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Honorer le Pétain de Verdun ? 
Revue de Presse


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Comment Pétain est devenu le héro de Verdun

 

Avant même la fin de la guerre, s’est forgée la légende de l’«homme de la défensive», celui qui avait gagné la bataille de la Meuse en épargnant le sang des soldats… Mais quel fut exactement le rôle de l’ambitieux général dans le tumulte de 1916 ?

Par Jean-Baptiste Michel - Publié le 16/05/2016 à 8h00 - Mis à jour le 09/11/2018

Géo

La gloire ne s’est pas fait attendre. «Qui n’a entendu raconter l’arrivée du général Pétain à Verdun, par la neige, un soir d’hiver ?» s’exclame ainsi l’un des grands quotidiens de l’époque, L’Echo de Paris, dans son édition du 7 janvier 1917. A peine un mois après la fin de la bataille, la légende est déjà en marche. Le dithyrambe ne faiblira plus, qui va faire du «sauveur de Verdun» pour longtemps le plus populaire des généraux français de la Grande Guerre.

Cette gloire, Philippe Pétain, en 1914, ne s’y attendait guère, ne l’espérait plus. A vrai dire, ce colonel de 58 ans, déjà proche de la retraite, s’en souciait assez peu. Sa carrière de militaire en temps de paix – lente pour cette raison – n’en a pas moins été honorable, même plutôt brillante. Né en 1856 dans une famille de paysans picards, saint-cyrien à 20 ans, il appartient durant sa jeunesse et sa maturité à «une armée décidée à tirer résolument les leçons de la défaite de 1870», écrit l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon dans une biographie très documentée (Pétain, éditions Perrin, 2014). Peu tenté d’accélérer son avancement en contribuant à la construction de l’empire colonial en Afrique et en Asie, cet officier sans combat, mais qui rédige et réfléchit bien, mène une carrière surtout intellectuelle.

Il est l’un des rares à pressentir l’importance de l’artillerie et de l’aviation

A partir de 1901, durant une dizaine d’années, il instruit l’élite des officiers à l’Ecole de guerre. Il y développe une théorie nourrie par les réflexions que lui inspirent la guerre des Boers (1899-1902) et la guerre russo-japonaise de 1905. A la doctrine, qui prévaut au grand état-major, de l’offensive à tout prix, il oppose la prépondérance du feu, c’est-à-dire de l’artillerie. L’armement moderne, à ses yeux, a rendu contre-productif cette «sorte de marée montante qui doit s’avancer inébranlable sous le feu». C’est, dit-il, durant un de ses cours donné à l’Ecole de guerre vers 1910 «l’attaque à coup d’hommes dans sa manifestation la plus brutale, une espèce de jeu de massacre». Il faut privilégier les positions en profondeur contre le maintien meurtrier des positions en première ligne. Bref, l’élément moteur de l’offensive, à l’ère industrielle, ce ne sont plus les hommes – qu’il faut préserver, les ressources humaines n’étant pas inépuisables –, c’est la technique : «L’artillerie conquiert, l’infanterie occupe.» Il va jusqu’à s’intéresser à l’aviation comme instrument de reconnaissance. Mais aussi parce qu’elle permettrait d’accroître la portée de l’artillerie terrestre. A la même époque, le futur maréchal Foch déclare devant un journaliste que l’aviation militaire n’a aucun avenir : «Tout ça, voyez-vous, c’est du sport, mais pour l’armée, c’est zéro.» Ces théories nouvelles, le colonel les expose lors de cours fréquentés par le gotha de l’armée, avec une force de conviction qui ne lui vaut pas que des amis. Il emporte l’adhésion de plusieurs hauts gradés et d’un tout jeune saint-cyrien qui, en 1912, sert sous ses ordres et le reconnaît comme son maître, Charles de Gaulle.

En août 1914, Pétain a cru comme tout le monde que la guerre serait courte – quelques semaines, tout au plus. Le théoricien passe à la pratique et les résultats sont là : il couvre avec efficacité la retraite du général Lanrezac en Belgique ; il participe en septembre à la victoire de la Marne en prônant l’importance de l’artillerie et le recours à l’aviation ; il est le seul à réussir une percée du front allemand en Artois, le 9 mai 1915 ; enfin, Pétain se distingue en septembre lors de la nouvelle offensive (qu’il a formellement désapprouvée) lancée en Champagne par Joffre, ce qui oblige le généralissime à reconnaître «son sens très exact des réalités». La réalité, c’est que cette première année de guerre est catastrophique pour l’armée française, saignée à blanc, puis enlisée dans les tranchées. Si le colonel, en ces quelques mois, a gravi les derniers échelons de la hiérarchie militaire – général de brigade, puis général de division, enfin général commandant la 2e armée – c’est que Pétain, comme l’écrit Henri Amouroux (Pétain avant Vichy, éd. Fayard, 1967), «avance moins grâce à ses succès […] que par les défaites des autres. Pour le jeter au premier plan, il faudra l’extrême péril».

