Maroc, signataire du dernier de ces accords d’Abraham, vient d’accéder à l’élite du football international sur des accents très propalestiniens.

C’est peut-être le message le plus inattendu et le plus durable de cette Coupe du monde.

Jean-Pierre Filiu(professeur des universités à Sciences Po)

(*) Note de Mivy : la quasi totalité des victimes palestiniennes sont décédées lors d'échange de tirs avec l'armée israélienne qui cherche à démanteler des structures combattantes clandestines ennemies. L'Universitaire aurait pu écrire, " la résistance militaire à l'occupation s'organise, au cours d'affrontements armés avec Tsahal, au moins dix neuf palestiniens (dont deux âgés de quinze ans) etc...
. Cela aurait été plus honnête.

https://fr.timesofisrael.com/2022-lune-des-annees-les-plus-meurtrieres-pour-les-israeliens-et-les-palestiniens/

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