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car il a été conçu par un chauve !

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HIRTZEL LEVY
MORT MARTYR A COLMAR EN 1754


Lundi, 10-Mai-2021
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par Isidore LOEB
Extrait de l'Annuaire de la Société des Etudes juives - 1881
(les sous-titres sont de la Rédaction du site)

Le récit qu'on va lire est tiré des pièces suivantes :

  • Une relation contemporaine écrite dans le patois judéo-allemand des Juifs d'Alsace; manuscrit de 28 pages papier écolier. Cette pièce était précédée d'une introduction (Hakdama) qui nous manque.
  • Une pièce manuscrite d'une page et demie, rédigée dans la même langue et intitulée Le secours de l'Eternel teshouath H'. Elle contient un très court exposé des faits et ressemble assez à une circulaire qui a peut-être été envoyée aux communautés juives d'Alsace.
  • Un Mémoire imprimé qui a pour suscription : MEMOIRE POUR Abraham-Hirtzel Lévy et Feile sa soeur ; Hanna femme de Hirtzel Brunschuick Juif, de lui autorisée, enfans et gendre de défunt Hirtzel Lévy Juif ; et Moyse Lang et Menehek Lévy aussi Juifs, de la Haute-Alsace; Demandeurs en révision de deux Arrêts du Conseil supérieur d'Alsace. (In fine :) De l'Imprimerie de Grangé, rue de la Parcheminerie (à Paris?]. 1755. - In-f° de 12 p.
  • ARREST du Parlement de Metz qui purge la mémoire de défunt HIRTZEL LEVY juif, condamné a être rompu vif par sentence du Bailly de Ribeaupierre du 23 décembre 1754, confirmée par Arrêt du Conseil supérieur de Colmar du 30 du même mois, et qui répute ledit Hirtzel Lévy mort dans son Etat entier, maintient ses héritiers dans ses biens ; renvoye Moyse Lang et Menehek Lévy de l'accusation contre eux formée, les décharge des peines prononcées à leur égard, leur rend leur liberté et ordonne que leurs Ecrouës seront rayés et biffés, etc. Du vingt-quatre septembre 1755. A Metz, chez François Antoine, imprimeur du Roy et de Nosseigneurs du Parlement; in-4° de 14 p. (Arrests du Parlement de Metz, a la Bibliothèque nationale, 1 F, n° 2794, recueil factice dispose par ordre chronologique .) (1)
  • Choix de nouvelles causes célèbres, par Des ESSARTS; tome 1er , Paris, 1785. Réhabilitation du malheureux Hirtzel Levy, mort innocent sur la roue; p. 117 à 168.
    Petite Gazette des Tribunaux, publiée par M. de Neyremand. [1re année,] Colmar, 1859 ; n,, 8, p. 113, et n° 9, p. 129.
  • Divers documents qui seront cites au cours du récit.


I. L'accusation

Le 31 décembre 1754 expirait sur l'échafaud, à Colmar (Alsace), un juif de Wedelsheim (2) , nommé Hirtzel Lévi, victime innocente d’une erreur judiciaire ou l'intolérance religieuse à la plus grande part.

Il y a près de Colmar un petit village du nom de Hauzen (aujourd'hui Houssen),houssen qui faisait alors partie du bailliage de Ribeaupierre (aujourd'hui Ribeauvillé).
Le lundi 25 kislev (nuit du 9 au 10 décembre 1754) un attentat y fut commis, dans la maison de la veuve d'un ancien prévôt de cet endroit, nommée Madeleine Kafin (Kaufin) (3) . Cette veuve prétendit qu'entre onze heures et minuit des malfaiteurs avaient pénétré dans sa maison, et lui avaient volé "douze louis dans la chambre d'en bas, et en haut cinquante louis, avec un louis d'Espagne et argent blanc, le tout montant a environ 3,000 livres, sans compter le métal et autres effets (4)", comme du porc fumé suspendu dans la cheminée de la cuisine, suivant la méthode alsacienne de fumer les viandes.

Il n'y avait dans la maison qu’une servante, Catherine Strutmann (5). Au bruit qu'elle fit, tout le village se réveilla et le fils de Madeleine, qui remplissait les fonctions de prévôt, envoya des paysans dans toutes les directions, mais ils ne trouvèrent absolument aucune trace des coupables.

L'émotion fut grande, parmi la population chrétienne d'Alsace, lorsqu'elle apprit ce crime et qu'elle sut qu'on en accusait des Juifs. On en trouve la trace dans les chroniques du temps (6). La nouvelle du crime se répandit dans les villages, et pendant les veillées du mois de décembre, il s'en faisait des récits accompagnés de toutes sortes de circonstances étranges. On racontait que la veuve du prévôt, interrogée le lendemain par son fils, disait que les malfaiteurs étaient au nombre de quatre, qu'ils avaient eu la figure masquée ou barbouillée de couleurs, et qu'ils l'avaient cruellement torturée, même brûlée entre les jambes avec un fer rouge (7), pour lui faire dire ou elle cachait son argent. Dans tous les cas la veuve accusait des Juifs d'avoir commis le crime. Elle disait (ou on disait) que les malfaiteurs avaient parlé entre eux le jargon judéo-allemand usité en Alsace (8), et que, de plus, l’un d'eux tenait à la main un de ces grands couteaux qui servent, selon les rites juifs, à l'abattage du bétail.

Dès le lendemain 10 décembre, sur la réquisition du fils de la veuve, le bailli de Ribeaupierre et le procureur fiscal se rendirent à Hauzen pour examiner l'affaire sur les lieux. On reproche au bailli d'avoir logé et mangé chez le fils de la plaignante.
De son côté le lieutenant de la maréchaussée détacha le même jour un cavalier de sa troupe, "pour s'informer de quelle manière le vol avait été commis" .
Enfin, le même jour encore, "le brigadier de la maréchaussée et un de ses cavaliers, qui se trouvaient en course, ayant appris le vol" , se rendirent à Hauzen et interrogèrent la veuve.

Il résulte du procès-verbal du cavalier de la maréchaussée que Madeleine accusait du crime les trois Juifs suivants : Hirtzel Levi, de Wedelsheim, Menehek Levi (9), de Wedelsheim, Moyse Lang, de Ribeauvillé.
D'après le procès-verbal du brigadier, an contraire, la plaignante avait déclaré ne point connaître les coupables, "mais qu'elle croyait qu'ils ne pouvaient point être d'autres" que les trois Juifs précités. D'après le même procès-verbal, la servante de la veuve avait déclaré que le seul voleur quelle eut reconnu était Hirtzel Levi , de Wedelsheim, lequel aurait attaché ensemble la servante et la veuve du prévôt.

Les trois accusés, plus un quatrième Juif nomme Feiss (10), venaient presque tous les jours à Hauzen (village où il ne demeurait pas de Juifs), tout le monde les aimait et les estimait, les enfants même les connaissaient. Leurs vrais noms étaient : Hirtz, fils d'Itzig (Isaac) Lévi ; Menke, fils de Baruch Lévi, Moshé (Moïse), fils d'Itzig Lang, et enfin Feiss, fils de Simson, de Grussenheim. Hirtzel était sans doute le plus riche et le plus considéré des quatre, et c'est ce qui lui valut le douloureux privilège d'être particulièrement poursuivi par l'accusation. Menke avait pour profession d'abattre les bêtes selon les rites juifs. A Hauzen, on l'appelait couramment Menke der Schächter (l'abatteur) (11), Moïse Lang, de Ribeauvillé, était appelé der Lange (le Lang ou le long).