Et c’est le tonnerre de Verdun. L’attaque frontale des Allemands, le 21 février 1916, contre ce complexe fortifié, est d’une brutalité à laquelle on ne s’attendait pas Sous les monstrueux coups de boutoir de l’artillerie allemande, la panique gagne jusqu’au Grand Quartier général de Chantilly (GQG), où Joffre est retenu de sonner la retraite par Aristide Briand, accouru de Paris. Selon le président du Conseil, il faut, pour le moral de la nation, après les terribles sacrifices de l’année précédente, tenir à tout prix. Joffre, sur les conseils de son bras droit, le général de Castelnau (voir "Édouard de Castelnau, premier défenseur de Verdun" à la fin de l'article), se tourne alors vers celui qu’il tient en réserve depuis l’offensive en Champagne : le général Pétain et la 2e armée – des troupes fraîches, commandées par un homme que n’a pas encore contaminé le vent de panique qui souffle sur la Meuse. Le 25 février au matin, au GQG de Chantilly qui lui semble une «maison de fous», Pétain est reçu par un Joffre imperturbable : «Eh bien ! Pétain, vous savez que ça ne va pas mal du tout !» En fait, le généralissime soupçonne que Verdun, pour le général allemand von Falkenhayn, est un objectif secondaire, une opération de diversion. Et qu’il faut s’attendre à des attaques sur d’autres points du front. A moins qu’il s’agisse pour les Allemands de prévenir les offensives alliées en sapant le moral des Français. Il faut donc tenir Verdun, mais pas au point de compromettre la stratégie globale de l’Entente, c’est-à-dire l’offensive que Joffre prépare avec les Anglais sur la Somme. Tel est le litige qui va opposer les deux hommes.

Contrairement à Joffre, il estime que si Verdun tombe, le sort de la France est scellé

Pétain arrive à Souilly, son nouveau quartier général, au sud de Verdun, le 25 février au soir, alors que le fort de Douaumont vient de tomber. Atteint d’une double pneumonie, grelottant de fièvre, mais bien secondé par son état-major et par le général de Castelnau, il envisage rapidement et froidement la situation. Il entreprend aussitôt d’organiser une «position de résistance» pour une bataille qu’il pressent longue. Ces mesures visent à assurer la logistique, à rééquilibrer les forces d’artillerie (de cinq contre un en faveur des Allemands), à limiter l’usure des divisions engagées en assurant la relève régulière des unités combattantes dès qu’elles ont perdu un tiers de leurs effectifs. C’est ainsi que pendant dix mois, les deux tiers de l’infanterie française seront acheminés de Bar-le-Duc à Verdun par la Voie sacrée.

La vision qu’il a de cette bataille diffère du tout au tout de celle de Joffre. Pour Pétain, les Allemands ont réellement l’intention de prendre Verdun, d’ouvrir une brèche vers le sud, de couper l’armée française en deux et, après ce coup comparable à celui de Sedan en 1870, de foncer sur Paris. L’enjeu est énorme. L’issue de la guerre en dépend. Il ne s’agit pas d’une défense symbolique ou simplement morale, il faut empêcher une percée qui risque d’entraîner la capitulation d’une bonne partie de l’armée française. L’héroïque sacrifice des premiers défenseurs (notamment des deux bataillons de chasseurs du lieutenant-colonel Driant) lui a offert un précieux répit. «Il était moins cinq», écrira-t-il. Désormais, il faut tenir, durer, jusqu’à ce que l’ennemi s’use à son tour.

«Courage, on les aura !» : son cri de résistance lui vaut l’admiration des poilus

Joffre approuve ces premières dispositions, puis s’inquiète de cette stratégie purement défensive, dévoreuse d’hommes et de matériels. Les 1er et 5 mars, en visite à Verdun, il exhorte Pétain à reprendre le terrain conquis par les Allemands. Son opinion est que l’effet de l’artillerie doit être «ramené à sa juste valeur» qui est inférieure au «facteur moral» : en substance, que l’importance des dégâts compte moins que l’enthousiasme crée par l’énergie d’une offensive. Il faut attaquer. Pétain est d’un avis contraire. La situation a empiré, les pertes s’aggravent. Du 5 au 9 mars, puis du 10 au 15, puis du 20 au 22, enfin les 9 et 10 avril, il doit faire face à d’épouvantables assauts. C’est l’enfer d’une bataille sans cesse recommencée. Son ordre du jour du 9 avril se termine par un «Courage, on les aura !» qui retentit dans toute la France. De fait, l’attaque allemande marque le pas. Les hommes du Kronprinz s’enlisent. Cependant, à Chantilly, Joffre s’impatiente. Pétain donne à cette bataille interminable et coûteuse une «importance exagérée». Il faut en finir. Pourquoi tarde-t-il à retourner la défense en offensive ? «Pétain la pétoche», murmure-t-on. Au fond, il est «plus un organisateur qu’un chef militaire». Le général Brugère note que «Pétain serait surfait». Finalement, ne pouvant évincer l’artisan (déjà très célèbre) de ce qui est tout de même un succès, Joffre l’éloigne en lui offrant une promotion. Le 1er mai, Pétain est nommé commandant du Groupe d’armées du Centre, avec 800 000 hommes sous ses ordres, dont ceux de l’armée de Verdun, qu’il ne commandera plus directement.

