Débat au tour du livre de Daniel Lindenberg 
Le rappel à l'ordre 
Enquête sur les nouveaux réactionnaires 
 au Cercle Bernard Lazare

Les juifs virent à droite  -  Extrait du livre en vert, 
commentaires en noir 

   Voici extrait de l'ouvrage de Daniel Lindenberg, des passages de son chapitre intulé "When Jews turn Right   " qui a fait réagir  la plupart des journaux juifs, 
   
Le titre pourtant semble évident, notre communauté vire à droite. Les générations précédentes, se rappelaient que l'antisémitisme était à droite, sous l'ancien régime, au temps de l'affaire Dreyfus, ou sous l'occupation. D'où un encrage traditionnel à gauche, mes grands parents étaient tous deux au parti radical, qui à l'époque était loin du centre. 

 «   Aujourd'hui certains intellectuels, souvent issus de l'extrême gauche - voir plus haut sur une évolution semblable chez ceux qu'on appelait outre-Atlantique les New York -intellectuals-  se sont fait les porte-parole de la  " communauté " juive, dénonçant, avec une assurance qui ne laisse guère de place au doute ou à la contradiction, une " vague d'antisémitisme ", dont la réalité en tant que telle reste pourtant sujette à caution.  
    
On voit également les mêmes personnes qualifier d'antisémitisme (encore!) la plus petite réserve sur le bien-fondé des actions que mène le gouvernement Sharon en Palestine. »

   Daniel Lindenberg met entre guillemet le mot "Communauté" cette appellation serait-elle douteuse ?

  Communauté désigne tout regroupement de personnes ou de structures qui ont créé des liens entre elles ou/et qui ont des intérêts, une culture, des caractéristiques communes, dans un domaine plus ou moins restreint. 

  Il n'y a rien de commun entre la vie communautaire de religieux ou religieuses et la communauté européenne. Il n'empêche que le fait de vivre ensemble oblige à respecter des règles, qu'il s'agisse de la cohabitation d'Etats, de personnes ou de communes.  (* d'après "Mutation Radicale)

 

Formons nous une communauté ? 

   Oui, si nous avons des intérêts, une culture ou des caractéristiques communes
   - Nous n'avons pas d'intérêts en commun, n'ayant aucune relation économique entre nous.
   - Notre culture n'est pas commune non plus, certains d'entre nous sont religieux, d'autres athées, certains ont l'âme slave, d'autres sont d'origine berbère. 
   - Ce qui nous uni, c'est une histoire faite de persécutions, et un attachement à une tradition qui a placé Jérusalem au coeur de ses espoirs. 

    Ceux qui n'ont plus dans leur inconscient la marque de l'esclavage dans une Égypte occidentale ou orientale, ceux qui ont oublié Jérusalem ne font plus partie de notre communauté.   Ceux qui représentent notre communauté véhiculent naturellement ces deux thèmes, ils sont donc "naturellement" axés sur l'antisémitisme et le sionisme. 

  Outre notre communauté qu'il met entre guillemet, Daniel Lindenberg doute de l'existence d'une vague antisémite, alors qu'il ne doute pas de l'attachement des responsables communautaires à Sharon.   S'il n'existe pas dans notre pays de vague antisémite parmi nos compatriote d'origine chrétienne, comme l'a fait remarquer Elie Barnavi, la communauté musulmane est très fortement atteinte, grâce à une propagande ininterrompue. 

   Le raisonnement de Daniel Lindenberg pèche, car il est trop franco-français, il ne se place pas sur la scène mondiale, il ne tient pas compte de l'assemblée de Durban, où l'on a pu voir l'alliance entre le tiers-mondisme et l'antisémitisme accoucher de résolutions inqualifiables.     Il ne voit pas que l'alliance  contre l'Amérique vise d'abord le "petit satan", les juifs sentent que comme d'habitude, ils seront les premières victimes.