La prévention ne s'appuyait que sur la déclaration de la veuve du prévôt et de sa servante, parties intéressées. La circonstance suivante avait pu y donner lieu. Il était d'usage, à cette époque en Alsace, au moins parmi les Juifs, de faire, à la fin de l'automne, une provision de viande (fumée?) pour l'hiver. Huit jours avant le crime, Hirtzel avait acheté, pour cet objet, une bête de la veuve du prévôt et l'avait fait tuer par Menke dans la maison de la venderesse ; Moïse Lang, qui avait en même temps fait abattre une bête à Hauzen par le même Menke, avait aidé Hirtzel à faire sortir la bête de l'écurie. Dans aucune autre circonstance il n'était entré dans la maison de la veuve. D'après le procès-verbal du brigadier de la maréchaussée, la plaignante dit qu'elle soupçonnait les trois accusés parce que, la veille, elle avait été en négociation avec eux pour leur vendre une vache.

II. La condamnation

Ces indices suffirent à convaincre des magistrats prévenus. Les trois accusés, Hirtzel, Menke et Lang, furent décrétés prise de corps, et le même jour (10 décembre) les deux derniers furent pris et enfermés dans la prison de Hauzen. Lorsque le mardi 26 kislev (10 décembre) on vint arrêter Hirtzel, on ne le trouva point et on se borna à mettre les scellés sur ses effets. Feiss fut arrêté à son tour le 12 décembre et conduit à Hauzen.

Hirtzel était à ce moment à Sierentz, près de Bâle, ne se doutant pas de la terrible accusation qui pesait sur lui. Il s'y était rendu pour voir sa soeur qui y demeurait, et lui apporter ses condoléances à l’occasion de la perte d'une fille mariée. Il avait choisi cette époque parce que c'était la fête de Hanouka (restauration du temple par les Macchabées), fête qui dure huit jours et où les Juifs se donnaient quelques vacances. "Mais cette joie fut changée en deuil". Un exprès fut envoyé à Sierentz par les amis de Hirtzel, quoique personne ne pût croire qu'il courût un danger sérieux, tant sa renommée était bonne. Il aurait pu s'enfuir en Suisse (il y aurait été en deux heures), ou à la frontière du Rhin, distante de Sierentz d'une demi-heure; mais il avait la conscience en repos, et il semble, en outre, qu'à un grand sentiment de sa dignité il joignit celui de sa responsabilité envers ses co-accusés et envers le judaïsme tout entier, que sa fuite aurait pu compromettre. Hirtzel résista avec fermeté aux sollicitations de ses parents et de ses amis. Fort de son innocence, il se rendit à Wedelsheim le premier jour de la néoménie de tébeth (dimanche 15 décembre), en compagnie de son beau-frère, Isaac Dreyfuss, et le soir même il se présenta devant le prévôt de cet endroit.

Celui-ci n'ayant pas reçu ordre de l'arrêter, Hirtzel alla le lendemain, lundi 2 tébeth (16 décembre), se constituer prisonnier à Hauzen. Il traversa, pour s'y rendre, la Ville de Colmar, et rendit visite à un négociant nommé Mizel, chez lequel il rencontra la dame de Rockenbach. Dès que celle-ci l'aperçut, elle poussa un grand cri, et le supplia de fuir jusqu'au Rhin. La femme de Mizel, qui était la soeur du maître de poste, lui promit de mettre à sa disposition tous les chevaux de la poste. Hirtzel resta inébranlable.

Les trois autres détenus avaient déjà été interrogés le 12 décembre. Hirtzel fut interrogé par le bailli de Ribeauvillé le jour même de son arrestation. Cette fois encore, le bailli logea et mangea chez le fils de la veuve du prévôt, quoique cela ne se fût jamais fait dans d'autres circonstances. Il refusa de consigner dans son procès-verbal l'alibi que Hirtzel opposa à l'accusation, sous prétexte que cet alibi ne reposait pas sur de bonnes preuves (12). Les moyens de défense des trois autres accusés furent également repoussés par lui et il n'en fit aucune mention au procès-verbal de l'interrogatoire. Cette conduite du bailli était d'autant plus coupable que le procureur fiscal avait reçu d'un chrétien de Sierentz, M. Hammel, que nous apprendrons à connaître plus loin, une lettre confirmant les assertions de Hirtzel, et que ce fonctionnaire n'avait pas manqué de communiquer au bailli. Les prévenus offraient de prouver que le procureur lui avait lu cette lettre à haute voix en leur présence et devant les gardes qui les avaient amenés.

Le 17 décembre, le bailli procéda à une nouvelle information par addition; le 18, un jugement ordonna le récolement et la confrontation des témoins des accuses ; le 23, Hirtzel, Menke et Lang furent interrogés sur la sellette.

Ce même jour 23 décembre (mardi 26 kislev), le bailli rendit sa sentence. Elle était cruelle. Hirtzel, Menke et Lang étaient condamnés à la question ordinaire et extraordinaire, et s'ils n'avouaient pas et ne dénonçaient leurs complices, ils devaient être rompus vifs et exposés sur la roue.

"Ils ont été condamnés, dit l'arrêt du Parlement de Metz, d'avoir les jambes, cuisses et reins rompus vifs sur un Echaffaut... et exposés ensuite sur la rouë, la face tournée vers le ciel, pour y finir leurs jours, préalablement appliqués à la Question ordinaire et extraordinaire en révélation de Complices, et chacun en cent livres d'amende envers la Seigneurie, et solidairement aux dépens du Procès à 506. livres 9. sols (13)."
Quant à Feiss, que la veuve du prévôt n'accusait même pas, il devait rester encore quatre semaines en prison, puis, si la prévention contre lui ne se confirmait pas, remis en liberté.
L'émotion et la douleur des Juifs alsaciens furent grandes. Le procès prenait des proportions inquiétantes. Aux yeux des paysans, l'accusation rejaillissait sur tous les Juifs, elle réveillait tous les préjugés et tous les sentiments d'intolérance religieuse. Les Juifs n'osaient plus aller à leurs affaires ni se laisser voir dans les villages.

Les quatre prisonniers de Hauzen, pleins de confiance dans la juridiction du Conseil supérieur d'Alsace, en appelèrent à lui de la sentence du bailli, et ils furent, par suite, transportés à la prison de la conciergerie de Colmar le lundi 9 tébeth (23 décembre) (14) , la veille des vacances de Noël.

Le Conseil était divise en deux chambres, c'était la seconde chambre qui jugeait au criminel, la première ne s'occupait des procès criminels qu'au temps de vacances; c'est pour cette raison que les trois accusés furent jugés par cette chambre. Elle eut vite expédié l'affaire. Le lundi 16 tébeth (30 décembre) elle prit l'arrêt suivant :

La sentence du bailli à l’égard de Feiss était confirmée.
Le procès de Menke et de Lang était ajourné jusqu'après le 1er janvier dans l’espoir qu’ils seraient accusés par Hirtzel au milieu des souffrances de la question.
Hirtzel, la plus intéressante des trois victimes, était condamné à mort, avec des raffinements de cruauté
Après qu'on lui aurait rompu les os, on le laisserait vivant pendant dix-huit heures sur la roue avant de lui donner le coup de grâce, et de plus, le jour même de l’exécution, on le soumettrait encore à la question ordinaire et extraordinaire, pour lui arracher un aveu.
(15)
 

III. L'iniquité de la sentence

L'iniquité de cette horrible sentence sautera aux yeux quand nous aurons exposé les moyens de défense des prévenus.

Et d'abord les contradictions et les défaillances de la prévention et les irrégularités de la procédure.

Rien ne prouve, dans les pièces que nous avons sous les yeux, que la justice ait cherché à s'éclairer sur l'existence même du crime.

Etait-il vrai que la veuve eut été liée, maltraitée, volée ? Pouvait-elle établir la présence d'une forte somme d'argent chez elle ? Etait-elle véritablement blessée ? Où étaient les effets que les voleurs auraient emportés, et les avait-on recherchés chez les accusés ou ailleurs? Il semble que la justice ne se soit occupée d'aucune de ces questions.