Sur le terrain lui succède le général Nivelle, secondé par le général Mangin. C’est alors, de mai à juillet, sous leur direction, en dépit des mises en garde répétées de leur prédécesseur, une suite d’offensives qui sont autant d’échecs sanglants. Il faut attendre septembre, l’offensive qui a commencé sur la Somme, les opérations qui ont repris en Russie (offensive Broussilov) et le remplacement de Falkenhayn par Hindenburg, pour que Nivelle et Mangin, le 25 octobre, reprennent Douaumont contre une 5e armée allemande démoralisée. On revient peu à peu à la ligne de front de février 1916. Ce n’est pas exactement une victoire française, mais c’est un échec allemand. La gloire en revient à Nivelle et Mangin – Nivelle le «massacreur», Mangin le «mangeur d’hommes», comme les ont surnommés les poilus. Ils sont officiellement déclarés les «vainqueurs de Verdun», jusqu’à ce mois d’avril 1917 où leur obsession de l’offensive se fracasse dans la Somme sur le Chemin des Dames : 70 000 tués pour rien. C’est alors l’irrésistible retour dans le cœur de l’opinion de celui qui, dans «l’extrême péril», a su manier «l’art du réel et du possible» (selon de Gaulle). Pétain réprime (avec mesure) les mutineries de centaines de soldats désespérés, remonte le moral de l’armée et décide, comme à Verdun en 1916, de gagner du temps : «J’attends les Américains et les chars «Il fut le plus humain et le plus proche de notre misère», dira un député de gauche, Pierre Cot, lorsque Pétain sera nommé ministre de la Guerre en 1934. Cette parole d’un rescapé de l’enfer exprime bien l’admiration que portaient encore les poilus et l’empreinte qu’il laissa dans les esprits. Les députés s’en souviendront lorsqu’ils accorderont les pleins pouvoirs au vieux maréchal en 1940.

 
Édouard de Castelnau, premier défenseur de Verdun

 

Au commencement de la carrière de Pétain, il y a Castelnau. Ce seigneur du Languedoc, 63 ans en 1914, que les Allemands estimaient pour son «talent militaire et sa chevalerie», est pourtant aujourd’hui sorti des livres d’histoire. Une injustice ? Du 24 au 26 août 1914, commandant la 2e armée, ses exploits prolongent la victoire de la Marne vers l’est. Du 31 août au 11 septembre, en Lorraine, il remporte la bataille du Grand Couronné qui lui vaut d’être appelé le «Sauveur de Nancy». En 1915, à la tête du Groupe d’armées du Centre, il dirige l’offensive de Champagne : en quelques jours, il fait 25 000 prisonniers, prend 125 canons et pénètre de quelques kilomètres en territoire allemand. Le généralissime Joffre lui propose alors de devenir son principal adjoint. En février 1916, Castelnau prend très au sérieux, contre l’avis de tous, la rumeur d’une attaque imminente contre Verdun. Il se hâte d’en faire évacuer les civils, fait venir des Vosges des renforts considérables en troupes et en artillerie. Au premier coup de canon, il convainc les généraux de conserver à tout prix la rive droite de la Meuse, afin que ses crêtes ne deviennent pas des bases de tir pour l’artillerie allemande. Il impose à Joffre, pour mener ce combat, le général Pétain. Les deux hommes, de la même génération, ont des affinités. Castelnau est aussi hostile à la philosophie de «l’attaque à outrance». Joffre lui reprochera son pessimisme, qui est aussi un réalisme. Les jeunes officiers du GQG le traitent de «catastrophard». Il discerne pourtant avec Pétain l’importance de la coopération interarmes et de l’aviation militaire. Du 20 au 26 février, il prend les mesures drastiques sans lesquelles Pétain n’aurait sans doute pas tenu à Verdun. Castelnau a exercé sur le sort de cette bataille une influence décisive. Homme de droite, ce catholique royaliste est surnommé le «capucin botté». Après la guerre, il milite pour l’abrogation des lois laïques et la «restauration d’une cité chrétienne». Député de l’Aveyron de 1919 à 1924, il fonde la Fédération nationale catholique pour mettre en échec le projet d’offensive anticléricale du Cartel des gauches. De quoi indisposer les responsables de la IIIe République ! Il n’aura jamais son bâton de maréchal… Il meurt à 92 ans, en 1944, ayant traversé les trois grandes guerres franco-allemandes

 

 

 

 

PÉTAIN, L'IMPOSTEUR DE VERDUN

Par Jean-Yves Le Naour dans mensuel 830 
daté février 2016 - 

À 60 ans passés, ce général obscur se forge une réputation - mieux, une légende - au cours de l'une des batailles les plus sanglantes de la guerre. La République avait besoin d'un sauveur, elle s'en trouve un, au prix de quelques mensonges.

Pétain, vainqueur de Verdun. L'affirmation a tant de fois été répétée qu'elle est devenue une vérité. Même la déchéance et la condamnation du maréchal pour trahison, en 1945, n'ont pas réussi à ébranler cette affirmation admise par tous, sans jamais être démontrée. Un siècle après les événements, il est temps de s'interroger sur cette vulgate qui ne va pas de soi. Non, Pétain n'est pas le vainqueur de Verdun. Dans la mémoire favorable au général Pétain, construite dans l'entre-deux-guerres, le Picard apparaît comme un sauveur dès sa prise de commandement, le 25 février 1916 à minuit. Selon les souvenirs de son chef d'état-major, Bernard Serrigny, les officiers en position auraient été soulagés à l'annonce de sa nomination. Le commandant Pineau, qui fait lui aussi partie de son état-major, soutient même que la situation s'améliore immédiatement sous le coup de cette nouvelle, « comme par enchantement ». Pétain lui-même se donne le beau rôle, se prétendant prédestiné puisqu'il écrit, dans La Bataille de Verdun , qu'il étudiait déjà les cartes de la région fortifiée avant que l'on ne fasse appel à lui. « Je considérais comme extrêmement probable ma désignation sur le front de Verdun », affirme-t-il. Or, cette figure du Pétain thaumaturge qui, par sa seule présence, rassurerait les combattants et redresserait les énergies, est une légende.

