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Derière mise à jour
07-Déc-2024
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Eric Denecé sur le Centre Français de Recherche sur le Renseignement Cf2R
Octobre 2020
Il y a désormais huit jours que les combats font rage dans le Haut-Karabakh. Le 27 septembre, dernier, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a déclenché une offensive massive contre cette république autoproclamée, peuplée à 100% d’Arméniens. Stepanakert, la ville principale du Haut-Karabakh, et les villages alentours ont été l’objet d’intenses tirs d’artillerie azéris. Ces bombardements ont entraîné une riposte d’Erevan. La mobilisation générale et l’état d’urgence ont été déclarés par l’Arménie et le Haut-Karabakh. Bakou a pris aussitôt des mesures similaires
La Turquie s’est immédiatement rangée derrière son allié azéri, le président Erdogan qualifiant l’Arménie de « plus grande menace pour la paix et la stabilité dans la région » alors que tous les autres acteurs internationaux – Russie, Iran, ONU, Union européenne, États-Unis, etc. – ont appelé à une cessation immédiate des hostilités.
Le Haut-Karabakh (également dénommé Nagorny-Karabagh ou Artsakh) est un territoire arménien depuis l’Antiquité, en témoignent les nombreuses églises et monuments civils illustrant l’occupation ancestrale de la région.
Il a toujours existé une forte inimitié entre les Arméniens et les Tatars du Caucase, que l’on appelle depuis 1918 « Azéris ». En 1905-1906, des guerres éclatent entre les deux peuples. En 1915, des dirigeants nationalistes tatars du Caucase participent au processus qui conduit à l’extermination des Arméniens de l’Empire ottoman ; et en 1918 des massacres ont lieu à Bakou, dans le Karabakh et dans le Nakhitchevan (province azérie frontalière de la Turquie), territoire historiquement arménien vidé de sa population après la soviétisation.
Puis, les nationalismes régionaux sont étouffés sous le règne du Parti communiste pendant toute la période soviétique. L’oblast du Haut-Karabakh se voit même rattaché arbitrairement par Staline à la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan en 1921, afin de maintenir de « bonnes relations » avec la Turquie de Mustapha Kemal, alors même que sa population est à 94% arménienne.
Les Arméniens du Haut-Karabakh vont alors faire l’objet de discriminations multiples de la part des Azerbaïdjanais, qui vont jusqu’à empêcher leurs liens avec la RSS d’Arménie voisine. Une véritable politique de « désarménisation » de la région est mise en place par les autorités de Bakou, notamment via des déplacements de populations et des démantèlements de villages. Lors de la désintégration de l’URSS, en 1991, la répartition reste toutefois de 76% d’Arméniens pour 24% d’Azéris.
En février 1988, les habitants du Haut-Karabagh réclament de nouveau le rattachement de leur région à la RSS d’Arménie. En réponse, les Azéris massacrent des populations arméniennes à Sumgaït, Bakou et Kirovabad[1]. Près de 400 000 Arméniens d’Azerbaïdjan fuient alors vers l’Arménie et vers Moscou. Parallèlement, environ 150 000 Azéris quittent l’Arménie soviétique par crainte de représailles.
S’ensuit alors un conflit ouvert entre les deux RSS[2]. Dans un premier temps (1988-1991), l’URSS et l’Armée rouge soutiennent l’Azerbaïdjan, les Arméniens connaissant alors une situation difficile. Puis, le rapport de forces s’inverse dans un second temps (1991-1994), après les indépendances consécutives à l’éclatement de l’URSS. Les volontaires arméniens affluent et infligent de nombreux revers à une armée azérie sous-équipée et très mal commandée[3]. Moscou se tient alors à équidistance des deux camps. A partir du printemps 1993, les forces arméniennes prennent le contrôle de régions situées à la périphérie du Haut-Karabakh, d’où partent les bombardements d’artillerie contre leur province. Les succès militaires arméniens sont tels que l’Azerbaïdjan implore un cessez-le-feu en 1994.
A la fin de la guerre, les Arméniens contrôlent non seulement la région montagneuse du Haut-Karabakh (11 000 km2), mais aussi 9 % du territoire azerbaïdjanais. Ils chassent près 800 000 Azéris des zones avoisinant le Haut-Karabakh, se livrant à un nettoyage ethnique, toutefois sans massacre. De leur côté, les Azéris expulsent plus de 400 000 Arméniens.
Depuis cette date, des négociations entre les deux pays ont été ouvertes, sous la supervision du Groupe de Minsk[4], mais n’ont jamais débouché, car deux principes juridiques s’opposent : le droit des peuples à l’autodétermination (Haut-Karabakh) versus le respect de l’intégrité territoriale (Azerbaïdjan).
Lors de son rattachement contesté en 1921 à la RSS d’Azerbaïdjan, le Haut-Karabakh avait un statut d’oblast autonome. De par la Constitution soviétique, ce statut lui donnait le droit de demander démocratiquement son rattachement à l’Arménie. Ce que fait le parlement de la région autonome en 1988, à la faveur de la perestroïka, sans succès. La République du Haut-Karabakh proclame toutefois son indépendance en septembre 1991, lors de la désintégration de l’URSS, plusieurs semaines avant que l’Azerbaïdjan ne déclare la sienne. Cette proclamation est la conséquence du ressentiment que les populations arméniennes éprouvent depuis plusieurs décennies suite aux restrictions de leur liberté culturelle et religieuse imposées par les autorités soviétiques et azerbaïdjanaises. Toutefois, lorsque l’Azerbaïdjan déclare à son tour son indépendance, il revendique ses droits sur le Haut-Karabakh et refuse de reconnaitre celle de l’enclave arménienne.
Ainsi, le Haut-Karabakh, qui relève de jure à l’Azerbaïdjan depuis l’époque soviétique, échappe de facto à la souveraineté de Bakou depuis 1994. A noter qu’Erevan n’a jamais reconnu officiellement la République d’Artsakh afin de pouvoir trouver avec l’Azerbaïdjan une solution négociée à cette situation.
Mais au-delà des logiques juridiques, l’enjeu est aussi la légitime revendication du peuple arménien à vivre en sécurité sur la terre qui a toujours été la sienne, contre les velléités expansionnistes panturques de Bakou et d’Ankara, jadis responsables d’un génocide à son encontre.
Depuis sa déroute de 1994, grâce à l’argent du pétrole de la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan a profondément modernisé ses forces armées. En avril 2016, de violents combats frontaliers ont lieu à l’initiative de Bakou. Au cours de l’été 2020 encore, les forces azéries ont « violé » les frontières internationalement reconnues de l’Arménie, relançant délibérément les tensions, avant de déclencher, le 27 septembre 2020, une offensive militaire de grande ampleur contre la République autoproclamée de l’Artsakh. Si, depuis 15 ans, les tensions perdurent entre l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh soutenu par l’Arménie, Bakou a été encouragé à déclencher les hostilités actuelles par son allié turc, qui apporte un soutien militaire considérable à ses opérations offensives.
En effet, depuis l’accession d’Erdogan à la présidence (2014), la Turquie cherche à renouer avec sa « grandeur perdue » et avec son passé ottoman. Réislamisation, nationalisme et panturquisme ont ainsi été très largement encouragés par Erdogan qui s’est lancé dans une politique internationale agressive. Cela s’observe notamment depuis 2011 en Syrie, en Libye et en Egypte – soutien aux djihadistes et aux Frères musulmans – et depuis l’été 2020 en Méditerranée orientale, face à la Grèce et à Chypre. Surtout, elle s’exprime par le soutien politique et militaire d’Ankara à Bakou[5] contre les territoires arméniens du Haut-Karabakh, conférant une dimension régionale au conflit.
Dans cette affaire, la Turquie est la seule puissance à ne pas appeler à un cessez-le-feu entre les belligérants. Au contraire même : elle affirme qu’elle se tiendra toujours aux côtés de l’Azerbaïdjan, qu’elle encourage à reprendre « ses terres occupées ». Pire, Ankara ne cesse de jeter de l’huile sur le feu ; Yunus Kilic, un député du Parti de la justice et du développement (AKP) a déclaré il y a quelques jours : « Les récentes attaques de l’Arménie ne visent pas seulement l’Azerbaïdjan mais le monde turc dans son ensemble[6] ».
Comme dans le cadre de ses actions en Libye, le gouvernement turc n’a pas hésité à mobiliser – parallèlement à l’envoi d’avions de combat, de conseillers militaires et de membres de sa société militaire privée (la SADAT) – plusieurs centaines de djihadistes radicaux qu’il a employé précédemment contre le régime de Bachar El-Assad en Syrie, où ils ont commis de très nombreuses exactions, et en Libye, contre les forces du maréchal Haftar. Ainsi, Erdogan instrumentalise-t-il une nouvelle fois des djihadistes à son profit, transformant l’affrontement politico-militaire en une guerre religieuse.
En encourageant et soutenant l’Azerbaïdjan dans ce conflit, le président turc pense qu’il peut remporter une victoire facile et populaire contre les Arméniens du Haut-Karabakh. En effet, il connait une importante chute de popularité dans son pays. Par ailleurs, ses actions internationales ne sont guère couronnées de succès. Il a vainement tenté de piéger la Russie à Idlib, puis en Libye. Et il vient d’être « bloqué » dans ses visées expansionnistes en Méditerranée orientale : l’Union européenne a fait front contre lui et la France a renforcé sa présence navale dans la zone et vendu des Rafales à la Grèce, le contraignant à faire machine arrière. C’est pourquoi une victoire turco-azérie contre les Arméniens redorerait son blason.
Depuis le début du conflit, le président Ilham Aliev ne cesse de clamer que son armée ne fait que répondre à une agression arménienne. C’est évidemment là pure désinformation. A l’image d’Erdogan, lui aussi entretient depuis longtemps la haine et le ressentiment de son peuple contre les Arméniens. « Nous avons une seule condition : le retrait total, inconditionnel et sans délai des forces armées de l’Arménie de notre terre. Si le gouvernement de l’Arménie accepte cette condition, les combats s’arrêteront et le sang cessera de couler » a-t-il déclaré.
Le président azerbaïdjanais a remercié son homologue turc pour son soutien à l’Azerbaïdjan face aux « attaques » arméniennes. « Dès les premières heures de l’attaque perpétrée par l’Arménie, la Turquie, en particulier Erdogan, a vivement condamné l’attaque et montré un soutien ferme. Le peuple azerbaïdjanais salue ce soutien ». Aliev a déclaré que « l’Azerbaïdjan sera toujours aux côtés de la Turquie. L’Azerbaïdjan et la Turquie affichent leur solidarité dans tous les domaines conformément au principe « une nation, deux États » et se soutiennent toujours mutuellement sans hésitation[7] ».