   Que cela me plaise ou non, Sharon est le premier ministre d'Israël, et il défend à sa sauce son pays. Si je défend le même pays que Sharon, cela ne veut pas dire que j'approuve les méthodes du premier ministre.  Certains veulent tuer Israël, si je les combat, cela ne veut pas dire que j'approuve Sharon. Certains veulent Sharoniser les amis d'Israël, et ce n'est pas très honnête. 

  

         On serait tenté de tenir ces manifestations de ce qu'il faut bien appeler de l'intolérance et de la mauvaise foi pour anecdotiques, si elles n'étaient la partie émergée d'une rupture plus fondamentale.

        On sait en effet quel rôle les intellectuels juifs ont tenu, dans ce pays, dans la constitution et la permanence d'un certain esprit républicain. Grâce aux travaux de Michael Marrus, de Paula Hyman, de Michael Graetz, de Patrick Cabanel ou de Perrine Simon-Nahum, on saisit aujourd'hui très bien la mentalité de ces premières générations de juifs émancipés qui voulurent fondre les idéaux de la Révolution française avec ceux de " l'hébraïsme ", à la lumière d'un judaïsme réinterprété à partir de ses propres sources, mais aussi de la science et du progrès.

     Le noyau originel de la " judaïcité " française (Bordelais, Contadins, Alsaciens-Lorrains, réfugiés des pays allemands) avait suscité, chez les élites des deux ou trois premières générations émancipées, une " religion civile " originale. On est convenu aujourd'hui d'appeler cette religion civile le " franco-judaïsme ". Elle a inspiré de grandes réalisations comme l'Alliance israélite universelle (1860), soutenue par des intellectuels saint-simoniens et quarante-huitards, sensibles au message du prophétisme juif.  Elle a aussi pénétré largement le milieu rabbinique, celui-là même qui avec Isidore Loeb crée en 1880 la Société des études juives, éditrice à partir de 1881 de la Revue des études juives qui paraît encore à ce jour. 

   

          Le principal thème du francojudaïsme est l'identité substantielle entre le message " mosaïque " ou " prophétique " débarrassé de sa gangue ritualiste, et l'esprit de 1789 et des Droits de l'homme. Les grandes voix du francojudaïsme (Joseph Salvador, James Darmsteter) pensent que le judaïsme, qu'ils préfèrent d'ailleurs nommer hébraisme, est appelé à régénérer le monde civilisé, en permettant aux démocraties de l'avenir comme aux Églises chrétiennes de s'alimenter aux sources communes et convergentes de la Révélation sinaïtique et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Dans les années de l'entre-deux-guerres, l'influence d'Aimé Pallière, personnage extraordinaire oscillant entre franco-judaïsme et modernisme, n'est pas négligeable. Des idées semblables sont alors répandues dans la franc-maçonnerie juive (ce même Bnai Brith qui obsède tant un Jean-Marie Le Pen!).

        A
ujourd'hui, nous sommes à des années lumière de ce climat. Cela vient fondamentalement de ce que la " synthèse judéo-protestante ", dont Patrick Cabanel a montré à quel point elle était un pilier de la République, appartient à un passé révolu (95).
        Maurras avait bien vu l'importance de cette synthèse, et sa théorie des " quatre états confédérés " (juifs, protestants, francs-maçons, métèques) se tenait, de son point de vue contre-révolutionnaire. Mais si le maître de Martigues revenait sur terre, il serait bien surpris de voir des intellectuels juifs d'aujourd'hui penser dans une direction aussi peu républicaine, et pas totalement incompatible avec ses thèses.

      Le porte-parole le plus influent du communautarisme juif d'aujourd'hui, le politologue Shmuel Trigano, professe en effet depuis plus de vingt ans l'idée que l'émancipation des juifs a été un leurre, qui les a désarmés en tant que groupe. Dès son livre la Nouvelle Question juive, Trigano met en accusation le judaïsme européen (ashkénaze) qui a cédé aux sirènes d'une modernité fallacieuse (individualisme, laïcité) et finalement créé les conditions de possibilité de son propre anéantissement . 