RENDONS À CASTELNAU...

Comme Pétain le reconnaît dans sa correspondance à sa maîtresse - « Il était moins cinq » -, la situation qui se rétablit in extremis le 26 février ne doit rien à sa présence ni à ses ordres, mais au sacrifice des poilus, d'une part, et aux instructions du général de Castelnau, de l'autre. Depuis le 21 février et l'attaque d'une brutalité inouïe des Allemands sur la rive droite de la Meuse, le commandant en chef des armées françaises, Joffre, reste sur ses gardes, craignant que ce ne soit un piège, une manoeuvre destinée à ce qu'il y envoie ses réserves tandis que l'ennemi attaquera encore plus violemment ailleurs. Sous le choc, les troupes de Verdun refluent durant quatre jours. La chute de la citadelle paraît inévitable. Le 24 février, à 21 h 45, Joffre se décide à nommer Pétain à la tête de la défense de la région, mais en prévoyant l'installation de son état-major à Bar-le-Duc, bien au sud de Verdun, et en lui recommandant d'interdire le franchissement de la Meuse aux Allemands. Il semble donc avoir lui-même acté la chute prochaine de la rive droite aux mains de l'ennemi. En attendant, Pétain est convoqué au Grand Quartier Général (GQG) de Chantilly pour le 25 février à 8 heures du matin : c'est dire qu'il ne pourra pas se rendre à Verdun avant la fin de la journée. Or le temps presse.

Le général de Castelnau, l'adjoint de Joffre, ne tient plus en place. La situation est grave et les heures sont décisives. Aussi, il fait réveiller Joffre aux alentours de 23 heures et obtient l'autorisation de se rendre à Verdun pour apprécier la situation et y prendre les décisions qui s'imposent. Dans la nuit, par téléphone, et dans la matinée du 25, à Dugny - QG du général Herr, le commandant de la région fortifiée -, Castelnau multiplie les ordres : il y fait avancer le 20e corps, arrivé en renfort, mais que l'on n'a pas laissé passer sur la rive droite car la situation paraît perdue. On lui objecte que, si jamais le corps d'armée passe la Meuse, il risque d'être pris dans la nasse. Il suffira que les Allemands bombardent les ponts pour lui interdire toute retraite et l'anéantir.

Castelnau s'en moque et coiffe le commandement local pour pousser le 20e corps en avant. À la fin de la journée, les renforts parviennent enfin aux défenseurs de Verdun, harassés par cinq jours et quatre nuits de combat. Le 26 février, l'offensive allemande est enrayée. Sans cette intervention énergique de Castelnau, la chute de la rive droite de la Meuse - dont le commandement local comme le GQG avaient déjà fait leur deuil - était inéluctable.

PÉTAIN A FAILLI RATER SON RENDEZ-VOUS AVEC L'HISTOIRE

Il se sent effectivement si prédestiné à la défense de Verdun que le 24 février, à 16 heures, il quitte son cantonnement de Noailles (Oise) sans avertir son chef d'état-major de sa destination. Or, à 22 heures, un télégramme signé de Joffre annonce que la 2e armée doit se mettre en route, et convoque Pétain pour 8 heures à Chantilly ! Serrigny est catastrophé : il doit retrouver son chef au plus vite.

Le sachant homme à femmes et connaissant ses habitudes à l'hôtel parisien Terminus, face à la gare du Nord, Serrigny s'y précipite et retrouve son général en chemise de nuit et en galante compagnie autour des trois heures du matin. Après sa rencontre avec Joffre, Pétain passe la journée du 25 sur les routes enneigées, à tenter de rejoindre Souilly (Meuse), où Castelnau l'attend. Il y parvient à 19 heures et est investi de la défense de la rive gauche... comme de la rive droite avec effet à minuit et ordre de tenir bon. Mais les ordres, et notamment la montée en ligne du 20e corps d'armée, ont déjà été donnés. Bien sûr, pour les besoins du mythe, les défenseurs de Pétain tairont le rôle fondamental de Castelnau, ou essaieront de le diminuer au maximum. « On raconte volontiers, écrit Serrigny, que le général de Castelnau a joué dans la bataille un rôle capital ; qu'il a en somme rétabli les affaires avant l'arrivée du général Pétain. Lui-même le laisse entendre. En réalité ce jour-là son action se réduisit au changement de commandement. » C'est un peu fort.

PAS VRAIMENT CHARISMATIQUE

Toujours est-il que ce 25 février Pétain ne rétablit pas la situation par sa seule présence. La vérité est que ce soir-là il est seul avec Serrigny, son état-major étant bloqué sur les routes de Seine-et-Marne, recouvertes par 40 centimètres de neige. Pis : dans le froid glacial de la maison du notaire de Souilly, où il a pris momentanément ses quartiers, il attrape mal et se réveille le 26 avec une toux vive, une pneumonie pour les uns, une bronchite pour d'autres. Quoi qu'il en soit, il est contraint de garder le lit, mais cache ce triste sort à ses subordonnés, en dehors de Serrigny et du général de Barescut, sur qui repose l'organisation de la défense de Verdun. On est, en tout cas, très loin de la légende de l'homme qui, par son seul charisme, redonne confiance à la troupe.