Dans l’émotion de la première heure, la plaignante avait accusé formellement, devant le prévôt son fils, les trois prévenus Hirtzel, Menke et Lang ; elle fit de même devant le cavalier de la maréchaussée, mais devant le brigadier de la maréchaussée elle dit qu'elle ne connaissait pas les coupables mais elle supposait que c'étaient les trois prévenus précités.
Enfin, lorsqu'elle fut confrontée avec les accusés en présence du bailli, elle déclara qu'elle avait l'esprit troublé et qu'elle n'était en état de reconnaître aucun des accusés ; elle se serait, à ce moment, désistée de la plainte, si le bailli, intervenant peut-être à tort, ne lui eut fait entrevoir, comme conséquence de cette résolution, une condamnation à payer les frais du procès et peut-être une amende et des dommages-intérêts.
Du reste, s'il est vrai que, suivant la veuve, les coupables avaient eu la figure masquée, on se demande comment elle aurait pu les reconnaître; mais ce détail appartient peut-être à la légende du crime.

Le témoignage de la servante était en contradiction, sur un point important, avec celui de sa maîtresse. Celle-ci prétendait que Hirtzel avait été le principal auteur des violences qu'elle avait subies, tandis que, d'après la servante, Hirtzel se serait tenu tout le temps auprès de cette servante, pour la maintenir et lui imposer silence, pendant que ses complices commettaient le crime et maltraitaient la veuve.
En outre, la servante disait qu'elle avait été attachée à sa maîtresse ; celle-ci ne savait rien de cet incident.
Enfin, si les deux femmes avaient été liées par les voleurs, qui donc avait dénoué leurs liens et les avait remises en liberté ?
Ni le bailli, ni le Conseil supérieur ne s'étaient posé ces questions. "L'on ne trouve que trop de ces hommes, dit Des Essarts, qui, par un fanatisme proscrit par la religion, ne se feroient ni peine ni scrupule de coopérer, par des voies illicites à la ruine et même à la mort d'un juif faussement accusé. (p.166)"

L'imagination populaire aidant, on trouva encore quelques témoins à charge.
Une femme de Wedelsheim, nommée Marie Keller, qui avait été condamnée autrefois, pour vol, par le tribunal de Saverne, à être marquée du fer rouge et bannie pour cinq ans, prétendit que la femme de Menke lui avait promis de l'argent, si elle voulait témoigner qu'elle avait vu Menke à Wedelsheim, à onze heures du soir, dans la nuit du 25 au 26 kislev (9 au 10 décembre). Cela ne serait pas impossible, puisqu'en réalité, comme nous le verrons plus loin, ce témoignage ainsi sollicité aurait été conforme à la vérité.
Un certain Peter Bayer, de Ribeauvillé, également condamné, le 12 septembre 1753, par le Conseil supérieur, à cinq ans de bannissement, déposa que le mardi 10 décembre, entre cinq et six heures du matin, il avait rencontré, entre Ribeauvillé et Ostheim, un homme à qui il dit le bonjour et qui lui répondit et qu'il crut reconnaître la voix de Lang. Un portier de la ville de Ribeauvillé disait avoir vu Lang sortir de la ville le 9 décembre, à dix heures du matin et qu'il ne l'avait pas vu rentrer.
Enfin, deux paysans envoyés le matin du 10 décembre à Colmar par le prévôt de Hauzen, pour avertir la maréchaussée, dirent que, entre quatre et cinq heures du matin, ils rencontrèrent sur la route de Schoppenwihr deux personnes qui s'éloignèrent à leur approche. Ils prétendirent qu'ils avaient reconnu, dans ces deux personnes, Hirtzel et Menke (malgré l'obscurité de cette heure matinale) (16) Un troisième paysan de Hauzen dit qu'il avait vu Hirtzel à quatre heures du soir, le 9 décembre à Hauzen (17).

Ce ne sont là, en réalité, que des détails sans importance, qui disparaissent entièrement devant la preuve de l'alibi que les trois accusés offraient de fournir et qui ne pouvait pas laisser subsister le moindre doute sur leur innocence.
Pour tout ce qui suit il faut constamment se rappeler que le crime fut commis dans la nuit du 9 au 10 décembre, entre onze heures et minuit.

Or, Menke Lévi, le schaechter de Wedelsheim, offrit de prouver que, cette même nuit, il avait abattu deux chèvres dans la rue, à Wedelsheim, à neuf heures du soir; que la femme d'Antoine Heizer et une autre voisine chrétienne étaient présentes, et que cette dernière avait même recueilli le sang des chèvres ; étaient présents aussi Dominique Persaburger et Peter Peterli, prévôt de Wedelsheim ; qu'il avait ensuite abattu une vache dans sa propre maison ; qu'à onze heures du soir il avait eu la visite de deux Juifs, Judel et R. Joseph, 'hazan (ministre officiant), le premier étant venu le prier de lui changer un thaler; enfin, que le lendemain 10 décembre, à six heures du matin, il avait été vu par la femme du conseiller Freiburger et deux autres femmes chrétiennes, pendant qu'il débitait la vache qu'il avait tuée la veille.
Wedelsheim est à trois bonnes heures de Hauzen ; si donc Menke a été à Wedelsheim à dix et à onze heures du soir, il était impossible qu'il eut été à Hauzen à onze heures du soir, heure du crime ; s'il a été à Wedelsheim à six heures du matin, il n'a pu être rencontré sur la route de Colmar entre quatre et cinq heures du matin.

Les preuves de l'alibi de Moise Lang, de Ribeauvillé, n'étaient pas moins décisives.
Le 9 décembre, il avait vendu du vin, à Ribeauvillé, à un Suisse, et le conseiller Gangwolff lui en avait remis le prix à cinq heures du soir.
Vers la même heure, il fut aperçu à Ribeauvillé par Christian Ulrich, procureur, et le fils de Christian.
A six heures du soir, la fille de la veuve Christophe Hermbach était venue chez lui pour acheter du chanvre et y était restée jusqu'à sept heures.
De sept heures à huit heures il avait soupé.
A huit heures, il était allé dans la maison de R. Simon Weil, où s'étaient réunies plusieurs personnes en l'honneur de la fête de Hanouka, et il y était resté jusqu'à onze heures. Parmi les personnes qui l'avaient vu dans cette maison, il citait R. Zaeckele Mutzig, R. Zalman Speier, Abraham, fils de R. Lipman Bergheim, R. Gerson Coblentz.
Après onze heures, se rendant chez lui, il avait été recontré dans la rue par Dieboldt Hess, gardien de nuit, et la femme de celui-ci.
Le lendemain 10 décembre, à six heures du matin, il fut vu par Hans Joerg et la femme Baumann ; à sept heures, il fut vu par Boldiweck et Martin Bayer.

En supposant même que les témoignages des Juifs qui l'avaient vu à Ribeauvillé de huit à onze heures du soir, fussent suspects, et que celui des deux personnes qui l'avaient rencontré dans la rue après onze heures dut être sujet à caution, parce que l'obscurité n'avait permis de le reconnaître qu'à la voix, les autres preuves de Lang étaient plus que suffisantes. En effet, Ribeauvillé était alors une ville fortifiée, qu'on fermait à la nuit et qu'on ouvrait au jour, c'est-à-dire que les portes en étaient fermées, en décembre, de cinq heures du soir à sept heures du matin, et qu'on ne pouvait y entrer ni en sortir sans être vu par les gardiens. Or, Lang avait été vu, dans la ville, le 9 au soir, à six et sept heures, par nombre de personnes ; de même le lendemain, à six heures, avant l'ouverture des portes ; aucun des gardiens ne l'avait vu ni entrer ni sortir dans cet intervalle, il était donc de toute évidence qu'il avait passé toute la nuit du 9 au 10 décembre à Ribeauvillé.