La propagande turco-azérie n’hésite pas, par ailleurs, à affirmer « qu’avant de lancer ses attaques contre les zones d’habitation civile en Azerbaïdjan, l’Arménie a conclu un accord avec l’organisation terroriste séparatiste PKK/YPG. Dans le cadre de l’accord conclu au mois de juillet, près de 300 terroristes du PKK/YPG ont été envoyés en Arménie et au Karabakh. Les membres de l’organisation terroriste ont formé les milices arméniennes dans le Haut-Karabakh. Ces milices sont utilisées surtout dans les attaques visant les civils »[8].
Les faits pourtant parlent d’eux-mêmes : Il y a aujourd’hui 150 000 habitants au Haut-Karabagh et l’Arménie voisine compte 3 millions d’habitants, son PIB étant de 12 milliards. Face à eux, l’Azerbaïdjan compte 10 millions d’habitants et un PIB 47 milliards de PIB. Le rapport démographique est donc de 1 à 3 et celui des PIB de 1 à 4. De plus, Bakou est soutenu très ouvertement par la Turquie – 82 millions d’habitants – et son armée.
Paradoxalement, cette guerre est peu populaire en Arzerbaïdjan, dictature opaque et pays fortement divisé. La population azérie, certes chauffée à blanc depuis plusieurs années, se voit entrainée dans ce conflit par la folie d’Aliev et d’Erdogan. C’est pourquoi le président azerbaïdjanais a fait appel à des djihadistes pour participer aux combats… afin de limiter les pertes azéries. Ces combattants islamistes sont arrivés de Libye, transportés dans des avions de ligne turcs[9], en dépit des dénégations d’Ankara et de Bakou. Leur transfert a commencé avant la mi-septembre, ce qui confirme que l’Arzerbaïdjan préparait une opération militaire en contre le Haut-Karabakh depuis plusieurs semaines. Pour le moment, leur nombre est estimé entre plusieurs centaines et un millier[10].
A noter que la presse officielle azerbaïdjanaise commence également à cibler le président Macron, qui a pris fermement position contre la Turquie en Méditerranée orientale et dénoncé l’envoi des djihadistes au Haut-Karabak, n’hésitant pas à l’accuser de s’en prendre aux musulmans de France suite à son récent discours sur le « séparatisme islamique[11] ».
L’Azerbaïdjan, majoritairement chiite, est soutenu par la Turquie sunnite et par Israël, qui utilise ce pays comme base de départ pour ses missions de renseignement contre l’Iran. L’Arménie bénéficie pour sa part de l’aide – modeste – de la Russie, qui dispose sur son sol d’une base à Gumri, dans le nord, et d’unités de gardes-frontières face à la Turquie et l’Iran[12] ; et de l’Iran qui se méfie d’un Azerbaïdjan pouvant exercer une attraction sur ses propres populations azéries, et qui cherche à contrecarrer l’influence grandissante de la Turquie et la présence israélienne dans ce pays. Aucun de ces acteurs ne peut tolérer que le candidat qu’il soutient perde la partie.
Selon Erevan, la Turquie aurait déployé ses drones et ses F-16 dans le conflit, abattant un Sukhoi arménien et plusieurs drones, ce qu’ont aussitôt démenti Ankara et Bakou. Erevan a menacé de recourir aux missiles Iskanderdont est doté son armée depuis 2016 si de telles actions se reproduisaient. Certains observateurs s’inquiètent d’une possible intervention militaire directe turque qui pourrait provoquer un embrasement régional[13]. Le 29 septembre, le commandant en chef des garde-frontières iraniens, le général Ghassem Rezaei, a très clairement mis en garde Erevan et Bakou contre tout débordement des affrontements au territoire iranien[14].
On notera la position extrêmement critiquable d’Israël, qui soutient et arme l’Azerbaïdjan[15], avec lequel Tel Aviv a établi un important partenariat énergétique[16]. Au demeurant, il convient de rappeler que l’Etat hébreu, créé par les Occidentaux suite à la Shoah, n’a jamais officiellement reconnu le génocide arménien de 1915, en raison de ses « bonnes relations » avec Ankara…*
C’est donc une crise majeure aux conséquences imprévisibles qui vient d’éclater dans le Caucase. Son importance n’est pas suffisamment perçue comme telle en Occident. S’il s’agit pour les Azéris d’une question d’orgueil – reconquérir certains des territoires perdus en 1994 –, ce conflit revêt une dimension existentielle pour les Arméniens. Rappelons que les Azéris ont joué un rôle important dans le génocide de 1915 et qu’ils se sont ensuite livrés à un véritable nettoyage ethnique au Nakichevan en 1918. C’est également une nouvelle illustration de la politique expansionniste du président Erdogan et de la volonté d’Ankara de réaliser son projet panturquiste avec l’Azerbaïdjan, en mettant la main sur le Karabakh et le couloir stratégique du Zangezour, cette bande de territoire arménien qui empêche la jonction entre les deux pays turcophones.
Les Occidentaux et la Russie ne peuvent rester indifférents à ce qui se passe au Haut-Karabakh. Non seulement parce qu’un risque d’embrasement régional existe, mais aussi parce que s’y joue un nouvel épisode d’une guerre de civilisation. Il ne reste plus beaucoup de chrétiens en Orient. Ils ont été chassés d’Irak et de Syrie, ils sont persécutés en Turquie et de plus en plus minoritaires au Liban. Le nettoyage systématique organisé par des groupes djihadistes ou des régimes islamistes – dont nous sommes paradoxalement les alliés – se poursuit néanmoins sans apparemment émouvoir les Européens.
[1] Ils se livrent notamment à de véritables pogroms en 1989 et 1990 dans les principales villes du pays. À propos des exactions qui eurent lieu en janvier 1990 à Bakou, voici ce qu’on relate un document de l’ONU : « Pendant 5 jours, en janvier 1990 à Bakou, capitale d’Azerbaïdjan, on a tué, torturé, pillé, humilié les représentants de la communauté arménienne. Les femmes enceintes et les enfants étaient agressés, les fillettes violées sous les yeux de leurs parents ; sur le dos de leurs victimes, les massacreurs gravaient au fer rouge la croix chrétienne. Les gens étaient poursuivis simplement pour leur foi chrétienne. » (ONU, Haut Commissariat aux droits de l’Homme, Document de la 17e session du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, juin 2011).
[2] Le conflit a fait 25 000 morts.
[3] Au cours du conflit, l’armée azérie totalement désorganisée fit appel à des moudjahidines afghans et aux combattants tchétchènes de Chamil Basaïev, mais ils ne purent influencer l’issue du conflit.
[4] Créé en 1992 par l’OSCE afin d’encourager la recherche d’une solution pacifique et négociée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Il est co-présidé par les Etats-Unis, la Russie et la France et comprend également l’Allemagne, la Biélorussie, la Finlande, l’Italie, la Pays-Bas, le Portugal, la Suède et la Turquie.
[5] Les deux pays se considèrent comme « une seule nation en deux Etats ».
[6] https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=69009
[7] La voix de la Turquie, 29 septembre 2020
[8] La voix de la Turquie, 30 septembre 2020.
[9] Cf. Alain Charret, « Conflit du Haut-Karabakh : les sites de suivi de l’activité aérienne, nouvelles cibles de la guerre de l’information », Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), Note d’actualité n°273, octobre 2020.
[10] A noter qu’environ12 000 mercenaires syriens, payés par la Turquie, sont toujours en Libye.
[11] https://fr.azvision.az/news/97935/-sous-couvert-de-lutte-contre-la-radicalisation,-macron-cible-les-musulmans-.html
[12] La Russie a longtemps essayé de rester neutre dans ce conflit afin de jouer un rôle de médiateur entre les deux pays. Mais l’engagement de la Turquie en soutien de l’Azerbaïdjan la conduit à soutenir l’Arménie.
[13] La voix de l’Amérique, 30 septembre 2020.
[14] Press TV, 29 septembre 2020.
[15] En particulier des drones Harop développé par la division MBT d’Israël Aerospace Industries. Ce drone « kamikaze » est conçu pour survoler un secteur et plonger sur ses cibles afin de les détruire.
[16] La France a également vendu des satellites militaires à l’Azerbaïdjan sous le mandat de François Hollande. Paris dispose d’un attaché militaire à Bakou, mais pas en Arménie.
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Si le peuple arménien et sa diaspora sont déterminés à défendre leur terre, l’aide internationale se fait attendre, déplore Mané Alexanian. Selon la journaliste, l’Arménie ne pourra pas résister sans le secours de ses alliés.
Par Mané Alexanian
Mané Alexanian est une journaliste française d’origine arménienne. Sa famille est originaire du Haut-Karabagh.
FIGAROVOX. - Pourquoi le conflit opposant Arméniens et Azéris autour du Haut-Karabagh, «gelé» depuis 1994, malgré quelques de flambées de violence déclenchées sporadiquement, s’est brutalement ravivé le 27 septembre dernier?
Mané ALEXANIAN. - À vrai dire, ce cessez-le-feu n’a jamais été réellement respecté. Il a été rompu à de nombreuses reprises. En 2008, en 2016 (guerre des 4 jours) et en juillet 2020. L’Azerbaïdjan accuse l’Arménie, l’Arménie accuse l’Azerbaïdjan. Toutefois, l’Arménie n’a aucune raison valable de rompre ce cessez-le-feu. Bien au contraire, c’était jusqu’alors un moyen de protéger la population et le territoire de l’Artsakh, que les Arméniens appellent le Haut-Karabagh. Si on regarde les choses de plus près, l’Artsakh compte 120 000 habitants et est soutenu par l’Arménie, qui dénombre 2,9 millions d’habitants.
L’Azerbaïdjan est la 64e puissance militaire, la Turquie la 11e et l’Arménie, quant à elle, est classée à la 111e place.De l’autre côté, il y a l’Azerbaïdjan, qui compte 9,9 millions d’habitants et qui est soutenu par la Turquie et ses 82 millions d’habitants. De plus, l’Azerbaïdjan est la 64e puissance militaire, la Turquie la 11e. L’Arménie, quant à elle, est classée à la 111e place.
Je pense que l’Azerbaïdjan, voyant que l’Arménie ne se manifeste pas pour déclencher une guerre, cherche désormais à en finir avec la question des habitants du Haut-Karabagh ; c’est ce qu’ils font en bombardant la capitale et les infrastructures, sans prendre en compte la présence civile.