UNE GLOIRE POLITIQUE FABRIQUÉE DE TOUTES PIÈCES

Au demeurant, les soldats ignorent à peu près qui est ce général. Ce n'est qu'avec le battage médiatique autour de la bataille de Verdun que Pétain devient un personnage connu et reconnu des Français. En février 1916, sa réputation n'a rien à voir avec celle de mars. C'est d'ailleurs peut-être là une des sources du mythe associant Pétain et Verdun. Et Pétain n'est responsable de rien. S'il est flatté par la presse, qui lui tresse des lauriers de papier, la raison est purement politique. Jusqu'en 1916 en effet, Joffre veillait à ce que la presse ne vante aucun autre général que lui-même. Même Gallieni a vu son portrait censuré en 1915. La France ne devait avoir qu'un seul héros, et le gouvernement fermait les yeux parce qu'il estimait que la concurrence de popularité pouvait être un problème politique. Mais depuis l'offensive allemande à Verdun, tout change : la censure autorise les récits louangeurs, parce que la résistance acharnée de Verdun flatte l'orgueil national, mais aussi parce que la France se cherche une nouvelle étoile depuis que celle de Joffre n'illumine plus grand-chose.

Les politiques, exaspérés par Joffre, ses échecs répétés de 1915, et sa cécité sur la situation à Verdun malgré les avertissements qu'il a pris pour des intoxications de l'ennemi, en ont assez du « grand-père » et rêvent de s'en débarrasser. À la Chambre, dans la commission de l'armée, c'est la bronca contre Chantilly et le GQG. Même chose au Sénat, où Clemenceau tire à boulets rouges sur le haut commandement. Le gouvernement ne le soutient pas plus que la corde le pendu. Et si Joffre n'est pas remercié, c'est qu'il prépare une offensive sur la Somme, qui doit être décisive. On attend donc le résultat de cette bataille franco-britannique, en se promettant de lui régler son compte en cas d'échec.

Le rapport avec Pétain ? En autorisant les éloges sur le général chargé de la défense de Verdun, le gouvernement est tout simplement en train de préparer un successeur à Joffre dans l'opinion. À partir du moment où la bataille de Verdun devient le symbole de l'affrontement franco-allemand, les journalistes et politiques se précipitent à Souilly pour y rencontrer l'homme qui doit mener ce formidable combat. Ils y découvrent un général bourru, qui se répand en propos acrimonieux sur le GQG en général et sur le général en chef en particulier, se plaignant en permanence de n'avoir pas assez de moyens.

Cela comble d'aise les adversaires de Joffre, qui s'en reviennent avec des munitions pour mener leur guerre de couloir. Maurice Barrès, dans L'Écho de Paris , le décrit comme une sorte de messie, parlant de « majesté naturelle » : « Il tient dans ses mains le volant des destinées françaises. » Et Joffre ? Le sénateur Henry Bérenger, adversaire du général en chef, le compare à Gallieni, le vrai vainqueur de la Marne. Pichon, dans Le Petit Journal , autre sénateur à la dent dure contre le haut commandement, vante son « esprit de décision » et la « netteté de son coup d'oeil ». Le capitaine Henry Bordeaux en rajoute au cas où le portrait ne serait pas assez reluisant : « Il force l'obéissance sans un mot, rien que par son attitude. Il prend naturellement l'ascendant sur tout ce qui l'entoure [...]. Il est créé et mis au monde pour le commandement. » Son portrait paraît en couleurs dans L'Illustration , le 11 mars, puis en noir et blanc dans Le Miroir , le lendemain, et le QG de Souilly devient le lieu à la mode. Le président Poincaré s'y rendra à six reprises en 1916. Le général Pétain sait jouer le militaire aux manières rudes, le râleur qui parle vrai, et se crée de solides amitiés politiques, à gauche comme à droite. Officiellement, il se dit horripilé par la réclame faite autour de lui, mais il s'attache en même temps les services des écrivains Henry Bordeaux et Louis Madelin, ce qui démontre un sens aigu de la publicité. Passé du grade de colonel à celui de général d'armée en seulement deux ans, Pétain se sent pousser des ailes, « il se gobe », comme écrit le général Fayolle. Le colonel Jacquand, proche de Castelnau, le voit comme un prétentieux souffrant d'une « hypertrophie du moi ».