Hanouka au temple

L'alibi de Hirtzel enfin est écrasant pour ses juges. On ne saurait imaginer un ensemble de preuves plus fortement constitué. Pendant toute la journée du 9 décembre, la nuit jusqu'à onze heures, et le lendemain matin, on suit Hirtzel pas à pas et presque sans le perdre de vue un instant.
On se rappelle qu'il était allé à Sierentz, voir sa soeur et son beau-frère Isaac.
Le 8 décembre, à huit heures du matin, il s'était mis en route, allant d'abord à Colmar, avait été vu par plusieurs personnes, entre autres par le négociant Edkofer, à qui il dit qu'il allait à Sierentz. Le même jour, il arriva à Réguisheim, mangea au restaurant juif et passa la nuit chez Seligman Reksheim.
Le lendemain matin, 9 décembre, il se rendit à la synagogue et fit la prière en commun avec les autres israélites du village.
Entre sept et huit heures, il se mit en route de nouveau, et, sur le chemin de Réguisheim à Ensisheim il rencontra le domestique du prévôt de Mayenheim (18) qui allait chercher du bois dans la forêt ; il monta sur la voiture du domestique et n'en descendit qu'au village de Battenheim, près de la forêt de la Harthe.
A midi, il avait dîné, à Habsheim, chez Salomon Haas.
Arrive à une demi-lieue environ de Sierentz il rencontra le voiturier Jacob Schaller.
Plus près de Sierentz encore, il rencontra M. de Waldner, gentilhomme de Sierentz, avec deux carrosses dans lesquels il y avait beaucoup de monde, entre autres M. Spebbach (ou Spegt), officier dans le régiment des Suisses, M. Hammel, gouverneur du jeune de Waldner, et les domestiques. Tous le connaissaient et l'avaient reconnu ; plus loin encore, il rencontra le voiturier Schlaegeli. Il était alors près de quatre heures du soir.
Tout le monde le vit entrer à Sierentz, il avait parlé en passant avec beaucoup de personnes, avec l'aubergiste de l’Etoile, entre autres.
Dans la maison de son beau-frère, il fut vu par les personnes suivantes : jusqu'à huit heures du soir, par une couturière nommée Catherine, qui travaillait en journée chez son beau-frère ; jusque vers dix heures du soir, par Jacob Sutter et deux Juifs, Natanel Dreyfus et Jossel Ulmo.
A dix heures, le jardinier de Mme de Waldner vint acheter des chandelles et Hirtzel lui offrit un verre de vin. Le domestique étant resté une heure dehors pour faire sa commission et Mme de Waldner l'ayant grondé, il s'excusa en disant qu'on l'avait fait attendre chez Isaac, parce que celui-ci faisait la conversation avec Hirtzel et avec Sutter.
A onze heures, la domestique juive de son beau-frère l'avait encore vu, avant qu'il allât se coucher. Le lendemain, 10 décembre, à six heures du matin, la couturière Catherine l'avait vu s'habiller.
A six heures et demie, Joseph Schlitz et sa femme étaient venus chez Isaac et avaient aperçu Hirtzel. A sept heures, il était allé à la synagogue.
Entre sept et huit heures il était allé avec son beau-frère chez l'aubergiste de la Couronne ; il y avait été vu par beaucoup de personnes, et la femme du prévôt l'avait vu passer, à la même heure, devant sa maison. D'après le Mémoire, la femme du prévôt le vit chez Isaac prenant son café au lait vers six heures du matin.
"S'étant ensuite rendue chez Mme de Waldner, elle lui avait dit : Vraiment, madame, vous ne prenez pas votre café comme Isaac, car il le mange avec du pain (19)."
Enfin, toujours entre sept et huit heures du matin, Hirtzel était allé avec Isaac, au château de M. de Waldner, et y avait été vu par le fils de M. de Waldner et son gouverneur. En attendant que M. de Waldner père fût levé, ils vendirent au jardinier une fourrure de martre pour un bonnet.
Le vendredi 11 décembre, Hirtzel apprit à Sierentz la triste nouvelle; il se serait rendu immédiatement à Wedelsheim, s'il n'avait pas voulu observer le repos du samedi. Dès dimanche il se mit en route, malgré les instances et les supplications de ses amis.
Il est impossible d'imaginer un alibi mieux prouvé. Sierentz est à douze bonnes lieues de Hauzen (20), il n'y avait pas de chemins de fer cette époque, une voiture lancée à toute vitesse n’aurait pas pu transporter Hirtzel de Sierentz à Hauzen entre dix et onze heures du soir, sans compter qu'elle aurait été remarquée.

Ce qu'il y a de plus grave pour les juges, c'est que, malgré leur refus d'admettre Hirtzel à faire la preuve de ses allégations, ils ne purent écarter entièrement les témoignages en sa faveur. Le Conseil supérieur venait d'envoyer aux environs de Bâle, pour une autre affaire, une commission composée de M. Madamé, conseiller au Conseil supérieur, d'un substitut et d'un greffier. Ces commissaires descendirent à Sierentz, le 28 décembre, chez M. de Valdner ; ils y apprirent, par les "déclarations unanimes et non suspectes" des maîtres et des habitants du château tout ce que disait Hirtzel de sa présence à Sierentz dans la nuit du crime. Profondément ému de ces témoignages, M. Madamé écrivit, le lendemain 29 décembre, au premier Président du Conseil une lettre que celui-ci reçut le 30 au matin et dont il donna lecture aux juges, au moment du prononcé de la sentence. Les juges restèrent sourds et aveugles !

IV. Le supplice

Hirtzel subit la question ordinaire et extraordinaire avec fermeté (21). On avait fait faire, pour le torturer, une machine nouvelle, un anneau de fer qu'on lui mit autour de la tête (22). A mesure qu'on serrait la vis, le sang lui jaillissait des yeux et des oreilles.
On le jeta mourant, le soir du 30 décembre, dans son cachot.

Il ne savait encore rien de sa condamnation à mort, mais déjà on dressait l'échafaud sur la place du marche au bétail et le bruit de sa condamnation à mort se répandit dans la ville, remplissant de consternation les Juifs de Colmar.
Ils se rendirent auprès de la malheureuse victime le lendemain matin mardi, 31 décembre, jour fixé pour l'exécution, pour le préparer à la mort. Hirtzel apprit sans faiblir la fatale sentence. Il se dressa sur son grabat de prisonnier et récita la confession des agonisants (Viddouï), pendant que les assistants éclataient en larmes. Puis il fit appeler son unique fils Abraham, âgé de quinze ou seize ans, lui adressa de suprêmes conseils pour vivre en homme de bien, lui recommanda de dire fidèlement la prière des morts (Kadish). Il exprimait le ferme espoir que son innocence serait reconnue et sa mémoire réhabilitée. Des frères capucins, du couvent de Colmar, ne craignirent pas de l'importuner en venant lui offrir le secours de leur religion. Il repoussa doucement leur charitable office, et les pria, seulement de vouloir bien dire à sa famille de payer à une brave femme de Colmar une somme de 12 thalers qu'il lui devait et qui n'étaient pas inscrits dans ses livres.

Enfin sonna l'heure suprême. A trois heures de l'après-midi, Hirtzel fut conduit à l'échafaud. La foule était immense sur la place, elle était accourue de tous les villages voisins pour assister à ce spectacle et se repaître des souffrances du Juif. Dix Juifs juste le nombre qu'il fallait pour faire les prières (un minyan), étaient dans une maison voisine avec Abraham, le fils de Hirtzel, pour dire les prières d'usage et le Kadish. Hirtzel monta avec courage les marches de l'échafaud.