Je ne peux que partager cette analyse. L’Artsakh et l’Arménie sont enclavés entre l’Azerbaïdjan à l’est et la Turquie à l’ouest. La Turquie souhaite étendre son pouvoir et reconstituer l’Empire Ottoman. Les seuls obstacles sur son chemin sont l’Arménie et l’Artsakh. La Turquie guide son homologue à sa guise afin d’étendre son pouvoir. La première étape de son travail est de récupérer l’Artsakh avec l’aide de l’Azerbaïdjan, ensuite elle s’occupera de l’Arménie. Pour la Turquie et l’Azerbaïdjan, il s’agit d’une véritable guerre d’ego! Rien ne peut les intéresser dans cette région, si ce n’est le rapprochement géographique de l’Azerbaïdjan vers la Turquie.
La population du Haut-Karabagh ne souhaite pas être rattachée à l’Azerbaïdjan, mais plutôt obtenir son indépendance, comme elle l’avait proclamée lors de la chute de l’URSS en 1991.L’Azerbaïdjan se base sur un traité signé par Staline en 1921, qui rattache l’Artsakh à l’Azerbaïdjan. Ce rattachement a entrainé la population de l’Artsakh à être victime d’une politique systématique de discrimination ethnique et d’épuration visant à sa disparition progressive.
Il faut aussi prendre en compte l’avis de la population du Haut-Karabagh. Sans parler de la différence de religion (christianisme), cette province ne souhaite pas être rattachée à l’Azerbaïdjan, mais plutôt obtenir son indépendance, comme elle l’avait proclamée lors de la chute de l’URSS en 1991.
Le 6 octobre, le Kremlin a répété que «les parties ont l’obligation de cesser le feu et s’asseoir à la table des négociations». La Russie, qui entretient des relations étroites avec l’Arménie, son alliée dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), joue-t-elle son rôle de médiateur?Bien qu’alliée de l’Arménie, la Russie reste neutre dans cette guerre. Elle n’est ni pour l’Arménie, ni contre l’Azerbaïdjan. Elle joue son rôle de médiateur. L’Arménie s’est dite prête à travailler avec le Groupe de Minsk, co-présidé par la Russie, les États-Unis et la France, pour mettre en place un cessez-le-feu. Encore faut-il que l’Azerbaïdjan accepte aussi de se mettre autour de la table.
Il nous est permis d’en douter, surtout quand on sait que les Azéris ont le soutien total de la Turquie, qui s’est d’ailleurs dite «prête à se tenir aux côtés du pays-frère et ami qu’est l’Azerbaïdjan de tout [son] coeur et par tous les moyens».
173 élus français ont signé un appel pour demander au gouvernement de sortir de sa «neutralité» face à «l’agression azerbaïdjanaise contre les Arméniens». Emmanuel Macron, qui a pourtant dénoncé l’implication turque dans le conflit, doit-il être plus ferme selon vous?
Vendredi 2 octobre, lors d’un sommet de l’Union européenne à Bruxelles, Emmanuel Macron a osé dénoncer la présence de 300 combattants ayant quitté la Syrie pour rejoindre Bakou en passant par Gaziantep (Turquie). «Ils sont connus, tracés, identifiés, ils viennent de groupes djihadistes qui opèrent dans la région d’Alep», a-t-il affirmé. Cette information a été confirmée par L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui a affirmé que plus de 850 combattants de factions syrienne pro-turques étaient arrivés en Haut-Karabagh en passant par la Turquie, et a également ajouté que 300 combattants étaient arrivés une semaine avant le début de la guerre. Cela prouve que l’Azerbaïdjan avait préparé ses attaques en amont. Quel intérêt sinon de faire venir ces mercenaires sur son territoire si ce n’est pour se battre?
Aujourd’hui, l’Arménie se retrouve seule pour combattre l’Azerbaïdjan, la Turquie, mais aussi le terrorisme. C’est beaucoup pour un si petit pays. S’il est important de dénoncer, il faut désormais agir et sanctionner.
La diaspora arménienne semble très active dans le conflit, certains ont même rejoint le front pour défendre leur terre d’origine. Faut-il y voir une crainte du peuple arménien de se voir décimé ou contraint à l’exil?
La diaspora arménienne a toujours été unie, mais elle l’est davantage depuis le 27 septembre. Une véritable solidarité s’est installée. En très peu de temps s’est mis en place des récoltes de médicaments, de fournitures, ou encore de vêtements. Les informations sont relayées sur les réseaux sociaux, jour après jour.
Chacun d’entre nous a un frère, un père, un cousin, un ami sur le front actuellement. Notre terre, notre histoire et notre peuple sont en danger. C’est aussi pour cela que des Arméniens de France, des États-Unis, du Liban, de Syrie et d’ailleurs sont partis sur le front après que l’Arménie a décrété la mobilisation générale. C’est ce même esprit de solidarité qui les a nourri.
En partant au front, ces jeunes de la diaspora souhaitent que ce passé douloureux ne se reproduise pas.Ceux qui sont partis sont pour la plupart les descendants des rescapés du Génocide arménien. On y trouve également les enfants des pères ayant participé à la libération de l’Artsakh en 1994. L’histoire se transmet de génération en génération. En partant au front, ces jeunes de la diaspora souhaitent que ce passé douloureux ne se reproduise pas.
Il faut bien comprendre que si l’Azerbaïdjan dépose les armes, il y aura la paix. Si l’Arménie dépose les armes, il n’y aura plus d’Arménie. Une chose est sûre, nous ne laisserons pas Erdogan réussir, là où ses ancêtres ont échoué.
Mark Perry — 30 mars 2012 à 11h33 — mis à jour le 30 septembre 2013 à 17h00
Sur journal "Slate.fr"
En 2008, l’assistant chef de mission de l’ambassade américaine à Bakou, Donald Lu, avait envoyé au quartier général du département d’État à Foggy Bottom un câble titré «La symbiose discrète de l’Azerbaïdjan avec Israël». Ce mémo, publié plus tard par Wikileaks, cite le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev décrivant la relation de son pays avec l’État juif comme un iceberg:
Pourquoi cela importe-t-il? Parce que l’Azerbaïdjan se situe stratégiquement sur la frontière septentrionale de l’Iran et parce que selon plusieurs sources de haut rang à qui j’ai parlé au sein du gouvernement américain, des responsables de l’administration Obama pensent aujourd’hui que la partie «immergée» de l’alliance israélo-azerbaïdjanaise, la coopération militaire entre les deux pays, augmente les risques d’une attaque israélienne sur l’Iran.
Des responsables de haut rang du renseignement américain sont de plus en plus inquiets qu’une expansion militaire d’Israël en Azerbaïdjan complique les efforts américains pour réduire les tensions israélo-iraniennes, selon ces sources. Les stratèges militaires, m’a-t-on dit, doivent maintenant planifier non seulement un scénario de guerre incluant le Golfe persique mais qui inclurait également le Caucase.
La relation naissante entre Israël et l’Azerbaïdjan est aussi devenue prégnante dans les relations des deux États avec la Turquie, un poids lourd régional qui craint les conséquences économiques et politiques d’une guerre avec l’Iran. Les responsables turcs au plus haut niveau ont exposé leurs inquiétudes à leurs homologues américains, tout comme aux Azerbaïdjanais, ont déclaré les sources.
L’ambassade israélienne à Washington, les Forces de Défense Israéliennes et le Mossad, l’agence nationale israélienne de renseignement ont tous été contactés pour réagir à ces informations, mais n’ont pas répondu.
L’ambassade azerbaïdjanaise aux Etats-unis n’a pas non plus répondu aux requêtes d’informations concernant les accords de sécurité passés avec Israël. Lors d’une récente visite à Téhéran, cependant, le ministre de la défense azerbaïdjanais a publiquement écarté l’idée d’une utilisation de l’Azerbaïdjan pour des frappes sur l’Iran :
«La république d’Azerbaïdjan, comme toujours par le passé, n’autorisera jamais aucun pays à utiliser son territoire, ou ses aérodromes, contre la République islamique d’Iran, comme nous considérons comme un pays ami, un pays frère.»
Mais même si son gouvernement s’en tient à cette promesse, l’Azerbaïdjan pourrait bien fournir à Israël un soutien essentiel. Un officier de renseignement américain a noté que le ministre de la Défense azerbaïdjanais n’avait pas explicitement affirmé que des bombardiers israéliens ne pourraient pas atterrir en Azerbaïdjan après une frappe. Il n’a pas non plus écarté la possibilité que des unités de recherche et d’assistance israéliennes soient basées dans le pays.
Pourvoir de telles autorisations d’atterrissage et mettre en place des opérations de recherche et d’assistance à proximité de l’Iran rendrait une attaque israélienne sur l’Iran plus aisée.
«Nous observons attentivement ce que fait l’Iran», a confirmé une des sources américains, un officier du renseignement chargé d’évaluer les ramifications d’une potentielle attaque israélienne.
«Mais nous observons maintenant ce que fait Israël en Azerbaïdjan. Et nous n’en sommes pas satisfaits.»
L’approfondissement des relations avec le gouvernement de Bakou avait été cimenté en février par un contrat d’armement de 1,6 milliard de dollars qui prévoit de fournir à l’Azerbaïdjan des drones sophistiqués et des systèmes antimissiles. En même temps, les relations de Bakou avec Téhéran se sont assombries: l’Iran a présenté le mois dernier à l’ambassadeur azerbaïdjanais une note affirmant que Bakou a soutenu des équipes d’assassinat ciblé formées par Israël et visant des savants iraniens, une accusation que le gouvernement azerbaïdjanais a désignée comme «un mensonge».
En février, un membre du parti au pouvoir Yeni Azerbadzhan a demandé au gouvernement de transformer le nom du pays en «Azerbaïdjan du nord», suggérant implicitement que les 16 millions d’Azéris qui vivaient dans le Nord de l’Iran («Azerbaïdjan du Sud») attendaient une libération.
Ce mois-ci, Bakou a annoncé que 22 individus avaient été arrêtés pour espionnage au bénéfice de l’Iran, accusés d’avoir été chargés par les Gardiens de la Révolution Iranienne de «commettre des actes terroristes contre les ambassades des États-Unis, d’Israël et d’autres États occidentaux». Ces allégations ont provoqué de multiples démentis courroucés de la part du gouvernement iranien.
Les raisons pour lesquelles les Israéliens accordent une grande valeur à leurs relations avec l’Azerbaïdjan, et pour lesquelles les Iraniens s’en irritent fortement, sont claires. L’armée azerbaïdjanaise dispose de quatre aérodromes abandonnés datant de l’époque soviétique qui pourraient être disponibles pour les Israéliens, ainsi que quatre bases aériennes pour leur propre aviation, selon le Military Balance 2011 publié par l’International Institute for Strategic Studies.