  Cette construction intellectuelle iconoclaste, sans qu'on puisse constater la moindre connivence entre les deux auteurs, renforce les effets d'un livre comme l’idéologie française de Bernard-Henri Lévy (1981).

        En effet, c'est la République française qui est déboulonnée de son piédestal, et la France dénoncée comme globalement antisémite, ou, à tout le moins, peu respectueuse de l'identité juive. Ce qui induit une grande différence entre le néoconservatisme juif ou judéophile en France et aux États-Unis.

     De l'autre côté de l'Atlantique, ce courant est d'un patriotisme exacerbé, y compris quand il défend  inconditionnellement l'État d'Israël. En France, tout au contraire, il est amené à s'en prendre aux mythes fondateurs de la République et aux illusions rétrospectives du franco-judaïsme (voir les livres de Pierre Birnbaum, impitoyables et peut-être quelque peu injustes pour les "Juifs d'État ", c'est-à-dire les hauts fonctionnaires qui ont aidé à construire et servi la Ill' République)

    

    L'image du judaïsme à la fin de l'ère des lumières était catastrophique. L'Église avait inculquée au peuple une image si mauvaise, que les juifs passaient pour des attardés, pour le peuple fossile qui subsistait pour démontrer le triomphe du christianisme. Même des esprits éclairés comme Voltaire acceptaient à la rigueur les juifs, à condition qu'ils deviennent philosophes, c'est à dire qu'ils abandonnent leurs coutumes et religions. 

       Les penseurs de l'époque révolutionnaires, ont donc cherché d'abord à s'auto justifier. A prouver que le judaïsme n'était pas incompatible avec les valeurs des lumières. Ils avaient un regard extraverti, et ont mis dans l'ombre tout ce qui faisait la spécificité juive. "Oui, vous voyez, nous sommes humains nous aussi, nous avons le droit de vivre" tel semblait être le message transmis. 

     Ces efforts ont conduit à produire un judaïsme aseptisé, et cherchant à tout prix la conformité avec l'ère du temps, et on a constaté chez les grands auteurs du début du siècle leur incapacité à transmettre le judaïsme, même à leurs enfants. Les penseurs amoureux de la république s'y sont abîmés.  
     
       
Quel apport pouvons nous apporter à la république, si nous ne sommes plus nous-même ? mais que pouvons nous apporter si nous nous enfermons dans notre ghetto ? 
     
Nous ne savons pas résoudre ce problème, et souvent nous sombrons d'un côté où de l'autre. 
     Les penseurs, qui sont à l'origine de la nouvelle vitalité du judaïsme religieux en France, sont partis habiter en Israël, comme André Néher, André Chouraki, Léon Achkenasi.  Ce n'était  pas pour fuir la France, pays qui est resté cher à leur coeur, mais pour se réchauffer auprès du feu d'une culture vivante. 
      Il est d'ailleurs curieux que Daniel Lindenberg parle du judaïsme contemporain en oubliant ces auteurs qui ont tant marqué notre communauté.

      Affirmer que la France serait globalement antisémite est un non sens, toutefois la France est globalement assimilationiste. Si le judaïsme veut vivre, il doit cultiver sa propre vision du monde, si les penseurs savent rester ouvert, ils retrouveront les valeurs universelles avec leurs habits de juifs (voir l'article sur la Foi Athée) .

     Les valeurs de la République sont reconnues, y compris pour certains militants sionistes, comme  Léon Askenazi par exemple, les diasporas devaient s'enrichir des valeurs des peuples au sein des quels ils vivaient. Puis après leur "montée" en Israël les diaspora emporteraient dans leur valise toutes les valeurs des peuples où notre communauté à vécu.  La richesse ne vient pas de l'enfermement, mais de la synthèse des enseignements. 

    

        Mais on trouve chez Trigano quelque chose de plus que chez Birnbaum : un populisme " séfaradiste ", qui s'en prend aussi bien au CRIF qu'aux " nouveaux historiens " israéliens, tous représentants d'un judaïsme " d'en haut ", étranger à la communauté réelle. 