Le bourreau accomplit alors sa triste besogne. Après qu'il eut les os rompus, Hirtzel fut attaché sur la roue. Le bourreau avait eu la cruauté - tous les témoignages sont d'accord là-dessus - de faire faire une roue plus petite que d'ordinaire, de sorte que la tête du malheureux ne put y reposer et pendait par-dessus le bord. Toute la journée, et une partie de la nuit, il poussait des cris terribles. A neuf heures du soir, il supplia le bourreau, qui était resté près de lui, de lui donner à boire. Cette brute refusa de lui donner de l'eau, mais lui offrit du vin, que le malheureux ne pouvait boire, par scrupule religieux. Ses cris s'entendaient au loin : soit par pitié, soit pour ne pas en être incommodés davantage, les habitants demandèrent à l'autorité de mettre fin à son supplice (23). Il reçut le coup de grâce à dix heures " et il exhala vers le ciel son âme sainte".
Immédiatement son corps, avec la roue qui le portait, fut placé au haut d'un poteau, sur la grand'route près de Hauzen (24), témoignage éclatant de la haute et bonne justice du Conseil (25) !

 

V. Démarches pour la cassation du jugement

Les Juifs d'Alsace étaient dans la consternation. Le fanatisme des paysans était excité au plus haut point, ils triomphaient de la condamnation de Hirtzel comme si elle avait frappé le judaïsme tout entier. Les Juifs n'osaient plus se montrer dans la rue, on les poursuivait d'injures, on leur chantait aux oreilles une complainte qui avait été faite sur la mort de Hirtzel. Ils vivaient dans les transes, tremblant pour les deux autres accusés et pour eux-mêmes, et l'échafaud restait dressé sur la place publique de Colmar comme une menace suspendue sur leurs têtes.

Mais Dieu ne les abandonnait pas, ils trouvèrent des consolations dans la religion. Matin et soir des prières spéciales furent récitées dans les synagogues, psaumes, selihothbakashoth,piyoutim. Le rabbinat institua six jours de jeûne (deux schéni vahamischi scheni - lundi jeudi lundi), les vieillards au-dessus de soixante-dix ans, les enfants au-dessous de douze ans, les infirmes et les malades devaient racheter le jeûne en versant dix-huit sous dans le tronc des pauvres, et ces aumônes étaient distribuées le jour même du jeûne. Dieu exauça leurs prières et fit un miracle en leur faveur.

Le Conseil supérieur avait, pour les procès criminels jugés par exception par la première chambre en temps de vacances, un règlement bizarre. Les procès, une fois commencés par cette chambre, devaient être terminés par elle pendant les vacances, et par les mêmes juges. Or, il arriva qu'un des juges qui avaient condamné Hirtzel fut obligé de s'absenter, de sorte qu'il fut impossible de juger, pendant ces vacances, les deux autres accusés, Menke et Lang. Après les vacances, le Président de la seconde chambre, usant d'un droit que lui conférait le règlement, refusa de se saisir de l'affaire, et le même règlement voulait qu'en cas pareil le procès restât pendant jusqu'aux vacances prochaines, pour être jugé de nouveau par la première chambre. Les vacances prochaines étant celles de Pâques, un répit de trois mois était aux Juifs.

Ce fut pour eux comme un avertissement du ciel. Ils prirent une grande résolution. Les administrateurs juifs de la province se réunirent et décidèrent de se rendre à Paris, poursuivre la cassation du jugement. C'était une tentative hardie. Jamais, au grand jamais, d'après l'auteur de la relation allemande, un arrêt criminel n'avait été cassé en France. Mais on avait trois mois devant soi, et les Juifs avaient appris, par une expérience mêlée de douleurs et de consolations, à ne jamais désespérer.

La seconde pièce allemande que nous possédons nous a conservé les noms des braves gens qui s'arrachèrent, non sans peine, à leur famille, et, au grand détriment de leurs affaires, se rendirent à Paris. Ce furent Aron Mutzig, Leime Rosheim, Mendel Halfan (Halphen), de Nancy, Moïse Blin, de Strasbourg, tous administrateurs et parnassim; probablement aussi le parnass R. Jékel Weil, d'Obernay, et d'autres (26). Ils partirent le 12 janvier 1755, sauf Blin, qui les avait précédé. Le beau-frère de Hirtzel Lévi de Sierentz, les accompagnait.

Ils obtinrent immédiatement du premier ministre une mesure qui était d'un bon augure. Le 3 ou 4 janvier (27) , un courrier royal apporta à Colmar l'ordre d'envoyer à Paris toutes les pièces du procès en original. Cet ordre fit sensation, il eut pour effet immédiat que, dans la nuit du 4 janvier, le premier Président du Conseil fit enlever l'échafaud qui était resté en permanence sur la place publique. Ce fut une grande satisfaction pour les Juifs alsaciens de voir disparaître cette odieuse charpente. 
Un mémoire fut préparé par la famille de Hirtzel Levi (Abraham, son fils ; Hanna, sa fille, femme de Hirtzel Brunschwik (28); Feile, sa fille, célibataire), et par les deux accusés encore en prison, Menke Lévy et Moïse Lang. C'est ce mémoire dont nous possédons un exemplaire portant à la fin cette mention imprimée : "Bureau des cassations, maître Regnard, avocat." Il ne fut remis qu'après le mois d'avril, car il fait mention d'un arrêt du 2 avril 1755, dont nous parlerons à l'instant.

Apres examen des pièces, le Conseil du roi demanda au Conseil de Colmar d'achever promptement le procès de Menke et de Lang, afin qu'il pût être révisé comme celui de Hirtzel, mais en ordonnant formellement de surseoir à l'exécution de la sentence qui serait prononcée.
Pour se conformer au règlement du Conseil supérieur, il fallut attendre les vacances de Pâques. Le mercredi 2 avril 1755, les deux accusés furent condamnés, par la première chambre, à subir la question ordinaire et extraordinaire, manentibuss indiciis.
Pendant trois mois encore, les envoyés juifs attendirent avec anxiété la décision royale. Elle fut favorable. Par arrêté du 16 juin, le conseil du roi cassa les arrêts du Conseil supérieur, tant à l’égard de Hirtzel que de Menke et de Lang. Voici le texte de cet arrêt (29) :