Il se prétend indifférent à l'opinion publique, mais il sait la capter pour entamer une épreuve de force avec Joffre afin d'obtenir plus de troupes. Son ordre du jour du 10 avril, ponctué d'un viril « On les aura », est à ce sujet un exemple achevé de communication politique. En réalité, le mot n'était pas de lui, mais de Serrigny, et Pétain avait hésité à le signer car il ne trouvait pas la formule rédigée en bon français. Il est vrai que « Nous les aurons » manquait de coffre et de puissance et, contrairement à « On les aura », n'aurait pas pu devenir un slogan national. L'ambitieux Pétain joue donc sa carte, mais celle-ci est jouée elle-même par les politiques qui préparent la relève de Joffre et portent aux nues cet inconnu pour éliminer le commandant en chef. La gloire de Pétain, qui apparaît en mars 1916, alors que la situation est toujours précaire, est donc une gloire fabriquée, politique, qui sert Pétain autant qu'elle se sert de lui. À l'époque, la manoeuvre n'est pas passée inaperçue. Joffre l'a vue venir à cent lieues, et les officiers supérieurs également : « J'ai la conviction qu'on chauffe un successeur dans la personne de Pétain », écrit ainsi le colonel Jacquand. Le soi-disant vainqueur de Verdun n'est qu'une arme dans la main des adversaires de Joffre. Une réputation, cela tient à peu de chose.

PANIQUARD EN CHEF ?

Avec ses demandes incessantes d'hommes et de matériel, celui que le GQG ne nomme plus que Philippe Auguste se rend naturellement insupportable à Joffre, qui, tout à la préparation de sa bataille de la Somme, voudrait que Pétain mène la bataille de Verdun à l'économie. Inquiet par la réclame faite autour de sa personne, Joffre décide de l'éloigner de Verdun en l'élevant, le 1er mai, au rang de chef du groupe des armées du centre. La défense de Verdun est alors confiée au général Nivelle, plus en phase avec la ligne de « défensive-agressive » du GQG, et qui promet de livrer bataille avec des moyens limités sans pleurnicher sans cesse auprès du gouvernement ou des parlementaires. Pétain ne s'y trompe pas : sa promotion n'est autre qu'un débarquement. Il le dit à un ministre de passage : « Voyez en moi un général relevé de son commandement. » Mais le Picard est coriace, et si Joffre s'adresse directement à Nivelle, court-circuitant Pétain, ce dernier se rend régulièrement à Souilly pour y superviser la bataille.

Pétain ne cesse de se montrer alarmiste, prédisant les pires catastrophes. D'un tempérament pessimiste et prudent jusqu'à la pusillanimité, il crie au loup et finit par soulever les craintes des politiques qui l'ont porté aux nues. Le 31 mai, à Saleux, lors d'une rencontre avec Poincaré et le chef de l'armée anglaise, Douglas Haig, il lâche que « Verdun sera pris », ce qui suscite la colère du président français, qui parle d'une « entreprise de démolition ». Témoin de la scène, Haig confie à ses carnets que « Pétain est un homme fini ». En juin, devant le président du Conseil effaré, il dira : « Nous sommes au bout du rouleau. » Dès le 3 mars, l'homme qui était chargé de défendre la rive droite s'était employé à concevoir un plan d'évacuation sur la rive gauche. Certes, un chef doit parer à toute éventualité, mais Pétain a une fâcheuse tendance à envisager le pire. Ainsi, le 7 mai, dans une lettre à Joffre, il estime que l'armée française s'use inexorablement et qu'elle finira par avoir le dessous ! En juin, sous les coups d'attaques redoublées des Allemands, il est même atteint d'une véritable panique. Il conseille à Nivelle de replier ses canons sur la rive gauche de la Meuse ! Le 23 juin, il téléphone au GQG : « La situation est grave à Verdun ; si on ne me donne pas quelques unités fraîches, je serai obligé de repasser sur la rive gauche. » Et il propose de commencer à évacuer l'artillerie. Nivelle, alors consulté, juge la situation sérieuse mais affirme qu'il tiendra. Évidemment, dans ses souvenirs, le général devenu maréchal ne dit pas un mot de ce catastrophisme que les historiens désireux de ne pas attenter à la grande figure ont eux aussi préféré taire.

Au fond, en tant que chef de l'armée de Verdun, Pétain n'a commandé que peu de temps, du 26 février au 30 avril 1916. Nivelle, lui, a officié du 1er mai jusqu'à la mi-décembre. Deux mois pour l'un, sept mois et demi pour l'autre. Plus encore, Robert Nivelle est le chef qui a relancé l'offensive et qui, de juillet à décembre, a repris le terrain perdu à l'ennemi de février à juin. Le 24 octobre, malgré les conseils de prudence de Pétain, une attaque menée par la division Mangin permet de reprendre le fort de Douaumont, tombé dans les premiers jours de la bataille. Dans la nuit du 2 au 3 novembre, le fort de Vaux est repris à son tour. Le 15 décembre, contre l'avis de Pétain, « affreusement restrictif » aux yeux de Mangin, Nivelle dégage définitivement la région fortifiée en repoussant les Allemands presque sur leurs bases de départ, fait 11 387 prisonniers et prend 115 canons.