Les responsables du renseignement et de la diplomatie américaine m’ont dit qu’ils croyaient qu’Israël avait obtenu l’accès à ces bases aériennes grâce à une série d’accords militaires et politiques discrets. «Je doute qu’il y ait quoi que ce soit d’écrit», a ajouté un ancien diplomate qui avait effectué sa carrière dans la région. «Mais je pense qu’il n’y aucun doute, si des avions israéliens souhaitent atterrir en Azerbaïdjan après une attaque, qu’ils seront autorisés à le faire. Israël est très bien implanté en Azerbaïdjan depuis deux décennies.»
La perspective de voir Israël utiliser les terrains d’aviation azerbaïdjanais pour une attaque contre l’Iran devint publique pour la première fois en décembre 2006 lorsque le général israélien en retraite Oded Tira dénonça avec colère le manque d’action de l’administration de George W. Bush contre le programme nucléaire iranien.
«Pour notre part, écrivait-il dans un commentaire très souvent cité depuis, nous devrions aussi nous accorder avec l’Azerbaïdjan pour utiliser des terrains d’aviation sur son territoire et aussi obtenir le soutien de la minorité azérie en Iran. »
La «coordination» que Tira appelait de ses vœux est maintenant une réalité m’ont affirmé mes sources américaines.
L’accès à de tels terrains d’aviation est important pour Israël, parce que cela signifie que des chasseurs-bombardiers israéliens F-15I et F-16I n’auraient pas besoin de refaire le plein de carburant en vol pendant une frappe contre les infrastructures nucléaires iraniennes, mais continueraient simplement vers le nord et atterriraient en Azerbaïdjan.
L’analyste des questions de défense David Isenberg décrit la possibilité d’utiliser les aérodromes azerbaïdjanais comme un «atout significatif» pour toute frappe israélienne, en calculant que le voyage de 3.550 kilomètres d’Israël jusqu’à l’Iran et retour pousserait les avions de chasse israéliens jusqu’à leurs limites. «Même s’ils rajoutaient des réservoirs de carburant supplémentaires, ils toucheraient leurs réserves», m’a déclaré Isenberg, «c’est pourquoi être autorisé à utiliser les aérodromes azerbaïdjanais serait crucial».
L’ancien commandant du Centcom (le commandement de l’armée américaine pour la zone du Grand Moyen-Orient, NDT), le général Joe Hoar, a résumé les calculs israéliens: «Ils économisent 1.300 kilomètres de carburant», m’a-t-il déclaré lors d’un récent entretien téléphonique.
«Cela ne garantit pas qu’Israël va attaquer l’Iran mais cela le rend plus faisable.»
Utiliser des bases aériennes en Azerbaïdjan assurerait qu’Israël n’aura pas besoin de compter sur sa modeste flotte d’avions de rechargement en vol et sur sa propre expertise en la matière, qu’un officier du renseignement américain considère «plutôt limitée». Des stratèges ont pu observer des exercices israéliens de rechargement en vol, rajoute-t-il, et ils n’ont pas été favorablement impressionnés. «C’est juste qu’ils ne sont pas très bons pour ça.»
Le colonel de l’Air Force en retraite Sam Gardiner, qui a dirigé pour un centre de recherche affilié au ministère de la Défense suédois une étude sur les scénarios probables d’attaques israéliennes en mars 2010, a déclaré qu’Israël est capable d’utiliser sa flotte d’avions de chasse F-15I et F-16I dans une frappe contre l’Iran sans recharger après avoir initialement pris de l’altitude au dessus d’Israël. «Ce n’est pas le poids qui pose problème», dit-il, «mais le nombre d’armes qui sont montées sur chaque avion».
En clair, plus un chasseur-bombardier doit parcourir de distance, plus il a besoin de carburant, et doit donc réduire le nombre d’armes qu’il peut porter. Limiter la distance permet de gagner en puissance de feu, et augmente les chances d’une frappe d’atteindre son but.
«Le problème, ce sont les F-15, dit Gardiner, qui partiraient pour protéger les bombardiers F-16 et rester au dessus de la cible». S’il advenait, comme cela est probable, que l’Iran fasse décoller ses avions de combat pour intercepter les avions israéliens, les F-15 seraient utilisés pour leur faire face. «Ces F-15 brûleraient du carburant au dessus de la cible, et devraient atterrir.»
Pourraient-ils atterrir en Azerbaïdjan? «Eh bien, il faudrait faire cela discrètement pour des raisons politiques, ce qui veut dire qu’il faudrait faire cela loin de Bakou et il faudrait que cela ne soit pas trop rudimentaire.» L’Azerbaïdjan possède un tel lieu: l’aérodrome de Sitalcay, qui est situé à 65 kilomètres à peine au nord-ouest de Bakou, à 550 kilomètres de la frontière iranienne.
Avant la chute de l’Union soviétique, les deux tarmacs de Sitalcay et les infrastructures adjacentes étaient utilisés par u
n escadron de Sukhoi Su-25 soviétiques, et sont donc parfaits pour les avions de chasse et les bombardiers israéliens. «Dans ce cas, avait déclaré Gardiner après qu’on lui avait décrit le site, c’est là que cela se passerait.»
Même si les avions de chasse israéliens n’atterrissaient pas en Azerbaïdjan, l’accès aux aérodromes azerbaïdjanais accorde un certain nombre d’avantages pour les Forces de Défense Israéliennes. Les aérodromes ont non seulement des infrastructures pour des avions de chasse-bombardiers, mais un officier du renseignement américain note qu’Israël pourrait certainement y baser des unités héliportées de recherche et d’assistance dans les jours précédant une frappe, pour pouvoir mener de possibles missions de recherche et d’assistance.
L’officier se référait à l’exercice israélo-roumain de juillet 2010 qui avait permis de tester les capacités aériennes israéliennes dans des régions montagneuses, similaires à celles auxquelles l’aviation israélienne ferait face pendant une mission de bombardement des sites nucléaires iraniens que les Iraniens ont enterré sous des montagnes.
Des officiers américains ont observé attentivement l’exercice, non seulement parce qu’ils s’opposaient au grand nombre d’avions de chasse israéliens qui opéraient depuis les bases aériennes d’un pays membre de l’Otan, mais aussi parce que 100 avions de chasse israéliens avaient survolé la Grèce dans le cadre d’une simulation d’une attaque sur l’Iran.
Selon cet officier, les Israéliens avaient finalement interrompu leurs activités militaires en Roumanie lorsque les États-Unis avaient exprimé leur malaise quant à ce que le bombardement de l’Iran soit l’objet d’un exercice sur le territoire d’un pays membre de l’Otan.
Ce même officier de haut rang dans le renseignement américain émettait l’hypothèse selon laquelle la composante «recherche et assistance» de ces opérations serait transférée en Azerbaïdjan «si cela n’a pas déjà été fait». Il rajouta qu’Israël pourrait utiliser l’Azerbaïdjan comme une base pour ses drones, soit dans le cadre d’une deuxième attaque immédiate contre l’Iran, soit pour mettre en œuvre une mission d’observation pour évaluer les conséquences de l’attaque.
L’Azerbaïdjan bénéficie clairement de ses relations approfondies avec Israël. L’État juif est le deuxième plus grand client de pétrole azerbaïdjanais, transporté par le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan, et ses ventes d’armes permettent à l’Azerbaïdjan de développer ses capacités militaires après que l’Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe (OSCE) l’ait frappé d’un embargo sur les armes suite à son conflit avec l’Arménie sur la région du Haut-Karabagh. Enfin, moderniser l’outil militaire azerbaïdjanais signifie clairement à l’Iran qu’une intervention en Azerbaïdjan lui coûterait cher.
«L’Azerbaïdjan a ses propres soucis», dit Alexandre Murinson, un universitaire israélo-américain qui a écrit une monographie reconnue sur les relations israélo-azéries pour le Begin Sadat Center for Strategic Studies, de Tel Aviv. «Le gouvernement de Bakou a expulsé des Iraniens qui prêchaient dans ses mosquées, démantelé des groupes terroristes pro-iraniens et contré les efforts de propagande iraniens sur sa population.»
La relation de plus en plus forte entre Israël et l’Azerbaïdjan a également précipité la dispute entre Israël et la Turquie, qui avait commencé lorsque des commandos israéliens avaient abordé un bateau turc en direction de Gaza en mai 2010, tuant neuf citoyens turcs.
Lorsque la Turquie avait réclamé des excuses, Israël avait non seulement refusé, mais avait également annulé un contrat de 150 millions de dollars avec la Turquie portant sur le développement et la fabrication de drones avec l’armée turque, puis avait entamé des négociations avec l’Azerbaïdjan pour fabriquer ensemble 60 drones israéliens de divers types.
Selon un diplomate américain en retraite, la signature d’un contrat d’armement de 1,6 million de dollars entre Israël et l’Azerbaïdjan aurait laissé le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan «bafouillant de rage».
La pièce centrale du contrat d’armement récent est l’acquisition par l’Azerbaïdjan de drones israéliens, ce qui a encore accru les inquiétudes turques. En novembre 2011, le gouvernement turc récupéra les restes du naufrage d’un drone israélien «Heron» en mer Méditerranée, au sud de la ville d’Adana, à l’intérieur de ses frontières maritimes.
Le gouvernement d’Erdogan pensait que ce drone avait volé depuis les régions kurdes du nord de l’Irak et avait demandé des explications à Israël, mais n’en avait pas eue. «Ils ont menti. Ils nous ont dit que le drone n’était pas à eux», m’a déclaré un ancien responsable turc le mois dernier. «Mais il portait leurs signes de reconnaissance.»
Israël a commencé à cultiver des relations étroites avec Bakou en 1994, lorsque l’entreprise israélienne de télécommunications Bezeq avait acheté une part importante de la société nationale de téléphonie. En 1995, le marché azerbaïdjanais était plein de biens israéliens: «Les glaces Strauss, les téléphones portables produits par Motorola en Israël, la bière Maccabee et les autres exportations israéliennes sont partout», écrivait un journaliste israélien dans le Jerusalem Post.
En mars 1996, le ministre de la Santé d’alors, Ephraïm Sneh, devint le premier responsable israélien de haut niveau à se rendre à Bakou, mais certainement pas le dernier. Benjamin Netanyahou fit le voyage en 1997, et une délégation de la Knesset en 1998, le vice Premier ministre Avigdor Lieberman et la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni en 2007, le Président israélien Shimon Peres en 2009 et Lieberman à nouveau, en tant que ministre des Affaires étrangères, en février dernier. Peres avait été accompagné lors de sa visite à Bakou par Avi Leumi, le PDG d’Israel Aeronautics Defense Systems, un ancien responsable du Mossad qui avait préparé la voie pour l’accord sur les drones.
Les responsables du renseignement américain ont commencé à prendre au sérieux en 2001 la cour que faisait Israël à l’Azerbaïdjan, selon un des officiers du renseignement. En 2001, le fabricant d’armes Elbit Systems s’était allié à l’entreprise géorgienne Tbilissi Aerospace Manufacturing pour développer l’avion soviétique SU-25 Scorpion, un avion d’appui aérien rapproché, et un de ses premiers clients avait été l’Azerbaïdjan.