Vu au Conseil d'Etat privé du Roy, l'arrêt rendu en iceluy le cinq may mil sept cent cinquante-cinq, sur la requeste d'Abraham, Hirtzel Levy et Feile, sa soeur, Hanna femme de Hirtzel Brunschwick, juif, de luy deuement autorisée, enfans et gendre de Hirtzel Levy, juif ; et de Moyse Lang et Menehek Levy aussy juifs, de la Haute-Alsace : lade resqueste tendante à ce qu'il plût à Sa Majesté ordonner qu'il sera procédé au Parlement de Metz, ou en telle autre cour qu'il plaira à Sa Majesté de nommer, à la révision du procès criminel jugé par les arrests du Conseil supérieur d'Alsace des trente décembre mil sept cent cinquante-quatre et deux avril mil Sept cent cinquante-cinq, contre lesd. Hirtzel Levy, Menehek Levy et Moyse Lang, même a nouveau jugement d'iceluy procès ; attribuer à cet effet aud. Parlement de Metz ou autre qu'il plaira à Sa Majesté toute cour, juridiction et connoissance qui sera interditte à toutes ses autres cours et juges, à l'effet de quoy toutes lettres nécessaires seront expédiées; ce faisant ordonner que les charges, informations et procédures dud. procès seront portées au greffe dudit Parlement de Metz ou autre qu'il plaira à Sa Majesté ; à ce faire tous greffiers et dépositaires contraints même par corps, quoy faisant décharges; et que Menehek Levy et Moyse Lang seront transférés dans les prisons dudit Parlement de Metz ou autre qu'il plaira à Sa Majesté ; par lequel arrest dud. jour cinq mai mil sept cent cinquante-cinq, Sa Majesté, avant faire droit sur lad. resqueste, a ordonné que les charges, informations et procédures sur lesquelles lesd. arrests des trente décembre mil sept cent cinquante-quatre et deux avril mil sept cent cinquante cinq ont été rendus, seroient apportés dans deux mois pour tout delay au greffe des requestes de l'hôtel, a quoy faire seroient tous greffiers contraints même par corps, pour lad. requeste et lesd. charges, informations et procédures, communiquées aux Sieurs maîtres des requestes étant en quartier aux requestes de l'hôtel, être par eux, sur le rapport du Sr Turgot, maître des requestes, que Sa Majesté a commis a cet effet, donne leur avis sur lad. demande en revision, et, led. avis vû et rapporté, etre statué sur icelle par Sa Majesté ainsy qu'il appartiendra ; veut et ordonne Sa Majesté qu'il soit sursis à toute execution de l'arrest du Conseil supérieur de Colmar deux avril mil sept cent cinquante-cinq, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par Sa Majesté ;
La commission obtenue sur led. arrest en datte du même jour cinq may mil sept cent cinquante-cinq, les charges, informations et autres procedures y jointes apportées du greffe du Conseil supérieur de Colmar en celui desd. requestes de l'hôtel, en exécution dud. arrest dud. jour cinq may mil sept cent cinquante-cinq ;
L'ordonnance du Conseil du vingt-six dud. mois de may, qui a subroge le Sr de Fontanieu, maître des requêtes de l'hôtel, le trente may mil sept cent cinquante cinq, sur la requeste desd. Abraham, Hirtzel Levy et Feile sa soeur, Hanna femme de Hirtzel Brunschwick, juif, de lui autorisée, enfans et gendre dud. deffunt Hirtzel Levy, juif, et Moyse Lang et Menechk Levy aussy juif de la Haute-Alsace, par lequel il a été ordonné que led. arrest du Conseil d'Etat privé du cinq may mil sept cent cinquante-cinq seroit enregistre au greffe desd. requestes de l'hôtel, pour être executé selon sa forme et teneur ;
L'avis desd. Srs maîtres des requestes de l'hostel auxquels led. Sr de Fontanieu en a communiqué en date du douze du mois de juin aud. an mil sept cent cinquante cinq ;
Ouy le rapport dud. Sr de Fontanieu, chevalier, conseiller du Roy en ses conseils, maître des requestes ordinaire de son hostel, commissaire en cette partie ;
Et tout considéré.

LE ROY EN SON CONSEIL :
Ayant egard a ladicte requeste, a ordonné et ordonne qu'il sera procédé, au Parlement de Mets a la revision du proces criminel jugé par les arrests du Conseil supérieur de Colmar des trente decembre mil sept cent cinquante-quatre et deux avril mil sept cent cinquante-cinq, mesme a nouveau jugement d'iceluy, s'il y a lieu, en attribuant Sa Majeste aud. Parlement de Mets toute cour, jurisdiction et connoissance qu'elle a interditte a ses autres cours et juges, a l'effet de quoy toutes lettres a ce necessaires seront expédiées ; ordonne que les charges, informations et autres procédures dudit proces seront portées au greffe dudit Parlement de Mets ; a ce faire seront touts greffiers et depositairs contraints, meme par corps, quoy faisant ils en seroient bien et valablement dechargés.
Signé : DE LA MOIGNON, MACHAULT, FONTANIEU.
A VERSAILLES, le seize juin mil sept cent cinquante-cinq.

Cet arrêt fut accueilli comme un acte de délivrance par les Juifs d'Alsace. Il les remplit d'une espérance légitime.

VI. La réhabilitation

Le Parlement de Metz ne perdit pas de temps. Le 6 ab (14 juillet), un huissier, député par lui à Colmar, vint prendre livraison des prisonniers. Chose inouie ! Ce Feiss, de Grussenheim, sur lequel ne pesait aucune charge et qu'un arrêt du 30 décembre proclamait libre au bout de quatre semaines, si aucun indice nouveau ne révélait sa complicité, était encore en prison. L'huissier voulut également l'emmener, mais il n'était pas question de lui dans les ordres écrits dont il était porteur, et le pauvre homme dut rester prisonnier à Colmar.

Toute la ville se pressa sur le passage des deux accusés Menke et Lang et montra une curiosité avide de les voir. C'est à peine si l'huissier parvint à leur; frayer un passage à travers la foule. Ils étaient dans une carriole, mais, à quelques lieues de Colmar, ils prirent la poste et le 8 ab (13 juillet) ils arrivèrent à Metz, au moment même où on allait fermer les porter de la ville.

Le lundi 21 juillet, l'avocat de la famille Hirtzel, de Menke et de Lang (30), présente au Parlement une requête portant les conclusions suivantes : admettre les preuves de l'alibi de Hirtzel et des deux autres accusés; si elles étaient trouvées bonnes, réhabiliter Hirtzel, rendre son corps à la famille et autoriser celle-ci à poursuivre en dommages-intérêts qui de droit ; mettre en liberté Menke et Lang.

Un arrêt du Parlement, daté du samedi 26 juillet, admit les plaignants et les accusés à la preuve de l'alibi et, dès le mardi 29 juillet, le Parlement nommait une commission, composée d’un conseiller (31), d'un substitut, d’un greffier, d'un interprète et d'un huissier, pour se rendre en Alsace et entendre les témoins. Isaac, beau-frère de Hirtzel, qui s'était rendu à Metz pour suivre le procès, fut nommé par le Parlement curateur pour agir au nom et dans I'intérêt du défunt.

La commission, partie de Metz le 30 juillet. arriva à Sierentz le samedi 9 août, à Wedelsheim le 21 août, à Ribeauvillé le 29 août, et entendit tous les témoins cités par Isaac, Menke et Lang. Le 11 septembre, elle était de retour A Metz, après un voyage de trois jours (32). Le 24 septembre, le Parlement rendit son arrêt. Il était la justification éclatante des Juifs.
L'arrêt du Conseil de Colmar était cassé, toute l'accusation réduite à néant, Menke et Lang déclarés innocents et libres ; la mémoire de Hirtzel réhabilitée, son corps rendu à la famille pour être enterré; les noms de Menehek et de Lang devaient être rayés du registre d'écrou de la conciergerie de Colmar, la sentence du bailli de Ribeauvillé rayée également et en marge devait être inscrit l'arrêt du Parlement. Enfin, la famille de Hirtzel était autorisée à rechercher en dommages-intérêts qui elle jugerait convenable.

Cet arrêt vise l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 juin 1755 ; les lettres-patentes adressées au Parlement de Metz le 29 juin 1755; un arrêt du Parlement de Metz du 10 juillet suivant, ordonnant l'enregistrement de ces lettres-patentes ; un autre arrêt du 11 juillet, de la Chambre de la Tournelle du Parlement de Metz, laquelle retient la connaissance du procès ; l'information du bailli de Ribeaupierre du 11 décembre 1754 et l'arrêt de prise de corps de même date; l'interrogatoire de Menke et de Lang, du 12 décembre; le premier interrogatoire de Hirtzel du 16 décembre; l'information additionnelle du 17 décembre; le jugement du 18 décembre concernant les témoins des accusés ; l'interrogatoire du 23 décembre des trois accusés Hirtzel, Menke et Lang, et la sentence du bailli du même jour; l'interrogatoire et le procès-verbal de torture de Hirtzel et sa condamnation, tous du 30 décembre 1754, interrogatoire et procès-verbal faits en présence du conseiller rapporteur du Conseil supérieur de Colmar "assisté de notre amé et féal Jean-André Golbery, conseiller  ; une requête présentée au Parlement par Abraham Hirtzel et sa famille et les deux accusés Menke et Lang ; l'arrêt du Parlement du 26 juillet ; le procès-verbal de l'arrêt et de la nomination des témoins proposés par les défendeurs ; l'enquête faite par la commission du Parlement en Alsace et communiquée au procureur général du Parlement par ordonnance du 20 août 1755 ; le procès-verbal du même jour concernant l'absence d'un des témoins cités par Isaac Dreyfuss, curateur à la mémoire de Hirtzel Levy ; les conclusions du procureur général ; puis l'arrêt continue en ces termes :