    
Nous n'employons pas tout à fait au hasard ce vocabulaire maurrassien (" pays réel " versus " pays légal "). En effet, dans son dernier livre', Shmuel Trigano s'en prend avec vigueur au " politique après " d'Emmanuel Levinas (encore une idole ashkénaze à déboulonner) et lui oppose un " politique d'abord ". L’auteur sait-il que ce fut là le mot d'ordre essentiel de Maurras, mille fois martelé, qu'il opposait aux catholiques, qui comme Maritain affirmaient la " primauté du spirituel " ? Pourtant, le " politique après " de Levinas est étroitement apparenté à cette exigence de voir primer le spirituel, c'est-à-dire la référence aux valeurs transcendantes. Ce n'est pas par hasard que le jeune Levinas fut occasionnellement collaborateur à la revue Esprit. 

      Dans un numéro récent de l'hebdomadaire Actualité juive (avril 2002), S. Trigano ne s'en prend-il pas au PS et à Sos Racisme qui veulent selon lui découpler lutte contre l'antisémitisme (arabe) et soutien à Israël ? Quant à la démocratie et au " droit-de-l'hommisme ", ils sortent une fois de plus très bousculés aussi bien de l'Idéal démocratique au risque de la Shoah que de l'Ébranlement d'Israël, déjà cité.

      Rien de neuf par rapport au vieil argumentaire romantique, par exemple celui qu'on trouve dans... la Question juive du jeune Marx. La réduction démocratique des communautés à l'individu tuerait l'identité des peuples. On assisterait ainsi à un véritable " politicide " (sic) du peuple juif, qui ferait pendant en Occident au complot palestinien pour la destruction d'Israël au Proche-Orient. On disait que l'alliance des juifs avec les forces du progrès risquait de se rompre aux États-Unis. Assistons-nous à quelque chose de semblable en France? La vogue de tels penseurs, en rupture totale avec l'héritage du " franco-judaïsme ", que pour notre part nous estimons " globalement " positif, incite à se poser sérieusement la question. Mais les juifs ne sont pas seuls concernés. La tentation du repli identitaire souvent couplée à la fascination de l'autorité n'épargne décidément personne

       Daniel Lindenberg  se plait à dresser les ashkénazes, qui seraient les enfants de la république, aux sépharades qui seraient populistes. 

      Parmi les leader de notre communauté, M Knupfer, ashkénaze est le leader du Likoud Européen, ses idées sont si droitistes qu'il indispose le Likoud d'Israël, par contre, le président des amis français de  Shalom Archav, mouvement sioniste pacifiste est un sépharade.    La fracture aschkenaze sépharade a vécu. 

      Par contre le conflit du Proche Orient, joue un rôle sans cesse croissant dans le désamour de plus en plus visible entre l'État français et la communauté juive.  

     Dans les faits, les vagues successives d'immigration qui ont formé notre communauté ont trouvé dans les valeurs de la république une sécurité. C'est la France qui a abrogé le statut de dhimmi si pénible aux sépharades, et c'est la France qui a apporté l'égalité aux juifs de toute l'Europe. 

    Or aujourd'hui, c'est cette même France qui soutien passivement, voir activement l'ostracisme anti juif du monde arabe. L'exemple le plus flagrant est le dernier congrès de la francophonie, où le seul journaliste juif  a été molesté par des confrères qui n'avaient de francophone que...  le carton d'invitation. Malgré tout, Israël, qui possède une communauté riche de 400 000 francophones ne désespère pas de la France. 

  (95) Patrick Cabanel, " République juive et prophétisme biblique ", in les Juifs et la ville, Montpellier, Presses du Mirail, 2000. 
(96). Shmuel Trigano, la Nouvelle Question juive, rééd. Paris, Gallimard, coll. " Folio ", 2002 (avec une postface inédite).
97. S. Trigano, l'Ébranlement d'Israël, Paris, Le Seuil, 2002.
Michel Lévy 

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