Plus récemment, la société israélienne Elta Systems avait collaboré avec l’Azerbaïdjan pour construire le système de reconnaissance satellite TecSar et, en 2009, les deux pays avaient ouvert des négociations sur la production par l’Azerbaïdjan du véhicule d’infanterie Namer.
Des entreprises israéliennes «ont construit et gardent les grilles autour de l’aéroport international de Bakou, surveillent et aident à protéger les infrastructures pétrolières azerbaïdjanaises, et s’occupent de la sécurité lors des visites du président azerbaïdjanais à l’étranger», selon une étude publiée par Ilya Bourtman dans le Middle East Journal.
Bourtmann notait que que l’Azerbaïdjan partageait des données confidentielles sur l’Iran avec Israël, tandis que Murinson évoquait la possibilité que les Israéliens aient mis en place des stations d’écoute électronique le long de la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Iran.
Les responsables israéliens minimisent leur coopération militaire avec Bakou, pointant le fait que l’Azerbaïdjan est l’une des rares nations musulmanes où les Israéliens se sentent bienvenus. «Je pense que dans la région du Caucase, l’Azerbaïdjan est une icône de progrès et de modernité», avait ainsi déclaré Ephraïm Sneh en juillet 2010 à un magazine azerbaïdjanais.
Beaucoup ne partageraient pas cette description. Selon un ancien diplomate américain, l’affirmation de Sneh est «risible». «L’Azerbaïdjan est une kleptocratie dirigée par une famille-voyou et un des régimes les plus corrompus au monde.» L’ambassade américaine à Bakou a également été très critique: un câble du département d’État de 2009 décrivait Aliyev, le fils de l’ancien général du KGB Heydar Aliyev qui fut longtemps à la tête du pays, comme une figure «digne de la mafia», comparable aux personnages de Sonny et Michael Corleone dans Le Parrain.
Sur les questions intérieures en particulier, le câble soutenait que les politiques d’Aliyev étaient devenues «de plus en plus autoritaires et hostiles à la diversité des opinions politiques».
Mais l’armée américaine s’inquiète moins des intérêts économiques israéliens à Bakou, qui sont bien connus, que de la façon dont Israël emploierait son influence en Azerbaïdjan, si ses dirigeants venaient à décider de frapper les infrastructures nucléaires iraniennes. Le câble continue pour confirmer qu’Israël se concentre sur l’Azerbaïdjan en tant qu’allié militaire:
«Le principal objectif d’Israël est de garder l’Azerbaïdjan comme allié face à l’Iran, une plateforme de reconnaissance vers ce pays et un marché pour ses équipements militaires.»
C’est précisément ce que l’on ne connaît pas de cette relation qui empêche les stratèges américains de dormir. Un ancien analyste de la CIA doute qu’Israël lance une attaque depuis l’Azerbaïdjan, jugeant cette hypothèse «politiquement un peu trop incertaine». Cependant, il n’écarte pas la possibilité qu’Israël utilise les aérodromes azerbaïdjanais pour mettre en place ce qu’il appelle des «opération de récupération immédiate». Il rajoute:
«Bien sûr, s’ils font ça, cela élargit le conflit, cela le rend plus compliqué. C’est extrêmement dangereux.»
Un des officiers de haut rang familier des plans de guerre américains n’est pas aussi circonspect. «Nous étudions toutes les options, toutes les variables, et tous les facteurs envisageables dans une possible frappe israélienne», m’a-t-il déclaré. Est-ce que cela inclut l’utilisation de l’Azerbaïdjan comme plateforme depuis laquelle lancer une frappe ou accueillir l’aviation israélienne ensuite? Il n’a qu’un moment d’hésitation. «Je crois que j’ai déjà répondu à cette question...»
Mark Perry
Traduit par Felix de Montety
La région peuplée d’Azéris est entrée dans le cercle de la lutte des peuples non persans contre le régime du guide suprême Ali Khamenei. La télévision iranienne a annoncé récemment que deux gardes de la révolution avaient été tués lors d'affrontements armés dans la région frontalière de Mako, dans la province d'Azerbaïdjan occidental.
Au cours des derniers mois, le «sud-ouest de l'Iran» Ahwazi, le Kurdistan iranien «l'ouest de l'Iran» et le Sistan and Baluchestan «l'est de l'Iran» ont été témoins de l'escalade des opérations visant les gardiens de la révolution et les gardes-frontières par des groupes armés, appelant à la création d'États pour les non-persans subjectivement à ces domaines.
Le gouverneur de Mako, Hassan Abbasi, a déclaré que le lieutenant Nasser Mehdi Zadeh et le lieutenant Nasser Sroury avaient été tués dans un affrontement et qu'un autre soldat avait été blessé, sans avoir identifié le groupe armé ayant participé à cet affrontement séparatistes ».
Il est à noter que l'Azerbaïdjan occidental, l'une des trente-et-une provinces iraniennes, est centré sur la ville d'Urmia. Sa population est turque et les Kurdes constituent l'essentiel de la province, tandis que les Assyriens et les Arméniens constituent le reste de la population.
L'Azerbaïdjan occidental est une extension de la géographie de la nationalité azérie, l'une des nationalités turques, bordée au nord par l'État de l'Azerbaïdjan, en Turquie, et à l'ouest par la Turquie et l'Irak riche en pétrole et en gaz.
Près d'un tiers des Iraniens sont d'origine azérie, ils parlent le turc persan et azerbaïdjanais, et sont chiites, ce qui représente 25 à 30% de la population iranienne. Toutes les nationalités iraniennes de langue turque sont estimées entre 20 et 25 millions, avec une répartition de la population allant jusqu'à la capitale, Téhéran, et plus d'un million d'Azéris contrôlent les marchés commerciaux de Téhéran.
Depuis la désintégration de l'Union soviétique et l'indépendance de la République d'Azerbaïdjan, le régime iranien craint la montée des velléités séparatistes dans la région azerbaïdjanaise du nord du pays et l'impact de Bakou sur la loyauté de ses citoyens estimés à plus de 17 millions de personnes azerbaïdjanaises.
L'Iran considère que le régime laïc et nationaliste du régime azerbaïdjanais est un concurrent et une menace pour son idéologie quant à son impact, les Azéris constituant un bloc électoral d'un poids considérable.
Dans les provinces de l'Azerbaïdjan occidental et oriental et de Zanjan, le soi-disant Sud-Azerbaïdjan, des groupes armés réclament la sécession vis-à-vis de Téhéran pour rejoindre la République d'Azerbaïdjan ou le Nord-Azerbaïdjan pour devenir un puissant État azéri en Asie centrale.
L'Iran craint les efforts déployés par le Front populaire pour la libération de l'Azerbaïdjan méridional à Bakou pour déstabiliser l'État iranien face aux tensions avec les États-Unis et le soutien de Washington aux minorités face au régime iranien.
Le groupe azerbaïdjanais le plus célèbre est le Mouvement de libération nationale azerbaïdjanais, qui cherche à s’unir à la République d’Azerbaïdjan et est actif dans les provinces de Hamadan, Qazvin, Karaj et dans les régions occidentales de l’Iran. A travers les médias et l'art, les Azéris sont toujours décrits comme faisant partie de la classe la plus basse de la société iranienne.
Il existe également un mouvement national de réveil dans le sud de l'Azerbaïdjan, mais le soutien local est insuffisant pour défier efficacement le régime iranien.
Les autorités iraniennes estiment que les partis nationalistes au pouvoir en République d'Azerbaïdjan appuient et soutiennent les groupes azéris iraniens liés à Bakou
Ils
exigent l'unification de l'Azerbaïdjan du Nord (l'actuelle République d'Azerbaïdjan) et le Sud de l'Azerbaïdjan, à savoir les États iraniens d'Azerbaïdjan occidental et de l'Est et de Zanjan.
Une réunion du Front populaire pour la libération de l'Azerbaïdjan du Sud s'est tenue à Bakou en 2013 dans le but d'élaborer un plan pour la libération de l'Azerbaïdjan du Sud et de son indépendance vis-à-vis de l'Iran, suscitant la colère des autorités iraniennes et suscitant la première réaction de cette réunion.
Pour sa part, Hisham al-Baqli, chercheur dans le domaine des affaires iraniennes, estime que les Azéris sont l’une des nationalités les plus en vue qui dérangent et inquiètent les responsables de l’État iranien en cas de conflit militaire contre Téhéran par les États-Unis.
Il a expliqué dans une déclaration à La Référence que, malgré qu'ils aient la même religion, le nationalisme des Azéri d'Iran est un facteur important du conflit perso-azéri.
Les Azéris, comme tous les groupes ethniques opprimés par le régime iranien, ne sont pas reconnus par le régime de Khamenei, des milliers d'Azéris se trouvent dans des prisons iraniennes, ce qui pourrait mener à un état d'ébullition et à une révolte pacifique ou armée contre le régime du Vélayat-e Faqih iranien à Téhéran.
Observatoir Pharos, Pluralisme des cultures et religions * Publié le 19/6/2020
L’Azerbaïdjan fut le jeu de rivalités entre la Russie et l’Iran, deux grandes puissances de la région, pendant plusieurs siècles. la suite des traités de Golestan en 1813 et de Turkmanchai en 1828, l’Azerbaïdjan se retrouve divisé en deux. Le nord du pays, qui constitue son territoire actuel, passe sous le contrôle de Moscou, alors que la Perse maintient sa souveraineté sur la partie sud, dont les provinces forment aujourd’hui l’Azerbaïdjan iranien. Ces provinces, situées au nord-ouest de l’Iran comportent plusieurs grandes villes du pays comme Tabriz, Zanjan, ou Urmia.
De nos jours, on retrouve davantage d’Azéris en Iran qu’en Azerbaïdjan. En effet, on évalue la communauté à 16 millions en Iran et 9 millions en Azerbaïdjan, soit 25% de la population iranienne, soit la deuxième ethnie la plus importante d’Iran. De manière générale, la minorité ethnique a été bien intégrée et acceptée, et ce jusqu’à l’avènement de la dynastie Pahlavi au XXe siècle. Ces derniers, souhaitant rassembler le pays autour d’une identité nationaliste et communautariste perse, suppriment l’usage de la langue azérie dans les écoles, la presse et les gouvernements locaux. En 1979, suite à la révolution islamique, le nouveau gouvernement qui souhaite rapprocher les communautés met en avant la religion chiite comme facteur commun.