Et après qu'Isaac Dreyfouss Curateur a été oüi et interrogé en la Chambre du Conseil derrière le bareau, et le sieur Moyse Lang et Menehek Levy dit Schalter, sur la sellette par l'organe du sieur Ruzier, Interprète de notre dite Cour en Langue Germanique, après avoir [été ?] par eux prêté le Serment en la manière ordinaire des Juifs, la main sur les Tables de Moyse, par le ministère de Isaac Zay de Coblentz (34) l'un des Rabins de la Synagogue de cette ville : Tout considéré.
NOTREDITE COUR, faisant droit sur l'Apel interjetté..., dit qu'il a été mal jugé par la sentence de Bailly de Ribeaupierre du vingt-trois Décembre dernier, bien apellé, emend[ant, en (35)] conséquence des preuves des Faits justificatifs, [a renvoyé] lesdits Menehek Levy dit Schalter et M[oyse Lang, de l’acc]usation contr'eux formée, les a dé[chargés des condam]nations prononcées contr'eux, ordonne que les Prisons leur seront ouvertes ; et en ce qui concerne ledit défunt Hirtzel Levy, a déclaré sa mémoire purgée de l'Accusation intentée contre luy, et iceluy réputé mort dans son Etat entier, en conséquence ordonne que ses Héritiers resteront dans la possession et jouissance des Biens de la Succession, ordonne que son Corps sera remis à sa famille pour être inhumé à la manière ordinaire des Juifs, que les Ecrouës desdits Accusés seront rayés et biffés sur les Registres des Prisons dans lesquelles ils ont été détenus et que mention y sera faite du présent Arrêt tant sur lesdits Registres qu'en marge de lad. Sentence du Bailly de Ribeaupierre, sauf audit Menehek Levy, Moyse Lang, Abraham Hirtzel Levy, de se pourvoir pour leurs dépens, dommages et intérêts ainsi et contre qui ils aviseront bon être ; leur a permis de faire imprimer et afficher le présent Arrêt par tout où besoin sera :
SI TE MANDONS (au premier huissier de notre Cour)... mettre le présent arrêt à duë et entière exécution………
DONNÉ en notredite Cour de Parlement, Chambre de la Tournelle à Metz le vingt-quatrième jour de septembre l’an de grâce mil sept cens cinquante cinq et de notre Regne le quarante-unieme :

Signé LACROIX. Collationné, signé MARC. Controllé, signé CUNY. Par la Cour, signé GALLOIS. Vû à l'extraordinaire, signé AMILLON, de Joüy. Scellé à l'extraordinaire le vingt-cinq Septembre mil Sept cens cinquante cinq, signe GALLOIS.

Dès que cet arrêt fut prononcé, Abraham, le fils de Hirtzel, qui était également à Metz, se mit en route pour apporter aux Juifs d'Alsace la bonne nouvelle, et il arriva à Ribeauvillé le lendemain, 25 septembre ; c'était le soir du Hoshana-Raba , les Juifs étaient réunis, selon l'usage, pour des exercices pieux, et l’on peut s'imaginer l’émotion avec laquelle ils reçurent l'heureux messager.

Hoshana Raba
a
Le lendemain, vendredi, septième jour de Soukoth, devait arriver un huissier, porteur de l'arrêt du Parlement, et les Juifs auraient voulu immédiatement enterrer Hirtzel, à cause des deux jours de fête suivants (samedi et dimanche, deux derniers jours de Soukoth). Dès le vendredi matin, des Juifs étaient accourus de tous côtés pour assister aux obsèques et s'étaient groupés autour de la roue où reposait le corps de Hirtzel. Une foule de chrétiens, plus ou moins bienveillante, les entourait. Ils attendaient l'huissier avec impatience, l'huissier ne venait pas. Ce fut une vive déception. Il leur fallut retourner chez eux, à cause de la fête et du samedi. Sur leur demande, des soldats de la maréchaussée et des paysans furent préposés à la garde du corps, qui aurait certainement disparu sans cette précaution.
Enfin l'huissier parut. Son retard provenait de ce qu'il avait voulu apporter des exemplaires imprimés de l'arrêt du Parlement. Il était arrivé à Ribeauvillé samedi ; le lendemain, jour de Simhath Torah, c'était doublement fête pour les Juifs. L'huissier se rendit à Colmar, pour remplir toutes les formalités légales et il fut convenu que l'enterrement de Hirtzel aurait lieu le lundi matin, 29 septembre.

Les Juifs s'étaient de nouveau réunis en grand nombre sur la grand'route où était exposé le corps, et des chrétiens étaient également venus de toutes parts. On n'attendait que l'huissier. Il vient, déploie l'arrêt, le lit à haute voix et le fait traduire en allemand. Les dernières paroles de l'interprète sont à peine prononcées, que les Juifs, impatients, grimpent en un clin d'oeil sur les échelles, détachent le corps et le descendent dans un drap blanc. Tableau émouvant, qui en rappelle un autre dont le souvenir doit à peine être évoqué ici. On prétend que le corps était admirablement conservé, après une exposition de neuf mois, que les oiseaux l'avaient respecté. Les cheveux et la barbe, qui, du vivant de Hirtzel, avaient été bruns, étaient devenus très longs et blancs comme neige. La figure était méconnaissable.

Les restes de Hirtzel furent enveloppés d'un talith et déposés dans la bière, on jeta par dessus le corps les vêtements mortuaires traditionnels et le cercueil fut placé sur une voiture. Puis on prit la roue et le poteau, on les découpa en menus morceaux, qui furent chargés sur une seconde voiture. Le convoi se mit en marche pour Jungholtz, près Soultz, cimetière commun des Israélites de la Haute-Alsace à cette époque. Devant la tombe, l'huissier donna encore une fois lecture de l'arrêt du Parlement. Les fossoyeurs accomplirent leur office au milieu des prières des Juifs (36) et la terre recevait enfin dans son sein, pour le repos éternel, ce pauvre corps si longtemps exposé aux intempéries du ciel, aux outrages des oiseaux de proie et à l'insulte des passants.

Quelques jours après la cérémonie funèbre, l'huissier de Metz fit afficher l'arrêt du Parlement aux portes de Sierentz, Wedelsheim, Ribeauvillé, Hauzen et autres villes ; le maréchal commandant de l'Alsace fit publier un arrêt défendant aux chrétiens, probablement encore fort excités, d'insulter les Juifs, soit à propos de l’affaire Hirtzel, soit pour toute autre cause, et spécialement de chanter la complainte de Hirtzel. Enfin le duc de Ribeaupierre destitua le bailli Fuchs, de Ribeauvillé, qui avait prononcé la première sentence contre Hirtzel et ses co-accusés et dont le rôle avait, dès l'origine, paru équivoque. Ces excellents témoignages en faveur des Juifs rétablirent peu à peu le calme dans la province (37).

Menke et Lang avaient depuis longtemps recouvré leur liberté et probablement le Conseil de Colmar, qui avait si longtemps et si injustement retenu en prison Feiss, de Grussenheim, se résolut enfin a lâcher sa proie. Les Juifs de l'Alsace se racontèrent longtemps, dans les veillées de l'hiver, l'histoire du malheureux Kadosh (martyr) ; des relations populaires en judéo-allemand, comme celles que nous possédons, en furent faites, les copies manuscrites circulaient dans les villages, on en faisait des lectures édifiantes qui firent verser bien des larmes.

Au cimetière de Jungholtz, la terre a recouvert depuis longtemps le monument qui portait le nom de Hirtzel, et aucune trace ne reste du pauvre martyr.