Ces nouvelles sont alors saluées par la presse avec un vif enthousiasme. Robert Nivelle est encensé. Le Petit Journal , Le Pays de France , L'Illustration , Le Rire rouge publient des portraits de ce formidable général qui a repris le terrain concédé aux Allemands. Et, à l'époque, c'est bien lui le vainqueur de Verdun ! Le 29 août, Joffre soutient cette thèse qui permet de diminuer le rayonnement de son principal rival à la tête du GQG : « Quant au sauveur de Verdun, c'est Nivelle. » Des années plus tard, dans ses Mémoires , il n'en démord pas : « Si l'histoire me reconnaît le droit de juger les généraux qui opérèrent sous mes ordres, je tiens à affirmer que le vrai sauveur de Verdun fut Nivelle, heureusement secondé par Mangin. » En décembre 1916, une nouvelle étoile brille au firmament militaire, qui rejette Pétain dans l'obscurité. Se félicitant de cette éclipse, Joffre s'adresse sans ménagement à Pétain : « Vous aurez beau faire, il en sera ainsi, vous serez le battu, Nivelle le vainqueur de Verdun ! » Cela n'est pas faux, mais Joffre ignore le discrédit qui pèsera bientôt sur la mémoire de Nivelle. L'artilleur, qui s'impose en décembre à la tête du GQG, remplaçant Joffre et coiffant Pétain, se déconsidère en effet lors de l'offensive du Chemin des Dames, en avril 1917. Remplacé par Pétain le 15 mai, Nivelle a fait tomber dans la boue de l'Aisne les lauriers de vainqueur qu'il a gagnés sur la Meuse. Pétain n'a eu qu'à se baisser pour les ramasser. La légende et la propagande feront le reste. Ces querelles de chefs à l'ego surdimensionné ne doivent cependant pas dissimuler l'essentiel : les seuls vainqueurs de Verdun, ce sont les poilus et les 163 000 tués d'une bataille de trois cents jours.

UN ÉVÊQUE ENTRETIENT LA FLAMME

En débaptisant sa place Philippe-Pétain, renommée place de la Libération en 1945, et en le rayant de la liste de ses citoyens d'honneur, la ville de Verdun a depuis longtemps tourné le dos à l'encombrant maréchal. Les pétainistes de l'ADMP (Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain, fondée en 1951) continuent cependant à cultiver le souvenir. Depuis 1951, ils organisent une messe en hommage au « grand homme » tous les 10 novembre, au sein de l'ossuaire de Douaumont, et cherchent à réhabiliter le Pétain de 1940 en se dissimulant derrière celui de 1916. Jusqu'il y a peu, cette manifestation d'extrême droite passait plutôt inaperçue mais depuis quelques années l'honneur fait à l'homme de la collaboration avec Hitler ne passe plus. Déjà, des élus ont rappelé l'évêché à un peu plus de discernement. En 2014, la traditionnelle messe a été ajournée pour la première fois. Pourtant, le 21 février 2015, Mgr Gusching, évêque de Verdun, a convié l'ADMP à une célébration aux côtés d'anciens combattants. Le 10 novembre 2015, les pétainistes se font discrets, la messe étant annoncée comme une commémoration de l'armistice de 1918. En réalité, c'est bien l'homme de Montoire qui continue d'être honoré sur la terre de Verdun par une poignée de sectateurs, avec la complicité des autorités ecclésiastiques. Jusqu'à quand ? J.-Y. L. N.

LE POILU, SEUL VAINQUEUR

Pour se prévaloir du titre de vainqueur, il faut pouvoir se revendiquer d'une stratégie couronnée de succès. Or, comme l'écrit le meunier Pierre Roullet, qui y a combattu, « il ne fallait pas être un grand stratège pour commander à Verdun ». De fait, la défense du saillant français sur la rive droite de la Meuse consiste à faire monter au front les divisions et à les retirer quand elles sont trop éprouvées. La grande trouvaille de Pétain, c'est la mise sur pied de cette noria. Si cette rotation rapide des unités présente l'avantage de maintenir la combativité des hommes et de leur faire supporter l'insupportable parce qu'ils savent que cela ne durera pas, la noria n'a pas vraiment d'intérêt stratégique. Elle s'explique surtout par le refus de Joffre de céder ses réserves, conservées jalousement pour l'offensive de la Somme : le général en chef prête ses divisions mais veut les voir revenir ! Finalement, sur le plan stratégique, il n'y a pas vraiment de vainqueur. À part le fantassin, dont on n'a jamais ménagé le sang. J.-Y. L. N.

L'AVIS MITIGÉ DE CLEMENCEAU

« [Pétain] n'a pas d'idées, il n'a pas de coeur, il est toujours sombre sur les événements, sévère sans rémission dans ses jugements sur ses camarades et sur ses subordonnés. Sa valeur militaire est loin d'être exceptionnelle, il a dans l'action une certaine timidité, un certain manque de cran. [...] C'est un administrateur plus qu'un chef. À d'autres, l'imagination et la fougue. Il est bien à sa place si, au-dessus de lui, se trouvent des hommes pour décider en cas grave. » (cité dans Pétain en vérité , de Marc Ferro, Tallandier, 2013).

LES HÉROS OUBLIÉS, NIVELLE ET CASTELNAU

Robert Nivelle (1856-1924), reconnu par Joffre comme le vrai vainqueur de Verdun, voit son étoile pâlir lors de l'échec du Chemin des Dames en 1917, qui coûtent 350 000 hommes (morts ou blessés) et déclenchent des mutineries parmi les troupes. Quant à Édouard de Castelnau (1851-1944), premier défenseur de la ville, il pâtit auprès du gouvernement de ses convictions catholiques, qui le firent surnommer le « Capucin botté » et ne lui permirent pas de recevoir en 1918 le bâton de maréchal

 

Hommage à Pétain: "On fait un faux procès à Macron"

par Alexis Lacroix,publié le 08/11/2018 à 12:02  L'express

Le Maréchal Philippe Pétain est-il un "grand soldat" de la Grande Guerre?