Du fait de la proportion précédemment évoquée, le rôle des Azéris dans le pays n’est pas négligeable, et on peut y constater leur implication. Conjointement aux Perses, la communauté azérie est très présente et joue un rôle majeur dans les composantes de l’État, de l’armée, de l’économie, de la culture et de la religion. Ainsi, l’actuel chef spirituel, l’ayatollah Seyyed Khamenei, ainsi qu’une grande partie du clergé iranien sont d’origine azérie. La communauté est profondément intégrée à la vie iranienne, d’un point de vue culturel comme politique, créant par la même occasion des liens entre les États que sont l’Iran et l’Azerbaïdjan, leur permettant d’engager ou d’entretenir des accords tant sur le plan culturel, que religieux, politique ou économique.
Cette présence, largement acceptée et de manière générale appréciée, fait pourtant l’objet d’inquiétudes de la part du gouvernement. En effet, les territoires habités par cette communauté, le nord-ouest de l’Iran, ont été source de conflits entre les deux pays. Anciens territoires azerbaïdjanais, ils ont longtemps été revendiqués, et le sont encore par des groupes nationalistes azéris, comme constituants le Grand Azerbaïdjan, dont le territoire s’étendrait de la vallée de l’Araxe, au nord, jusqu’aux monts Zagros, au sud. Comportant des frontières communes avec la République d’Azerbaïdjan, l’Arménie et le Nakhitchevan au nord, il est délimité par les provinces d’Ardabil à l’est, de Zanjan au sud-est et de l’Azerbaïdjan-occidental au sud et à l’est.
Lors de son élection comme président de l’Azerbaïdjan en juin 1992, Abdulfaz Elchibey, fervent nationaliste, a affiché sa volonté de réunir les provinces azéries d’Iran dans le Grand Azerbaïdjan. Il a appelé ces provinces à se rattacher à son pays, en reprochant à l’Iran de violer les droits de nombreux Azéris présents sur le territoire. Par ailleurs, Elchibey se tourna vers la Turquie, premier pays à avoir reconnu la République d’Azerbaïdjan et dont il admire le sécularisme. La Turquie étant elle même tournée vers l’occident, l’Iran va dès lors percevoir cette position comme un affront et le refus d’établir des liens équilibrés entre les deux États. L’appel d’Elchibey n’aboutit pas, les liens historiques et culturels établis entre les Azéris d’Iran et les Perses étant profondément ancrés et de trop bonne facture pour pouvoir espérer à cette époque un soulèvement de la part de ces communautés.
Malgré cet échec, le gouvernement iranien devient méfiant à l’égard de la communauté azérie peuplant son pays. Constituant 25% de la population iranienne, celle-ci représente un poids et une menace trop importants pour que la République Islamique ne s’en préoccupe pas. D’ailleurs, on observe à la même période la création de groupes autonomistes dans ces provinces, le Southern Azerbaïdjan National Awakening Movement (SANAM) ou Güney Azerbaycan Milli Oyanış Herekatı (GAMOH), qui, comme leur nom l’indique, revendiquent l’appartenance azérie de ce territoire, mais également leur particularisme culturel et le droit à l’éducation dans la langue azérie.
Ainsi, si la communauté minoritaire a pu être potentiellement créatrice de liens entre les États d’Iran et d’Azerbaïdjan, elle est aujourd’hui devenue l’objet d’enjeux territoriaux pour la République Islamique, qui ne peut dans cette situation être favorable à l’établissement de liens chaleureux avec son voisin. Dès lors, les enjeux ethniques et politiques soulevés par la présence de la communauté azérie en Iran ont entraîné des tensions entre les États et perturbé leur entente, créant par la même occasion une énième source de déséquilibre dans la région.
https://fr.news.yahoo.com/haut-karabakh-vladimir-poutine-reprend-164935015.html
L’accord signé lundi soir entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, sous l’égide du président russe Vladimir Poutine, mettant fin à six semaines d’hostilités dans la région du Karabakh est entré en vigueur mardi. Il consacre une victoire azerbaïdjanaise. Nous en publions l’intégralité.
1. Un cessez-le-feu complet sera établi et toutes les hostilités s’arrêteront dans la zone de conflit du Haut-Karabakh à minuit heure de Moscou, le 10 novembre 2020. La République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie, nommées comme les Parties, demeureront à leurs positions actuelles.
2. La région d’Aghdam et les territoires détenus par la partie arménienne dans la région de Gazakh devront être restitués à la République d’Azerbaïdjan avant le 20 novembre 2020.
3. Des troupes de maintien de la paix de la Fédération de Russie seront déployées le long de la ligne de contact dans le Haut-Karabakh et le long du couloir de Latchin, comprenant 1 960 militaires armés, 90 blindés, 380 véhicules motorisés et du matériel spécial.
4. Le contingent de maintien de la paix de la Fédération de Russie est déployé parallèlement au retrait des forces armées arméniennes. Ces troupes y resteront pendant une période de cinq ans, et une prolongation automatique de cinq années supplémentaires, si aucune des Parties ne déclare son intention de mettre fin à l’application de cette disposition six mois avant l’expiration de la première période.
5. Un centre de maintien de la paix sera déployé pour surveiller le cessez-le-feu en vue d’accroître le contrôle sur l’application des accords conclus par les Parties.
6. La République d’Arménie restituera la région de Kelbajar à la République d’Azerbaïdjan d’ici le 15 novembre 2020 et la région de Latchin d’ici le 1er décembre 2020. Le couloir de Latchin (5 km de large), qui assurera la communication entre le Haut-Karabakh et l’Arménie, restera sous le contrôle des troupes de maintien de la paix de la Fédération de Russie et n’affectera pas la ville de Chouchi.
Les Parties sont d’accord pour planifier la construction d’une nouvelle route le long du couloir de Latchin à l’issue des trois prochaines années, assurant la communication entre le Haut-Karabakh et l’Arménie, avec le redéploiement ultérieur des troupes russes de maintien de la paix pour protéger cette route. La République d’Azerbaïdjan s’engage à garantir la sécurité de la circulation des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens le long du corridor de Latchin.
7. Les personnes déplacées et les réfugiés doivent retourner au Haut-Karabakh et dans les zones adjacentes sous le contrôle du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
8. Un échange de prisonniers de guerre, d’otages, de détenus et des corps des morts doit être effectué.
9. Tous les flux économiques et les transports de la région seront à nouveau ouverts. La République d’Arménie garantit la sécurité des liaisons entre les régions occidentales de la République d’Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan en vue d’organiser la libre circulation des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens. Le contrôle des communications de transport est exercé par les organes des services de garde-frontières du FSS (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie N.D.L.R.).
Les parties conviennent que la construction de nouvelles communications de transport reliant la République autonome du Nakhitchevan aux régions occidentales de l’Azerbaïdjan sera assurée.
France 2411 novembre 2020
Le cessez-le-feu signé entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh sous l’égide de Moscou a rappelé l'omniprésence de la Russie au Caucase du Sud, tout en consacrant l'émergence de la Turquie d'Erdogan.
Moscou a sifflé la fin de la partie au Haut-Karabakh. Depuis la fin du mois de septembre, la région séparatiste était le théâtre de combats sanglants entre les indépendantistes arméniens et l'armée azerbaïdjanaise. Las, l'Azerbaïdjan et l'Arménie ont signé, mardi 9 novembre, sous l'égide de la Russie, un accord de fin des hostilités. Un arbitrage qui rappelle l'importance capitale de Moscou dans toute médiation au Caucase du Sud et qui sonne comme un abandon de l'Arménie, alliée traditionnelle de la Russie.
C'est d'ailleurs Vladimir Poutine qui en a fait lui-même l'annonce, vers minuit, dans la nuit de lundi à mardi : "Le 9 novembre, le président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, le Premier ministre de l'Arménie, Nikol Pachinian, et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration de cessez-le-feu total et d'arrêt des opérations militaires dans la zone de conflit du Haut-Karabakh, à compter du 10 novembre 2020, 00 h 00."
Pour garantir le respect de cet accord, la Russie a commencé à déployer quelque 2 000 soldats dès l'entrée en vigueur du cessez-le-feu. Selon le traité signé entre Erevan, Bakou et Moscou, ils seront déployés à mesure que les forces arméniennes quittent les territoires repassant sous contrôle de l'Azerbaïdjan, soit sept districts et une petite partie du Haut-Karabakh. La république autoproclamée, amoindrie et affaiblie, survivra sous la protection des soldats russes qui seront déployés sur le front. L'armée russe protègera tout particulièrement le corridor de Latchin, seule voie d'approvisionnement reliant le Haut-Karabakh à l'Arménie.
Sur le terrain, l'Azerbaïdjan apparaît donc comme le grand vainqueur du conflit avec son voisin. Il conserve l'ensemble des territoires reconquis au Haut-Karabakh proprement dit, à commencer par la ville historique et stratégique de Chouchi, qui est située sur la route reliant l'Arménie à la capitale séparatiste Stepanakert. Preuve d'un accord consacrant ses victoires militaires, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev s'est félicité d'une "capitulation" de l'Arménie.
"J'avais dit qu'on chasserait (les Arméniens) de nos terres comme des chiens, et nous l'avons fait", a-t-il dit, traitant aussi le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, de "lâche" pour ne pas avoir signé la déclaration commune devant des caméras.
Pour Galia Ackerman, essayiste et historienne, auteure du "Régiment Immortel. La Guerre sacrée de Poutine", aux éditions Premier Parallèle, l'Azerbaïdjan a bénéficié de la bienveillance de Vladimir Poutine et d'un aval "tacite" :
"Le Haut-Karabakh, qu'il soit sous contrôle azéri ou arménien, n'est pas une priorité pour Vladimir Poutine", explique l'historienne sur France 24. "Pour le président russe, laisser cette guerre suivre son cours était un moyen de se débarrasser de Pachinian et de renverser la situation en Arménie."
"Nikol Pachinian a été élu suite à un soulèvement populaire et commençait à se sentir un peu trop indépendant aux yeux des Russes. Il a notamment remplacé quelques personnes de ses services de sécurité pro-Moscou", poursuit Galia Ackerman. Pourquoi [l'Azerbaïdjan a-t-il attaqué] maintenant ? Je pense que c'était un projet de Vladimir Poutine."
"L'Arménie fait partie de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). S'il avait voulu intervenir, Poutine avait la possibilité de le faire et renverser le cours des évènements", rappelle Galia Ackerman, or ce dernier a préféré arguer que la sécurité de l'Arménie en elle-même n'était pas en jeu. Le Kremlin a préféré voir son allié sombrer tout en continuant à vendre des armes à l'Azerbaïdjan.
Preuve de la dureté des conditions du cessez-le-feu, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a parlé sur sa page Facebok d'une décision "incroyablement douloureuse pour [lui] et pour [son] peuple". Il ressort très affaibli de cette guerre alors que des manifestations éclatent, dénonçant sa "trahison".