 

Notes :

  • 1) Nous devons à M. Abraham Cahen la connaissance de ce recueil.
  • 2) Aujourd'hui Wittolsheim; l'arrêt du Parlement de Metz écrit Vettelsheim et Vedelsheim.
  • 3) קאפין d'après la relation allemande, avec פ aspiré; Koppe, veuve de Jean Georges Kieulen, d'après l'arrêt du Parlement de Metz.
  • 4) Mémoire, etc.
  • 5 Schraumann, d'après l'arrêt du Parlement de Metz.
  • 6) Entre autre dans une Chronique allemande publiée par M. Julien Sée, dans sa collection des Chroniques d'Alsace : Hausbuch von Dominicus Schmutz ; Colmar, 1878, p. 28.
  • 7) Ou un morceau de bois enflammé.
  • 8) Ce détail pourrait être historique. On sait, à n'en pas douter, que des bandes de voleurs, qui s'étaient organisées à cette époque sur les rives du Rhin, avaient adopté dans leur argot un grand nombre de mots empruntés au judéo-allemand. Cet argot s'appelait même d'un mot hébreu, לשון הכמר langue des initiés.
  • 9) Ce nom est écrit de plusieurs façons diverses: Menehek, Menge (Arrest., etc.), מענקע Menke, dans la relation allemande. C'est cette dernière prononciation, usitée encore aujourd'hui en Alsace, que nous adoptons.
  • 10) Fest, dans l'Arrest, etc. ; dans Des Essarts, Fery Gresmar, pour Geismar ?
  • 11) Par erreur Schalter dans l'Arrest. etc.
  • 12) C'est du moins ce que disaient les prévenus, leur famille, et les Juifs d'Alsace. Des Essarts reproduit cette accusation contre le bailli.
  • 13) On voit, par le texte de cet arrêt, quel était cet horrible supplice. Lorsque le bourreau avait, avec une barre de fer, brisé les os du patient aux endroits indiqués, les jambes du malheureux étaient repliées en arrière jusqu'à toucher la tête ; dans cette posture, il était attaché, la face tournée vers le ciel, sur une roue, où on le laissait expirer. Quelquefois le tribunal accordait au condamné qu'il fût mis à mort an milieu de l'opération ou au moins avant d'être attaché sur la roue.
  • 14) 24 décembre d’après le Mémoire.
  • 15) Ces derniers détails sont empruntés à la relation allemande.
  • 16) On était à deux jours avant la nouvelle lune.
  • 17) D'après la relation allemande, ce témoin aurait été avec les deux autres et aurait dit, au contraire, qu'il n'avait reconnu personne.
  • 18) La Petite Gazette des Tribunaux dit Matzenheim, sans doute par erreur.
  • 19) Mémoire, etc.
  • 20) Les documents disent douze lieues d'Allemagne qui font dix-huit lieues de France.
  • 21) Il fut mis à la question le jour même de sa condamnation, 30 décembre, de deux heures à six heures de l’après-midi. L'auteur de la relation allemande est persuadé que si Hirtzel n'abrégea pas son supplice par de faux aveux, c'est qu'il pensait à ses co-accusés, que de tels aveux auraient perdus.
  • 22) C'est la relation allemande qui dit que la machine était nouvelle.
  • 23) D'après certaines relations (entre autres la Petite Gazette des Tribunaux), Hirtzel resta dix-huit heures sur la roue, poussant des cris épouvantables, qu'on entendait dans les quartiers les plus éloignés. M. de Neyremand a encore connu un vieillard qui se souvenait de les avoir entendus à une grande distance du lieu du supplice. Nous avons suivi, pour l'indication des heures, la relation allemande.
  • 24) Près du Rosenkrantz, au sommet du triangle occupé aujourd'hui par la croix Méglin (Pet. Gaz. des Trib.).
  • 25) Une grande part de responsabilité, dans cette erreur judiciaire, revient sans aucun doute au premier Président du Conseil, qui était toujours président de la première Chambre. Le premier Président était alors Christophe de Klinglin, homme de valeur et de grand caractère, mais passionné, excessif dans ses opinions, insupportable à ses collègues (Voir Pillot et Neyremand, Histoire du Conseil Souverain d'Alsace, Paris, 1860, p. 558 et 382). Le Président de la deuxième Chambre était Et. Salomon ; ce ne fut pas sans réflexion qu'il refuse de se saisir de la cause après les vacances. Le premier Président Klinglin était un ami des Jésuites et il eut le courage de protester, au grand scandale du Conseil, contre leur expulsion. Son père avait été prêteur royal à Strasbourg. Il semble qu'il ait eu, comme son fils, le caractère violent, il se fit beaucoup d'ennemis, on l'accusa de toutes sortes de méfaits plus ou moins imaginaires, et il fut mis en prison, avec un de ses fils, en 1752, à la suite d'une enquête. Parmi ses accusateurs figuraient deux Juifs de Strasbourg, Raphaël Lévy et son fils Michel Lévy, qui prétendaient avoir donné au prêteur et à son fils de fortes sommes d'argent, en échange desquelles ceux-ci devaient leur procurer certaines faveurs. Il n'est pas impossible que ce procès du père de Klinglin ait laissé, dans le coeur de son fils de Colmar, un certain ressentiment contre les Juifs en général et une prévention dont Hirtzel a pu être la victime. - Nous tirons ces renseignements sur Klinglin père d'un Mémoire de M. de Klinglin, prêteur royal de la ville de Strasbourg, imprimé à Grenoble, en 1753, et rédigé par ce fils du prêteur qui avait été impliqué dans le procès. Une grande partie de ce Mémoire est consacré à réfuter les accusations des deux Juifs de Strasbourg. L'administrateur Blin qui figure dans notre récit, y est nommé (p. 240) Moïse Blien, un "Juif fort distingué et fort respecté parmi les gens de sa religion".
  • 26) L'exemplaire que nous avons sous les yeux a des lacunes, signalées par des points, à l'endroit où se trouve cette liste.
  • 27) Le ms. dit le lundi 23 schebat ; mais le 23 schebat était le mardi 4 janvier.
  • 28) Son mari, qui l’autorisa à poursuivre l'instance, mourut sans doute peu de temps après, car, d'après la relation allemande, elle était veuve.
  • 29) Archives nationales, Vb, 984.
    Ils eurent pour avocat Reubel, un des avocats distingués de Colmar. C'est ce même Reubel qui fut plus tard membre de l'Assemblée nationale, où il ne montra pas une grande bienveillance pour les Juifs. M. de Neyremand parait avoir vu son mémoire.
  • 30) Ce conseiller fut Georges François Devaux ; il n'alla pas en Alsace, mais se fit remplacer par Jean Mathieu Geoffroy, substitué commissaire en son lieu et place (Arrest, etc.)
  • 31) D'après l'Arrêt du Parlement de Metz, le premier procès-verbal d'enquête est du 11 août, le dernier, du 9 septembre.
  • 32) D’après un remaniement dans la composition des deux chambres du Conseil souverain dont la liste fut dressée le 5 mars 1755, Golbery était, à cette date, dans la deuxième chambre, de même que Madamé, qui était sous-doyen du Conseil (Pillot et Neyremand, p. 333).
  • 33)
  • 34) Voir sur les rabbins de Metz, Isr. Annalen, 1839,p. 380 et 389; 1840, p. 61 et suiv. Un Bernard Zay, de Metz, auteur d'un hymne en l'honneur de Napoléon Ier est nommé Revue orientale, II, p. 30.
  • 35) Les passages entre crochets ne sont pas lisibles sur l'exemplaire que nous copions, qui a des taches et des trous.
  • 36) Le bois de la roue et du poteau fut probablement jeté dans la fosse.
  • 37 Un chrétien de Herrlisheim, près de Colmar, eut, à cette époque, une fantaisie singulière. Un vendredi soir (4 octobre), il plaça au-dessus de la porte cochère d'un Juif, Moise fils de Toderos, une roue de charrue sur laquelle était un chien mort. Cette lugubre parodie fut punie comme elle le méritait.Nous devons à M. Abraham Cahen la connaissance de ce recueil.