 

afp.com/STR

L'historien Alexandre Adler, qui vient de signerLe temps des apocalypses (Grasset), décrypte la nouvelle "affaire Pétain".

L'EXPRESS. Les cafouillages se multiplient au sommet de l'Etat. Le dernier est mémoriel. Emmanuel Macron, avant de rétropédaler, a jugé légitime de rendre un hommage aux Invalides aux huit maréchaux de la grande guerre - Pétain compris, dont il a défendu le rôle de "grand soldat" en 14-18. Entre temps, Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), s'est ditatterré. Parmi tant d'autres, Kalifat a estimé qu'"honorer Pétain, c'est nier sa responsabilité dans la déportation des juifs". Qu'en pensez-vous ? 

Alexandre Adler. Je comprends tout à fait le souci, d'ordre d'abord institutionnel, du président du Crif devant une situation de ce genre. Il ressent une inquiétude que je peux entendre. Mais, sur le fond, je n'ai pas la même approche.  

Pourquoi ? 

Ce qui a été vraisemblablement validé, avant le recul officiel intervenu mercredi soir, c'était d'honorer, à travers les huit maréchaux de France, le sacrifice des combattants, en évitant d'opposer de manière populiste les bons soldats courageux et l'état-major digne d'être flétri. Or, la liste comporte d'autres noms de maréchaux dont la carrière ultérieure fut également pour le moins contestable. 

Qui, en l'occurrence ? 

Le maréchal Franchet d'Espèrey, disparu au début de la Seconde guerre mondiale, après avoir fondé les réseaux Corvignolles, qui furent le principal élément moteur de la très antirépublicaine Cagoule, par exemple. Ou encore le maréchal Foch, dont le rôle en tant que chef de l'armée polonaise en 1920 est indirectement associé au massacre de Babi Yar.  

Finalement, après une journée d'hésitation et peut-être d'affolement, on a appris que seuls seraient honorés les maréchaux présents aux Invalides : Foch, Lyautey, Franchet d'Espèrey, Maunoury et Fayolle... Le maréchal Pétain n'y figure pas, n'étant pas aux Invalides, car, à la Libération, il a été condamné à l'indignité nationale. 

Oui, mais restons sur l'essentiel.Tous ces maréchaux, aussi critiquables et condamnables qu'aient été, pour certains, les suites de leurs itinéraires, représentent collectivement les sacrifices des combattants de 14-18. J'ai l'impression que beaucoup des détracteurs du président dans cette affaire sont de ceux qui lui cherchent des "noises" quoiqu'il fasse! 

Mais le moment était-il vraiment opportun? Et ce, alors même que des voix se lèvent pour remettre en circulation une vision de l'histoire qui, en renvoyant dos à dos les actions de de Gaulle et de Pétain pendant l'Occupation, dédramatise le pétainisme ? 

Oui, vous faites allusion, sans la nommer, à la fameuse - et fumeuse - théorie du glaive et du bouclier, selon laquelle, pendant les années de l'Occupation nazie, de Gaulle aurait été le glaive, et Pétain le bouclier. Mais il n'y avait rien de tel dans le geste initial de Macron! Il a dit sans ambiguïté le désastre qu'a été le pétainisme. Or, c'est un fait que, pendant la première guerre mondiale, c'est en fait le "vainqueur de Verdun" qui a inventé la rotation des unités, laquelle a mis fin à la démoralisation. Et c'est lui aussi qui a pris des mesures finalement assez sensées et plutôt humaines, face aux mutineries qui risquaient de détruire l'armée. Le problème est donc, selon moi, plus général.

En plus de l'hommage à la paix et à la réconciliation avec l'Allemagne, le périple mémoriel du président aurait dû dire clairement que l'admiration que l'on peut porter à l'esprit de sacrifice des soldats ne doit pas nous empêcher de porter un jugement très sévère sur l'absurdité totale et le sommet du nationalisme suicidaire qu'a été la Première Guerre mondiale. 

Oui, mais quand même, Alexandre Adler! Dans un premier temps, ne pas avoir clairement exclu Pétain de cette commémoration, malgré les avertissements de ceux qui annonçaient un orage important, n'est-ce pas terriblement maladroit? Et n'est-ce pas d'autant plus malencontreux que des intellectuels de la droite dure tentent à nouveau, contre tous les travaux historiques sérieux (1), de présenter le pétainisme et le vichysme comme un "moindre mal" ? 

C'est, là encore, un faux procès! Ne pas présenter Pétain comme un personnage entièrement diabolique ne signifie aucunement dédiaboliser Vichy! Macron n'est absolument pas suspect d'avoir voulu faire du Pétain de Vichy un "moindre mal"...Je crains que tout cela ne fasse partie que de la mauvaise foi dont on assaisonne aujourd'hui le président de la République. Beaucoup d'ignorants bondissent sur Twitter et les autres réseaux sociaux pour déverser leur haine en continu contre ce président et on fait trop grand cas de leur opinion. Si Macron avait été plus audacieux, je le répète, il ne se serait pas contenté de panthéoniser un personnage honorable comme Maurice Genevoix... Non : il aurait fait de son périple mémoriel l'occasion de dénoncer dans le conflit mondial de 14-18 un grand suicide collectif des Européens. Avec un tel thème, courageux, il aurait certainement déclenché contre lui des polémiques plus terribles encore.