La Russie, la France et les États-Unis coprésident le groupe de Minsk, théoriquement en première ligne sur le dossier du Haut-Karabakh. Mais ni Washington, ni Paris n'ont été décisifs cette fois. Le groupe de Minsk n'est même pas mentionné dans l'accord, laissant la Russie seule au centre du jeu.
"Ce qui est très important pour le Kremlin est le rôle décroissant de l'Ouest", constate Alexander Gabuev, interrogé par l'AFP, évoquant en particulier le peu d'intérêt pour la question caucasienne du président américain sortant, Donald Trump.
L'autre gagnant de la crise au Haut-Karabakh se nomme Recep Tayyip Erdogan. La Turquie, grand soutien de l'Azerbaïdjan, sort renforcé de ce dénouement et contrôlera avec la Russie l'application du cessez-le-feu au Haut-Karabakh depuis un centre conjoint d'observation, selon la présidence turque.
Ce centre d'observation russo-turc "sera basé sur le territoire de l'Azerbaïdjan" et "n'a rien à voir" avec les forces de maintien de la paix qui seront déployées au Haut-Karabakh, a assuré pour sa part la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, lors d'une intervention télévisée.
"Le renforcement de la présence d'Ankara dans la région est un processus en cours depuis des années et Moscou le voit comme la conséquence inévitable du nouvel ordre", explique sur Twitter Alexander Gabuev, chercheur à Moscou de la Fondation Carnegie pour la paix internationale.
"La Russie a d'abord été sonnée par l'irruption de la Turquie dans le jeu caucasien. Ankara a participé sur tous les plans, notamment sur le plan militaire, ce qui a fait la différence", note Gaïdz Minassian, spécialiste de l'Arménie et chercheur au Groupe d'analyse politique-défense relations internationales sécurité (GAPDRIS) sur l'antenne de France 24. "On s'aperçoit aujourd'hui que Bakou accorde plus d'importance à Ankara qu'à Moscou."
"La Turquie en sort renforcée, mais en réalité la guerre a profité à tous les partis du conflit à l'exception de l'Arménie. La Russie reprend le contrôle de l'Arménie et remet le pied au Haut-Karabakh. La Turquie renforce ses liens avec l'Azerbaïdjan. Et l'Azerbaïdjan jubile car il récupère des territoires occupés depuis trente ans", conclut Galia Ackerman.
Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE
L’annonce d’un cessez-le-feu accablant, qui consacre les victoires militaires azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabagh après six semaines de combats meurtriers, est un revers majeur pour l’Arménie. Sans l’intervention de Poutine, qui a sifflé la fin de partie, la victoire de l’Azerbaïdjan sur les Arméniens aurait été totale, après la chute de Chouchi, joyau et haut lieu de la culture arménienne avec sa cathédrale de Ghazanchetsots.
La prise de Chouchi, ville stratégique située à 15 kilomètres de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, a sonné le glas des espoirs arméniens. D’immenses convois de civils fuient désormais. Des milliers d’habitants du Haut-Karabagh (femmes, enfants, vieillards) se réfugient en Arménie voisine. Sur les 150.000 habitants du Haut-Karabakh, 90.000 personnes sont déjà réfugiées en Arménie. Les civils sont les grands perdants : certains ont perdu la vie, d’autres des proches, et pour la plupart leur maison et tous leurs biens. Les Arméniens ne reviendront pas vivre dans leurs maisons, sauf un immense mouvement patriotique peu probable aujourd’hui. Cette guerre aurait fait plus de 5.000 morts avec plus de 1.300 morts arméniens (le nombre de morts azerbaïdjanais n’est pas indiqué).
L’accord de cessez-le-feu au Haut-Karabakh signé le 9 novembre 2020 à Moscou, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sous l’égide de la Russie - maître du jeu dans le Caucase du Sud- entérine la victoire militaire azerbaïdjanaise. L’Azerbaïdjan annexera les parties de la République d’Artsakh capturées par son armée, le nord, le sud et une partie de l’est du Haut-Karabagh. Des casques bleus russes seront stationnés dans la partie restante. En effet, la Russie déploie sur place 2 000 soldats de la paix ainsi que 90 blindés pour garantir la sécurité des Arméniens du Karabagh, s’il en reste ! Les soldats russes seront présents sur la dernière ligne de contact du front et le long du corridor de Latchine qui relie le Karabagh à l’Arménie.
Mais le principal gain pour Ankara se trouve dans la clause 9 de l’accord de cessez-le-feu, qui engage l’Arménie à mettre en place un «corridor» pour permettre tous les déplacements de véhicules à travers son territoire entre sa frontière avec l’Azerbaïdjan et l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan qui est frontalière de la Turquie. Cet axe qui longera la frontière iranienne coupera l’Arménie de l’Iran, son principal partenaire énergétique. Ainsi se réalise en partie le rêve néo-ottoman de jonction des territoires turcs et azerbaidjanais. Le bouchon arménien a sauté ! De sorte qu’il existe désormais une liaison terrestre directe d’Istanbul à la mer Caspienne et, au-delà, vers les régions turcophones d’Asie centrale : Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan. C’est la fête à Bakou.
La nouvelle a déclenché des scènes de joie en Azerbaïdjan, le président Ilham Aliev se réjouissant d'une «capitulation» arménienne. Tout le pays a vécu une authentique ferveur populaire. Extrait de la déclaration de victoire du président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, à la télévision : «Nous avons forcé [le premier ministre arménien] à signer le document, cela revient à une capitulation. J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait».
Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a annoncé la signature «incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple» du cessez-le-feu. Il avait en effet le choix entre le cercueil ou la valise et a opté pour la valise. Les Arméniens constatent avec amertume leur échec. À Erevan, capitale de l’Arménie, le siège du gouvernement et le Parlement ont été envahis par des émeutiers en colère. Les partis d’opposition ont qualifié cet accord de «page la plus honteuse de l’histoire arménienne» et réclamé la démission de Pachinian.
La France et les Etats-Unis, qui co-président avec la Russie le «groupe de Minsk», constitué depuis plus de vingt-cinq ans pour mettre un terme au conflit, seront restés aux abonnés absents au cours de cet épisode crucial. La France qui se dit très liée à l’Arménie, a été inexistante malgré ses grandes déclarations d’amitié. Plus surprenant encore, le mutisme des chrétiens de France comme CDM Chrétiens de Méditerranée ou L’Oeuvre d’Orient… qui sont restés bien silencieux. Mais Erdogan ne chôme pas et annonce que «L’appel à la prière sera de nouveau lancé» à Choucha (nom azéri de Chouchi). Dans la Cathédrale de Ghazanchetsots ? transformée en mosquée comme Sainte Sophie d’Istanbul.
L’Artsakh, terre arménienne depuis des millénaires méritait pourtant de vivre séparée de l’Azerbaïdjan. Son petit peuple martyrisé il y un peu plus d’un siècle, par les maîtres de la Turquie s’est battu à nouveau pour sa survie. À Chouchi, à l'été 1919, 700 chrétiens de la ville furent massacrés par les Tatars. Puis du 22 au 26 mars 1920, toujours à Chouchi, environ 20.000 Arméniens furent massacrés et les quartiers arméniens entièrement détruits.
Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a annoncé la signature «incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple» du cessez-le-feu. Il avait en effet le choix entre le cercueil ou la valise et a opté pour la valise. Les Arméniens constatent avec amertume leur échec. À Erevan, capitale de l’Arménie, le siège du gouvernement et le Parlement ont été envahis par des émeutiers en colère. Les partis d’opposition ont qualifié cet accord de «page la plus honteuse de l’histoire arménienne» et réclamé la démission de Pachinian.
L’auteur a grandi en Tunisie, un pays sous protectorat français, où les expressions religieuses étaient alors publiques. Ses amis catholiques (Français, Italiens, Siciliens, Maltais…) vivaient leur foi dans la ferveur : dont la procession de la Madone de Trapani à la Goulette le 15 août et la bénédiction des marins du port de la Piccola Sicilia, étaient une belle incarnation.
Puis, s’intéressant à saint Augustin, à sa mère sainte Monique et aux croisades tunisiennes, carthaginoise et en Terre sainte de Saint Louis, puis au patrimoine bâti, aux langues, à la culture, aux chants et aux traditions des diverses églises du Proche-Orient (coptes, maronites, catholiques, orthodoxes...) et bien sûr aux hommes et femmes qui les font vivre, il finit naturellement par s’interroger sur les raisons qui avaient permis à ces églises de survivre jusqu’à aujourd’hui dans un environnement musulman.
Arrivé à Paris, Albert Naccache fait la connaissance de nombreux chrétiens maronites avec qui il poursuite les d’échanges fraternels démarrés au pays ; ils pensaient qu’il était Libanais, comme eux ; le nom Naccache étant en effet celui d’une grande famille maronite (en libanais Naccache signifie sonneur de cloches). Puis vint la tragédie d’un peuple qui allait subir les guerres et le terrorisme islamique et jihadiste et la stupéfiante découverte de la quasi indifférence des chrétiens de France, très divisés politiquement, et des Français en général, que le sort de leurs frères d'Orient semblaient indifférer.
Svante E. Cornell est le directeur de l’Institut pour l’Asie centrale et le Caucase de l’ American Foreign Policy Council , cofondateur de l’ Institut pour la politique de sécurité et de développement et conseiller politique au Gemunder Center for Strategy de la JINSA.
Les dommages à long terme résultant des erreurs de calcul de l’Arménie sont évidents. Si une partie des dommages est physique, les dommages psychologiques et mentaux sont encore plus importants : le sentiment de supériorité militaire de l’Arménie est maintenant brisé et son sentiment d’isolement palpable.
Depuis que la guerre Arménie-Azerbaïdjan a éclaté à nouveau le 27 septembre, l’Arménie a subi d’importants revers militaires face aux forces azerbaïdjanaises. Non seulement il a perdu la plupart des territoires initialement habités par l’Azerbaïdjan qu’il occupait en 1993: mais les forces azerbaïdjanaises ont fait des incursions dans le Haut-Karabakh, capturant la ville stratégique et symbolique de Choucha le 8 novembre.
L’Arménie semble avoir été prise par surprise, ce qui est particulièrement déroutant, étant donné sa rhétorique de plus en plus affirmée et belliqueuse contre l’Azerbaïdjan ces dernières années. Pourquoi le conflit ne s’est-il pas déroulé comme l’imaginaient les dirigeants arméniens? La raison réside dans une série de graves erreurs de calcul, selon lesquelles les dirigeants arméniens ont mal interprété presque tout ce qui concerne ce conflit: l’environnement international plus large, la réponse russe, le rôle de la Turquie dans le conflit, ainsi que la dynamique intérieure de leur adversaire, l’Azerbaïdjan.
Un paradoxe profond a toujours été au fondement du conflit Arménie-Azerbaïdjan. L’Arménie compte pour un tiers de la population azerbaïdjanaise, ne dispose pas de ses ressources naturelles et de sa situation géopolitique centrale. Mais elle a gagné la guerre au début des années 1990, en grande partie grâce à deux facteurs: les troubles internes de l’Azerbaïdjan et le soutien russe à Erevan. Ces facteurs ont aidé l’Arménie à prendre le contrôle du Haut-Karabakh, ainsi que de territoires beaucoup plus vastes entourant cette enclave, où vivent près de 750 000 Azerbaïdjanais qui ont été contraints de fuir (forme de « nettoyage ethnique » qu’on observe aujourd’hui dans l’autre sens, avec les maisons volontairement brûlées).
L'Arménie avait mordu plus qu'elle ne pouvait macher
En Arménie, cette victoire a jeté les bases d’un sentiment de supériorité militaire qui a duré jusqu’au mois dernier. Mais sur le plan diplomatique, il est vite devenu clair que l’Arménie avait mordu plus qu’elle ne pouvait mâcher. En grande partie à cause de l’histoire tragique de la nation, l’Arménie a bénéficié d’une bonne volonté internationale substantielle. Mais les avancées territoriales d’Erevan et le nettoyage ethnique des Azerbaïdjanais en 1993–94 ont changé cette perception. En 1996, des résolutions d’organisations internationales comme l’ONU et l’OSCE avaient clairement indiqué que tous les autres pays du monde approuvaient le retour de tous les territoires occupés à l’Azerbaïdjan et une solution au conflit qui donnerait aux Arméniens du Haut-Karabakh l’autonomie, mais leur refuserait toute indépendance.
Pendant ce temps, l’ampleur même des territoires occupés par l’Arménie garantissait que ni les dirigeants de l’Azerbaïdjan ni sa société ne se résoudraient à cette situation. Au lieu de cela, un puissant sentiment de revanchisme s’est construit en Azerbaïdjan, et Bakou a investi une partie importante des revenus pétroliers exceptionnels du pays dans l’armée du pays. La disparité croissante entre les deux pays devenait de plus en plus intenable: c’était comme une ficelle qui ne peut être tirée aussi loin sans se casser. L’Arménie a répondu en renforçant sa dépendance militaire à l’égard de la Russie, qu’elle considérait comme la garante de ses avancées militaires.
Pendant un certain temps, l’Arménie s’est convaincue que le temps était, en fait, de son côté. Après le double choc de 2008 – la guerre en Géorgie et la crise financière mondiale – son pari sur Moscou est même apparu assez fûté.
L’Occident s’est avéré incapable d’empêcher la défaite militaire de sa chérie dans le Caucase, en Géorgie, et la crise financière a conduit à un désengagement progressif de la région de la part des nations occidentales. L’indépendance du Kosovo a créé la même année un deuxième État albanais dans les Balkans, ce que les Arméniens considéraient comme un précédent pour leurs revendications sur le Haut-Karabakh. Leurs espoirs ont été renforcés par l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, qui partageait des similitudes avec l’incorporation par l’Arménie du Haut-Karabakh, deux décennies plus tôt. Par conséquent, l’Arménie en est venue à percevoir essentiellement les négociations menées par l’OSCE sur le conflit comme une tactique dilatoire et elle n’est pas apparue comprendre la nécessité de concessions sérieuses en échange de la paix.
En avril 2016, une escalade des tensions a conduit à une guerre de «quatre jours» dans laquelle l’Azerbaïdjan, pour la première fois depuis 1994, a repris le contrôle de certains territoires occupés. Surtout, alors que Moscou a négocié un cessez-le-feu après quelques jours, la Russie n’est pas intervenue pour arrêter ou faire reculer les avancées de l’Azerbaïdjan. Cela aurait dû faire sonner très fort l’alarme à Erevan. Mais, étrangement, la position de l’Arménie s’est plutôt durcie.
Le premier changement était sémantique. De nombreux Arméniens ont progressivement commencé à qualifier les territoires occupés autour du Haut-Karabakh de «territoires libérés» – un changement majeur, puisqu’ils étaient auparavant détenus comme tampon de sécurité et monnaie d’échange pour obtenir des concessions azerbaïdjanaises sur le statut du Haut-Karabakh. Plus maintenant : l’Arménie a maintenant indiqué qu’elle ne serait peut-être pas du tout disposée à rendre ces territoires, ignorant les quatre résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui appelaient à leur retour «immédiat et inconditionnel» à l’Azerbaïdjan.
Lorsque Nikol Pashinyan a accédé au pouvoir au printemps 2018 à la suite d’une «révolution de velours», il a d’abord semblé disposé à relancer le processus de paix. Fait révélateur, l’élite azerbaïdjanaise s’est félicitée de son arrivée : Bakou a raté l’occasion de lancer des opérations militaires pendant les troubles internes en Arménie. Espérant gagner un partenaire pour la paix, Bakou semblait disposé à donner à Pashinyan le temps de consolider son pouvoir. Lorsque Aliyev et Pashinyan se sont rencontrés à Douchanbé en octobre 2018, ils ont convenu de désamorcer les tensions. Les perspectives de paix étaient meilleures qu’elles ne l’avaient été depuis longtemps.
Mais c’est alors que quelque chose a changé. En mai 2019, Pashinyan a répudié les «Principes de Madrid» de l’OSCE, qui avaient servi de base aux négociations depuis 2007. Il a également cherché à changer le format même des négociations, exigeant la participation des dirigeants locaux du Haut-Karabakh aux pourparlers. Mais s’exprimant en août 2019 dans la capitale du Karabakh, il a ensuite déclaré que «le Karabakh, c’est l’Arménie, point final», et a ravivé le thème de l’unification de l’Arménie et du Karabakh qui avait déclenché le conflit à la fin des années 80. Ces deux déclarations n’étaient pas seulement contradictoires – si le Karabakh est l’Arménie, pourquoi devrait-elle avoir un siège séparé à la table des négociations?- mais ont également semblé supprimer tout espace de négociation sur le statut du territoire. Il y avait d’autres signes de changement. L’épouse de Pashinyan, Anna Hakobyan, qui avait lancé le mouvement «femmes pour la paix» en 2018, est habillée cet été en treillis militaire tenant une mitraillette dans le but de promouvoir la formation militaire des femmes. Leur fils s’est également porté volontaire pour servir dans les territoires occupés.
L'Arménie a rejeté l'idée d'échange de territoires contre la paix
La stratégie militaire de l’Arménie a également changé: la même année, le ministre de la Défense David Tonoyan – dont le pouvoir et l’influence se sont rapidement accrus au sein du gouvernement – a déclaré que l’Arménie rejetait désormais la logique terre-contre-paix qui avait servi de base aux négociations, et adoptait à la place une stratégie poursuivant «de nouvelles guerres pour de nouveaux territoires». Cela s’est accompagné de mesures affirmées qui ont changé la situation sur le terrain: l’Arménie a commencé relativement ouvertement à réinstaller les Arméniens de souche de Syrie et du Liban dans les territoires occupés, créant de nouveaux faits sur le terrain et renforçant le sentiment d’urgence à Bakou. La position d’Erevan a été mieux résumée dans l’interview BBC Hard Talk de Pashinyan d’août 2020,ce qui a conduit l’animateur exaspéré Stephen Sackur à conclure que «vous n’êtes clairement pas un artisan de la paix».
Mais les dirigeants arméniens sont alors allés encore plus loin: ils ont pris des mesures qui, peut-être par inadvertance, ont entraîné la Turquie plus directement dans le différend. Lorsque les combats ont éclaté en juillet sur la frontière incontestée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au nord de la zone de conflit, ils ont fait craindre en Turquie que l’Arménie ne menace l’infrastructure énergétique, durant la flambée des combats, à proximité des réserves de pétrole et de gaz azerbaïdjanais. Puis, début août, le président et le premier ministre arméniens ont tous deux tenu à commémorer le centième anniversaire du traité de Sèvres, qui aurait séparé un État arménien de l’est de la Turquie – traité qui a servi pendant un siècle un cri de ralliement pour les nationalistes turcs.
Ces développements suggèrent au moins quatre graves erreurs de calcul de la part des dirigeants arméniens.
Pourquoi, alors, les dirigeants arméniens ont-ils commis ces graves erreurs de calcul? Plusieurs raisons me viennent à l’esprit. Le monde a changé rapidement ces dernières années, exigeant une flexibilité et une capacité d’analyse considérables pour traiter les implications de l’interaction entre les processus mondiaux et régionaux. Les dirigeants arméniens semblent au contraire être devenus complaisants et avoir intériorisé leur propre propagande. Pourtant, cela ne rend pas compte de l’ampleur de leur échec, qui ne peut s’expliquer que par une analyse plus approfondie de la politique intérieure arménienne.
Il est désormais clair que le Premier ministre Nikol Pashinyan – qui manquait d’expérience politique avant d’être placé au pouvoir en tant que leader des manifestations de rue en 2018 – n’a pas compris la géopolitique de son pays et de sa région. Mais il a également été constamment miné par les précédents dirigeants arméniens, qui à leur tour s’étaient alignés sur les dirigeants du Karabakh et entretenaient des relations privilégiées avec Moscou. Cela a créé une situation hautement instable, dans laquelle Pashinyan a cherché à surenchérir sur ses rivaux en adoptant une position nationaliste de plus en plus dure pour consolider son pouvoir. En effet, son appel à l’unification visait peut-être principalement les dirigeants du Karabakh et visait également à renforcer sa popularité parmi les Arméniens. Si tel est le cas, alors il a largement sous-estimé l’impact que ses paroles auraient à Bakou.
Au moment d’écrire ces lignes, les parties ont signé un accord de cessez-le-feu qui cimente la victoire militaire de l’Azerbaïdjan tout en maintenant un certain niveau de contrôle arménien sur certaines parties du Haut-Karabakh. Les dommages à long terme résultant des erreurs de calcul de l’Arménie décrites ici sont évidents. Si une partie des dommages est physique, les dommages psychiques et mentaux sont encore plus importants: le sentiment de supériorité militaire de l’Arménie est maintenant brisé et son sentiment d’isolement palpable. Il doit maintenant être clair que l’Arménie ne peut être en sécurité que si elle parvient à une paix durable. Affaibli comme Pashinyan l’était déjà, il est difficile de voir comment il sort indemne de cet épisode, et les appels à sa démission se multiplient. Plus profondément, que Pashinyan reste ou s’en aille, il reste à voir si l’Arménie tirera partie des leçons de sa mésaventure et se lancera dans une tentative sérieuse pour rechercher la paix.